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C’est la philosophie des Lumières qui a marqué cette rupture entre deux conceptions du monde.

La lumière, c’est la lumière naturelle à l’intérieur de l’homme qui s’oppose à la lumière surnaturelle.

Ainsi Descartes, philosophe qui a révolutionné le mouvement de la philosophie en faisant de l’homme, et non plus du cosmos, la pierre de touche de la vérité, n’entend pas parler des choses qui appartiennent à la foi mais seulement de celles qui regardent les vérités spéculatives et connues par l’aide de la seule lumière naturelle.

La lumière naturelle n’est pas l’inclination qui nous porte à croire, elle nous fait mieux connaître.

Le mouvement des Lumières, c’est un ensemble de philosophies.

On ne peut réellement le situer dans un temps et dans un espace donné.

Les Lumières, c’est une position modérée en Angleterre, anticléricale en France, empreinte de religion en Allemagne, erasmienne en Hollande et puritaine dans les nouveaux états unis...

Mais l’unicité des thèmes est partout présente : la raison par rapport à la passion, la nature, l’expérience, le bon sauvage, le despote éclairé, l’éducation, la tolérance, l’utopie, le progrès, la liberté, l’égalité... les Lumières changent selon les nations en fonction de leurs pratiques culturelles mais c’est aussi ce mouvement et cette dynamique qui leur confèrent sa force : pensée non figée, non une, non supérieure aux autres, mais bien au contraire pensée qui se meut, qui échange, qui discute, qui évolue et qui reflète l’homme dans son entièreté et dans son besoin de se confronter à l’autre pour avancer.

Il ne faut pas chercher à donner à ces mouvements une définition, une date, une situation inamovible mais ils nous conduisent à penser et à primer l’exigence de la réflexion personnelle contre la soumission aveugle ou infantile à l’autorité. C’est le « sapere aude », le courage de penser par soi-même de Kant : « osons penser ».

Les Lumières françaises nous permettent de penser notre héritage spécifique et de comprendre par la vue du passé notre culture d’aujourd’hui

Libre arbitre et liberté de conscience : modernité des Lumières

Les Lumières françaises sont : une philosophie laïque, un rejet de la métaphysique, une présence au monde, le passage de l’homme naturel à l’homme social, une philosophie pratique et non-seulement théorique, un style, une littérature, une culture.

Le mouvement des Lumières est un idéal universel qui permet aujourd’hui encore au XXIe siècle de donner un sens et un guide à l’humanité toute entière.

Il se veut en France essentiellement laïque et refuse d’être le serviteur de la théologie et de la scolastique.

Il n’oublie ni n’ignore l’apport de la religion notamment dans l’instruction.

Voltaire recourt sans cesse à l’Ancien Testament, Diderot, malgré son athéisme, place au plus haut la théodicée de Leibnitz.

Ces philosophes se réfèrent à la Bible ou à Saint-Augustin pour lutter contre la superstition, maîtresse d’erreurs qui pervertit par des fables la vérité du religieux et pour lutter contre la religion dont l’intolérance est humainement et politiquement inacceptable.

Les circonstances spécifiques à la France, telle que la révocation de l’édit de Nantes, la centralisation, son catholicisme d’État, son intolérance à l’encontre de la Contre-Réforme, sont la source de l’anticléricalisme historique de la philosophie des Lumières.

Mais elle est surtout le refus de la métaphysique dogmatique et constructiviste du XVIIe siècle qui voulait être recherche de l’ab-solu, des idées innées garanties par la véracité divine, et lutte con-tre nos idées subjectives comme nos sensations ou nos chimères.

Bayle nous dit de bien douter des doctrines théologiques et métaphysiques dans son dictionnaire historique et critique.

Et John Locke, dans son essai sur l’entendement humain ruine l’innéisme des idées pour un empirisme et une expérience indispensable à notre connaissance du monde des autres.

C’est Montesquieu le premier qui parla de la séparation entre le théologique et le profane, c’est-à-dire entre l’absolu et le relatif, entre le spirituel et le temporel.

Les Lumières consacrent l’effondrement de la métaphysique et de ces prétentions à connaître des entités abstraites telles que dieu ou l’âme...

Quelles seraient donc les nouvelles Lumières aujourd’hui ? La réponse est simple. Les Lumières d’aujourd’hui se nomment Bayle, Fontenelle, d’Alembert, Voltaire et Montesquieu, Diderot, Lalande, Condorcet et tant d’autres encore. Les Lumières constituent la révolution de l’esprit dont nous avons plus que besoin aujourd’hui.

N’oublions pas non plus les tenants du catholicisme libéral, Lacordaire ou Lammenais, qui ont notamment pu écrire en 1830 :

« Nous demandons premièrement la liberté de conscience ou la liberté de religion pleine universelle, sans distinction comme sans privilège ; et par conséquent ce qui nous touche, la totale séparation de l’église et de l’État (…).

De même qu’il ne peut y avoir aujourd’hui rien de religieux dans la politique et rien de politique dans le religieux. »

Une mutation essentielle s’est accomplie : à une conception théologique de la loi, qui fait de la loi pour les hommes une loi faite au nom de Dieu, ainsi que le mode de règlement de la conduite humaine, succède une autre référence suprême : l’homme se met à la place de dieu et au commandement de dieu se substitue celui des hommes.

Cette transformation des esprits emprunte deux voies :

• le volontarisme dans la construction qui en sera donnée par Hobbes, les hommes dotés d’une pleine liberté et d’un pouvoir créateur illimité se soumettent à Léviathan et à sa volonté de légiférer, la loi demeure le commandement, mais c’est celle d’un nouveau maître que les hommes se sont donnés, l’État ;

• l’école du droit naturel ou la raison transcendante de l’homme se substitue à dieu et joue le rôle du législateur.

