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Modes d’adressage des protéines membranaires

2   Activité constitutive et adressage axonal du récepteur CB1

2.1   Introduction : polarité et trafic neuronal

2.1.4   Modes d’adressage des protéines membranaires

Cette analogie a cependant aidé à conceptualiser le trafic intracellulaire neuronal et les modes d’adressage des protéines membranaires vers leur compartiment de destination. Considérons le trafic intracellulaire d’une protéine membranaire : biosynthèse, export du TGN, transport, fusion membranaire, endocytose, recyclage, dégradation. On peut penser qu’une sélection peut intervenir à chacune de ces étapes et entraîner une expression de surface spécifique à un compartiment : ceci permet de dégager différents modèles d’adressage vers les compartiments axonal et somatodendritique (Winckler, 2004). Chacun de ces modes est basé sur une sélectivité des différentes étapes, et il est probable que le neurone utilise ces modes simultanément pour l’adressage de différentes protéines et parfois pour une même protéine (Figure 25).

Si la sélection a lieu à l’étape d’export hors du TGN, on parle d’expédition sélective (selective delivery). Après leur synthèse, les protéines membranaires présentes dans le TGN au niveau du soma sont incluses dans des vésicules de transport distinctes selon leur destination, somatodendritique ou axonale (Figure 25A). Expérimentalement, la présence de populations de vésicules contenant spécifiquement certaines protéines membranaires a été mise en évidence pour les protéines basolatérale et apicale dans les cellules épithéliales (Keller et al., 2001). Dans les neurones, les vésicules contenant le récepteur de la transferrine TfR somatodendritique sont distinctes de celles transportant la protéine d’adhésion NgCAM axonale (Burack et al., 2000). Les vésicules transportant les protéines destinées à l’axone peuvent transporter simultanément des protéines différentes, comme cela a été montré pour la protéine VAMP-2 (SNARE vésiculaire

impliquée dans la libération de neurotransmetteurs), la protéine GAP43 (aussi appelée neuromoduline, protéine présynaptique impliquée dans la plasticité axonale) et la protéine APP (précurseur du peptide amyloïde) (Nakata and Hirokawa, 2003). Cependant, Carlos Dotti et ses collaborateurs ont observé des populations, différentes dans leur morphologie et leur cinétique, assurant le transport de l’APP et de la synaptophysine (aussi appelée p38, protéine présente dans les vésicules présynaptiques) (Kaether et al., 2000). Il paraît ici logique de séparer l’adressage des protéines axonales, c'est-à-dire présentes de manière uniforme le long de l’axone comme NgCAM, de celui des protéines présynaptiques, comme la synaptophysine, concentrées au niveau des terminaux. La présence de vésicules et de cinétiques de transport distinctes en témoigne, tout comme la découverte que les compartiments présynaptiques peuvent être transportés pré-assemblés depuis le TGN vers les terminaux (Ahmari et al., 2000).

La sélection menant à l’adressage préférentiel peut également se faire au niveau du transport des vésicules, amenant les protéines membranaire au contact de la membrane plasmique somatodendritique ou axonale. Dans les neurones, le transport intracellulaire se fait le long des microtubules, principalement par l’intermédiaire de moteurs protéiques, membres de la famille des kinésines (KIF). Or, dans les neurones, la polarité des microtubules est différente au niveau de l’axone et des dendrites : les microtubules axonaux orientent leur extrémité positive vers la partie distale de l’axone, tandis que les microtubules dendritiques orientent indifféremment leur bout positif ou négatif vers l’extrémité des dendrites (Baas et al., 1988; Baas et al., 1989). On peut ainsi imaginer qu’un moteur se dirigeant des bouts positifs vers les bouts négatifs des microtubules est capable de transporter sélectivement les vésicules vers les dendrites. Au contraire, un transport sélectif vers l’axone ne peut se faire simplement sur la base de l’orientation des microtubules, puisque les moteurs induisant un transport vers le bout positif des microtubules peuvent aller aussi bien vers les dendrites que vers l’axone. Il est intéressant de noter que dans les travaux de Burack et ses collaborateurs (Burack et al., 2000), les vésicules contenant le récepteur TfR somatodendritique ne pénètrent pas dans l’axone tandis que celles transportant NgCAM axonal sont présentent à la fois dans les dendrites et l’axone, indiquant que la sélectivité de la distribution axonale de NgCAM est assurée en aval du transport. Un transport spécifique vers l’axone implique une reconnaissance « intelligente » des microtubules par le moteur protéique (Setou et al., 2004). De fait, certaines KIF comme KIF5 semblent être capables de discerner les microtubules axonaux et somatodendritiques autrement que par leur polarité, et peuvent induire un transport sélectif vers l’axone (Hirokawa and Takemura, 2004).

En aval du transport, des protéines adressées indifféremment vers les dendrites et l’axone peuvent fusionner seulement avec la membrane du compartiment cible : c’est la fusion sélective (selective fusion) (Figure 25B). Ce mode d’adressage a été proposé pour la protéine NgCAM, basé

Figure 25 : Modèles d’adressage axonal

Sont figurés trois types de stratégies cellulaires visant à la distribution d’une protéine membranaire restreinte à la membrane axonale.

A/ Adressage direct : expédition et

transport sélectifs.

Les protéines sont triées juste après la synthèse et sortent du TGN dans des vésicules distinctes (en vert et rouge), qui se dirigent grâce à un transport sélectif vers le compartiment somatodendritique ou axonal. Dans le cas du transport dendritique, la polarité des microtubules (en gris) permet une sélection basée sur la direction préférentielle des moteurs de type kinésines (en bleu).

