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CHAPITRE 6 : DISCUSSION DES RÉSULTATS

6.4 Les pistes d’intervention

Ce mémoire cherche à comprendre l’expérience des mères afin de dégager des propositions visant à accompagner et à bonifier l’intervention auprès d’elles à la suite du retrait permanent ou de l’adoption de l’enfant. C’est donc à partir des besoins exprimés dans le cadre des entrevues, ainsi qu’en s’inspirant des recommandations de Saint-Jacques, Drapeau et N’go NKouth (2011), Neil, Cossar, Lorgelly et Young (2010), Kielty (2008), et Santora et Haysy (1998), que quelques pistes d’intervention sont soumises. D’une part, les stratégies proposées visent à bonifier ou valider la compréhension des intervenants et intervenantes de la PJ à l’égard de l’expérience des mères dont l’enfant est placé de façon permanente ou adopté. D’autre part, ces stratégies cherchent à soutenir et à accompagner les mères dont l’enfant est placé ou adopté.

Le contexte dans lequel s’inscrit l’intervention en PJ exige tout d’abord des qualités personnelles et un savoir-faire professionnel afin d’établir une relation de confiance. Pour développer cette relation, l’intervenant ou l’intervenante doit être au fait des sentiments et réactions engendrés par les différentes étapes du suivi. Dans cette perspective, un document destiné aux intervenants et intervenantes pourrait être divisé en trois volets. Premièrement, les sentiments et réactions que les mères sont susceptibles de vivre au cours du suivi pourraient être présentés. Cette connaissance permettrait de contrer les résistances des clientes et de normaliser les sentiments éprouvés par les mères. Il ne s’agit pas ici de justifier des comportements inadéquats, mais d’en comprendre les sources, afin de faciliter le développement ou le maintien de l’alliance thérapeutique.

129 Un deuxième volet présenterait le processus de deuil traversé par les mères à la suite du placement de l’enfant. À la lumière de cette connaissance, l’intervenant ou intervenante sera en mesure d’identifier quelles sont les étapes à franchir afin d’accepter que l’enfant soit placé ou adopté. Ainsi, il sera possible d’accompagner la mère à travers le processus ou de la référer vers une ressource qui lui permettra de résoudre son deuil. Pour le troisième volet, des informations concernant la stigmatisation subie ou perçue, ainsi que sur le besoin de reconnaissance sociale, pourraient être ajoutées. À la suite du placement ou de l’adoption de l’enfant, elles ont besoin de se redéfinir socialement, de trouver une place où elles se sentiront valorisées. Comme les résultats présentés dans ce mémoire le démontrent, ceci peut prendre différentes formes : l’emploi, les études, ou l’engagement bénévole.

Pour atteindre le deuxième objectif, une documentation écrite pourrait être remises aux mères à la suite de l’ordonnance du projet de vie alternatif de l’enfant. Tout comme le document destiné aux intervenants et intervenantes, celui-ci expliquerait les émotions qu’elles sont susceptibles de ressentir. À ces informations, une liste de ressources serait ajoutée afin d’assurer un filet de sécurité, notamment pour celles dont l’enfant est adopté. Avec ces informations, elles pourraient normaliser leurs réactions et les émotions éprouvées, puis trouver l’accompagnement et le soutien dont elles ont besoin.

Pour répondre aux besoins exprimés par les répondantes, des services complémentaires doivent être utilisés ou mis en place. Différentes formes sont possibles : création de partenariats ou d’ententes avec des organisations existantes; mise sur pied de nouveaux services aux seins des CJ, des CLSC ou des organismes communautaires; ou encore la création d’une nouvelle ressource spécialisée dans l’accompagnement des parents dont l’enfant est suivi par la PJ. Peu importe les modalités, comme montré dans l’étude de Neil, Cossar, Lorgelly et Young (2010), une variété de services est importante pour soutenir les mères : accueil et informations, intervention individuelle, intervention de groupe ou groupe d’entraide, accompagnement (au CJ, à la cour et en situation de crise).

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Les mères ont besoin d’être accueillies sans jugement, par des personnes conscientes qu’elles doivent fréquemment conjuguer avec le regard des autres parce qu’elles sont plus susceptibles d’être socialement étiquetées comme de « mauvaises mères ». De plus, l’analyse des rapports inégalitaires et de leurs effets sur le processus de stigmatisation est importante (Callahan & Lumb, 1995). Dans cette perspective, les croyances de l’intervenante ou de l’intervenant à l’égard de la mère et les interventions effectuées peuvent favoriser l’empowerment ou, au contraire, l’opprimer davantage. Les résultats de ce mémoire, à l’instar de ceux de Sellenet (2010), révèlent une dépréciation de soi chez les mères perdant les droits de garde de leur enfant. Pour augmenter leur estime de soi, elles ont besoin que leurs forces soient reconnues. Elles doivent développer des compétences dans leurs interactions avec leur enfant ou dans le cadre de projets visant une autre forme de reconnaissance sociale, comme l’engagement communautaire, les études ou le travail.

Dans le cadre du processus de deuil, elles ont besoin d’un réseau de soutien, de personnes significatives auprès de qui elles peuvent exprimer leurs émotions librement et en sécurité. De plus, une intervention spécifique dans le cadre de ce processus devrait prévoir un geste symbolique en guise de rituel de passage avant de passer à une étape de reconstruction (Brodzinsky, 1990). Pour compléter ce processus, une relecture des évènements semble aussi importante. On observe que plusieurs mères rejettent les propos inscrits dans le jugement parce que ceux-ci tracent d’elles un portrait plutôt sombre. Elles ont donc besoin d’entendre une explication qui fait du sens pour elles, ne reportant pas uniquement la faute sur des comportements inadéquats, mais à partir d’une histoire qui contextualise la situation qui a mené à la perte permanente des droits de garde. À titre d’exemple, Véronique, une des deux répondantes ayant le sentiment d’être maître de sa vie à plus de 95 %, raconte qu’elle a perdu la garde de sa fille parce qu’elle avait 17 ans lorsqu’elle lui a donné naissance. Ce qui est significatif pour elle, c’est qu’elle était trop jeune et qu’elle avait trop peu de ressources pour assumer les responsabilités du rôle de mère. Ainsi, elle peut expliquer la situation tout en reconnaissant que certains comportements pouvaient compromettre la sécurité ou le développement de sa fille.

131 Comme on peut le lire dans l’étude de Saint-Jacques, Drapeau et N’go NKouth (2011), des répondantes mentionnent qu’elles ont besoin de bien comprendre le processus de placement ainsi que ses implications lorsque celui-ci est jusqu’à la majorité. Certaines ont de la difficulté à comprendre les informations venant du CJ et celles venant des avocats qui leur paraissent parfois contradictoires. Dans ce contexte, un service d’accompagnement permettrait de vérifier, lors des rencontres au CJ ou à la cour, les informations retenues par la mère, afin de favoriser une meilleure compréhension. En plus de s’assurer que les mères soient bien informées et comprennent le processus et le rôle de la PJ, des services d’accompagnement et d’intervention de groupe pourraient répondre aux besoins de soutien, d’échanges et d’entraide exprimés par plusieurs répondantes. Dès lors, ces services viendraient élargir leur réseau social qui est souvent limité. Il serait aussi pertinent de développer et d’évaluer un programme d’intervention sociale spécifique pour accompagner les mères à la suite du placement jusqu’à la majorité ou de l’adoption de leur enfant. Ces types d’action contribueraient à la dispensation de services professionnels de qualité à la fine pointe du développement des connaissances.