Le volontarisme marque le retour de l’individu et du respect des droits de l’individu.

Libre arbitre et liberté de conscience : modernité des Lumières

Le droit est désormais conçu comme attribut du sujet et n’existe qu’à son avantage exclusif.

Le droit n’est relié qu’au sujet : le droit évoque le libre pouvoir de l’individu et non plus le devoir imposé par la loi morale.

L’État et ses lois ont pour seule raison d’être de servir les intentions et les intérêts des contractants et non de conduire les hommes vers un monde transcendant pour assurer leur salut.

Toute la philosophie politique part de cette idée et l’homme va ainsi pouvoir promouvoir la philosophie des droits de l’homme et la doctrine du contrat social.

L’homme a des droits naturels et imprescriptibles.

Les droits de l’homme sont universels et immuables.

Cette philosophie juridique des Lumières influencera naturelle-ment les principes de la révolution française ainsi que le Code civil de l’An VIII qui énonçait une profession de foi immanente :

« Il existe un droit universel et immuable, source de toutes les lois positives : il n’est que la raison universelle en tant qu’elle gouverne tous les hommes (...) ».

Le Code civil dans l’esprit de ses auteurs apparaissaient moins comme un commandement du législateur temporel que comme la mise en forme de préceptes permanents universels imposés par la raison.

C’est la même référence qu’utilisa la Déclaration des droits de l’homme de 1789 lorsqu’elle visera les droits naturels inaliénables et sacrés de l’homme.

C’est donc une conception de l’homme qui a conquis sa liberté : sa liberté de se constituer en homme, en tant qu’homme. Les Lumières c’est la libre pensée, le libre examen, le refus de tout dogmatisme.

L’homme exprime sa propre personne et est porteur comme l’a si bien écrit Montaigne de l’humaine condition. Les Lumières ont libéré l’homme de ces chaînes, les Lumières c’est la constitution pour chaque homme d’une pensée libre préoccupée du réel, sans messianisme religieux ou politiques.

Les Lumières, ce sont des textes juridiques et philosophiques, actes fondateurs générés par l’homme lui-même, contractualisé par et pour l’humanité.

C’est la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, repris dans le préambule de la constitution de 1946, lui-même réinscrit au fronton de la constitution de la Ve République et qui a, à côté des droits de l’homme fondamentaux, rappelé les droits sociaux de l’homme soit le droit au travail, le droit au logement, le droit à la dignité.

Les Lumières nous paraissent pour le siècle présent et avenir.

Le projet humaniste avec lequel il ne peut être transigé.

Rappelons également cette magnifique phrase de Lacordaire :

« entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit (...) ».

Le projet des Lumières est un projet humaniste et universel.

L’universalisme de l’humanisme.

L’universalisme des Lumières.

C’est pourquoi ces lumières, quelles que soient les évolutions sociales, politiques, techniques ou scientifiques, sont toujours d’une actualité aiguë et d’un sens puissant.

Les Lumières nous appellent à la sagesse des modernes : la sculpture de soi n’est que la première pierre apportée à la libération de l’homme lui-même et également la libération de l’homme dans ce monde si dévasté pour que l’homme rede- vienne plus sage, plus fort et plus bon.

Citons ici cette belle phrase de Goethe : « Si grand que soit ce mystère éternel remplissant ton âme, si par ce sentiment tu es heureux, nomme-le comme tu voudras : bonheur, cœur, amour, Dieu… Moi je n’ai pour cela aucun nom. Le sentiment est tout, le nom n’est que bruit et fumée qui nous voile l’éclat des cieux (...) ».

Le libre arbitre et la liberté de conscience sont le fondement même de la République universelle des Lumières que nous appelons de nos vœux.

Libre arbitre et liberté de conscience : modernité des Lumières

Puisse la politique, la vraie politique, se le rappeler.

À cet égard Pierre Hadot dans son livre La Citadelle intérieure, Introduction aux Pensées de Marc Aurèle, qui dans cette explication de la sagesse stoïcienne interroge très sérieusement l’homme, cite ce beau texte Vaclav Havel :

« La vraie politique, la seule digne de ce nom et d’ailleurs que je consens à pratiquer est la politique au service du prochain. Au service de la communauté... son fondement est éthique en tant qu’elle n’est que la réalisation de la responsabilité de tous et envers tous. Celle-ci se nourrit de la certitude consciente ou inconsciente, que tout s’inscrit pour toujours, tout s’évalue ailleurs, quelque part au-dessus de nous, dans ce que j’ai appelé la mémoire de l’être, dans cette partie indissociable du cosmos, de la nature et de la vie (...) ».

Médaille avec bélière datée de 1899

Derrière ce titre en forme de paraphrase un tantinet parodique de la fameuse maxime de Rabelais, il est une idée simple : la liberté proclamée est une chose ; son exercice plein et entier en est une autre. Et si les droits et principes issus des Lumières sont un indispensable et prodigieux préalable à l’instauration de la République, que chacun sache en jouir ensuite, en conscience, est une autre affaire. Car à quoi bon le droit, si des forces intérieures nous en empêchent l’usage sans même qu’on s’en rende compte ? A quoi bon la liberté de penser ce que l’on veut, si les chaînes invisibles dans lesquelles on est entravé nous privent concrètement de ce bénéfice ?

La capacité juridique de penser, de savoir et de dire, dans une démocratie moderne, est, au fond, un inaccompli, si elle ne s’accompagne pas de la capacité personnelle de chacun à le vivre intensément. L’actualité d’une civilisation qui se réfugie dans des recettes politiques simplistes et dans des formes de spiritualité obscurantistes, se livrant pieds et poings liés au bourreau totalitaire, nous le démontre chaque jour un peu plus.

Christophe Devillers

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