B/ Fusion sélective

Les vésicules contenant les protéines axonales sortant du TGN (en rouge) ne sont pas dirigées sélectivement vers l’axone et partent également vers les dendrites, mais elles ne peuvent pas fusionner avec la membrane somatodendritique (croix rouge), entraînant une distribution restreinte à l’axone. C’est le cas des vésicules contenant NgCAM selon Burack et ses collaborateurs (Burack et al., 2000), tandis que les vésicules porteuses du récepteur TfR sont directement dirigées dans le compartiment somatodendritique où elles fusionnent (en vert).

C/ Endocytose et rétention sélectives Les protéines axonales sont susceptibles d’être exprimées indifféremment à la membrane somatodendritique ou axonale (en rouge), mais la protéine est sélectivement internalisée dans le soma et les dendrites, tandis qu’elle est maintenue à la membrane dans l’axone.

C’est le cas de la protéine CD4-Nav1.2

(Garrido et al., 2001), de la protéine

sur la présence de vésicules contenant NgCAM dans le compartiment somatodendritique (Burack et al., 2000; Silverman et al., 2001) et l’absence de fusion de ces vésicule avec la surface somatodendritique (Sampo et al., 2003). Cependant, ce type d’adressage est délicat à caractériser expérimentalement, car il est particulièrement difficile à différencier des modèles de rétention sélective et de transcytose (voir ci-dessous). Au niveau des bases moléculaires soutenant un mécanisme de fusion sélective, on pourrait songer à des mécanismes de fusion vésiculaire différents selon les compartiments, notamment grâce à une sélectivité des protéines SNARE, qui pourraient permettre la fusion des vésicules seulement dans un compartiment. Exception faite des SNAREs spécifiques du cycle des vésicules synaptiques, les SNARE impliquées dans le transport des protéines vers la surface neuronale comme TI-VAMP/VAMP-7 n’établissent cependant pas de distinction entre les dendrites et l’axone (Martinez-Arca et al., 2001).

Enfin, les protéines peuvent être envoyées et insérées dans les membranes somatodendritique et axonale, mais retirées par endocytose sélective dans l’un des deux compartiments. Un tel comportement a été démontré pour plusieurs protéines axonales qui apparaissent de manière transitoire à la membrane somatodendritique mais sont rapidement internalisées, et sont en revanche stables à la membrane axonale. Ce mécanisme est donc appelé endocytose sélective (selective endocytosis) ou rétention sélective (selective retension), selon l’importance donnée au phénomène observé dans les dendrites ou dans l’axone (Figure 25C). Les expériences d’antibody feeding, d’inhibition de l’endocytose par des protéines mutées ou encore de cinétique d’export après blocage par la bréfeldine A, que nous avons réalisées pour le récepteur CB1, ainsi que l’obtention de mutants déficients pour l’endocytose, sont les principaux outils démontrant l’endocytose constitutive à la membrane somatodendritique. Le premier exemple d’un tel mécanisme a été découvert par l’équipe de Bénédicte Dargent concernant le canal sodique Nav1.2, qui s’accumule à la surface neuronale au niveau du segment initial de l’axone (Garrido et al., 2001). La recherche des déterminants de cet adressage a été entreprise grâce à une chimère de la protéine CD4 et de la queue carboxyterminale de Nav1.2. Cette portion carboxyterminale contient un motif d’endocytose qui provoque l’endocytose constitutive de la chimère depuis le compartiment somatodendritique et établit la polarité axonale du récepteur. Un tel mécanisme a été également impliqué dans l’adressage axonal de VAMP-2 (Sampo et al., 2003) et de NgCAM (Wisco et al., 2003), ce dernier résultat s’opposant au modèle de fusion sélective proposé par Gary Banker et son équipe pour cette protéine (Sampo et al., 2003).

Dans le cadre d’un modèle d’endocytose sélective, et particulièrement l’endocytose des protéines destinées à l’axone depuis le compartiment somatodendritique, on peut imaginer que ce passage préalable par l’autre compartiment représente une étape nécessaire, sur le modèle de la

transcytose observée dans les cellules épithéliale. La transcytose neuronale a en effet été observée : depuis l’axone vers les dendrites, on pense au trafic des neurotrophines et de leurs récepteurs Trk qui sont transportés de manière rétrogrades vers le soma et parfois les dendrites (Ginty and Segal, 2002). La protéine APP est internalisée au niveau axonal puis transcytosée à la surface du compartiment somatodendritique (Simons et al., 1995; Yamazaki et al., 1995). La transcytose réciproque, depuis le compartiment somatodendritique vers le compartiment axonal, a été mise en évidence pour le récepteur à l’immunoglobuline polymérique pIgR (Ikonen et al., 1993) et pour le récepteur à la transferrine TfR (Hemar et al., 1997). Bettina Winckler et ses collaborateurs ont démontré que le récepteur NgCAM est internalisé depuis le compartiment somatodendritique avant d’apparaître à la surface axonale (Wisco et al., 2003). L’existence d’un mutant de NgCAM adressé par voie directe vers l’axone est étonnamment interprétée comme signe que la transcytose de NgCAM est nécessaire et exclusive, car elle peut être profondément modifiée par une mutation ponctuelle (Winckler, 2004). Expérimentalement, la distinction est subtile entre ce modèle de transcytose obligatoire et celui d’une transcytose « de fait », résultant de la réexpédition des protéines envoyées vers le « mauvais compartiment ». Cette dernière hypothèse est illustrée et étendue par les derniers travaux de l’équipe de Bénédicte Dargent, qui montrent que l’endocytose d’une chimère CD4-Nav1.2 destinée au segment initial a lieu aussi bien depuis le compartiment somatodendritique que depuis les parties plus distales de l’axone (Fache et al., 2004), introduisant la complexité supplémentaire d’une compartimentalisation intra-axonale.