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du droit

Autrement dit, la possibilité (la science) sans l’audace (la conscience) vient ruiner la magnificence du droit.

Il les fallait, ces émancipations politiques majeures successives qui firent, des serfs, des juifs, des esclaves, et pour finir - tout de même -, des femmes, des citoyens à part entière. Il les fallait, ces grands soirs d’abolition des privilèges, ces lames de fond revendicatives, ces révolutions, pour que les libertés individuelles embrassent la planète et fassent cortège à l’universalisme des Lumières.

Il les fallait. Et pourtant. Deux siècles plus tard, nos sociétés s’offrent à nouveau à ces mêmes dieux dont elles étaient parvenues à se désaliéner, et à d’autres divinités tout aussi vengeresses que celles d’antan, qui sapent le pacte social et atteignent en plein cœur le bloc de valeurs qu’on croyait assis. L’argent. La censure. La force physique. L’intimidation.

La superstition. La vanité médiatique.

C’est dire que l’expression juridique de la liberté n’a pas suffi.

Et qu’il manque, d’évidence, à la loi, le mode d’emploi de l’émancipation individuelle. Car il n’est pas de libre arbitre, ni de liberté absolue de conscience, sans émancipation. Il est alors question d’une démarche plus profonde, plus introspective, d’un processus progressif.

L’école républicaine aurait pu être le lieu de cette germination où, en transmettant le savoir, le professeur suscite chez son élève, l’appétit de la connaissance pour susciter l’appétit du libre arbitre. Ayant très vite et depuis longtemps abdiqué cette ambition, aujourd’hui paralysée par les mêmes tensions qui minent la société, l’école est, aujourd’hui, au mieux une gare de triage au service de l’économie mondialisée, au pire un espace de normalisation des goûts et des cursus.

Pour le franc-maçon, il existe une session de rattrapage.

Car quoi d’autre que la Franc-maçonnerie pour favoriser ce processus ?

Et quoi mieux que le Rite Français pour le célébrer ? Dans la diversité des rites, des familles initiatiques et de leurs traditions, au beau milieu des étals multicolores sur l’écrans de nos vies maçonniques, l’action sur soi s’incarne différemment en loge : ici contemplative, là volontiers en prise avec la société et le

Science sans conscience n’est que ruine du droit

réel. Mais s’il est une spécificité du Rite Français, c’est bien l’injonction permanente au « Sapere Aude » (de Horace, puis) de Kant. « Aie le courage de te servir de ton propre entendement. » Tout, dans ce rite, invite à rompre avec les déterminismes personnels.

A ses origines, la Franc-maçonnerie capte un fonds commun de légendes qui ont construit l’humanité, dans sa grandeur, son génie et ses vertus. Mais surtout, elle rassemble, à son point de départ, en France singulièrement, des passionnés de sociabilité et d’altérité qui se reconnaissent dans un même code d’honneur ; des voyageurs, des marins, des soldats, des penseurs, des savants, inventeurs – au sens étymologique - d’autres terres, d’autres villes, d’autres pays, d’autres peuples. De cette liberté d’esprit qui permet d’accéder à l’autre, naît l’idée d’égalité. De l’égalité qui place l’autre au même rang que soi, naît la fraternité.

La Franc-maçonnerie ouvre en somme le champ des possibles à qui veut marcher loin. Elle permet à chacun, sans distinction de grades sociaux, d’origine et de croyances, de se débarrasser, au rythme qu’il veut, des oripeaux du vieil homme, l’Homme archaïque, et de renaître vierge et plus disponible, plus libre et plus sagace. C’est sur cette addition de mues que prospère ensuite le groupe. Grammaire de « l’être ensemble », la Franc-maçonnerie constitue ce langage partagé qui unit et soude les membres, tous friands d’émancipation. Ce langage est signifiant, unifiant et facteur de développement. Pour ce faire, il a été auparavant poli, acté, consenti, afin de se pérenniser par-delà les époques et les générations.

Apprenti, on est invité à se débarrasser d’une enveloppe profane alourdie par les scléroses et les stéréotypes sociaux et éducatifs, et à rentrer dans les profondeurs de soi-même et s’y mieux déceler.

Compagnon, on accoste sur des rives peuplées. Peuplées d’autres comme soi, d’une même valeur, d’une même richesse, tant il est vrai qu’il n’est « de richesse ni force que d’hommes », comme le dit Jean Bodin. C’est l’instant pour entrer dans une sollicitude gratuite pour autrui. C’est l’instant du compagnonnage.

Et nous voilà maîtres. Dignes de siéger parmi nos pairs, et comptables de la bonne marche du groupe.

Plus tard, dans la poursuite du continuum initiatique du Rite Français, les thèmes qui se succèdent conduisent le maçon de la vengeance jusqu’à l’accomplissement. Le cheminement est basé sur le principe similaire d’une extraction de sa condition originelle. On rejette le Talion pour entrer dans un traitement rationnel du délit, puis trouver son unité et se reconstruire, pour s’épanouir enfin. L’émancipation s’impose avec éclat, comme le fil rouge de la progression maçonnique, de la loge bleue jusque dans les ordres de sagesse.

D’une certaine manière, c’est à la qualité de son émancipation qu’on mesure le mieux le maçon. J’avancerai dès lors, au risque de faire mentir une autre devise, celle d’un fameux journal hebdomadaire, que la liberté ne s’use pas que lorsque l’on ne s’en sert pas : elle s’use aussi lorsque l’on s’en sert mal.

Mais comment s’en servir bien ? Quelles sont les clés d’une éducation bien sentie à la liberté ? Il n’y a évidemment pas de recette à ce qui pourrait, aussi bien, se réaliser de façon spontanée, dans un monde idéal, grâce au bénéfice d’un exemple généralisé et d’une immersion permanente.

En attendant le miraculeux avènement, il nous est permis d’esquisser quelque réflexion sur la manière de faire des libres, puis des égaux, en un mot des frères.

Je convoque donc d’emblée un triptyque simple dont la somme des termes correspond peu ou proue à ce que devrait être à mon sens l’éducation, dans son acception la plus étymologique.

Ainsi, l’éducation à la liberté s’appuierait sur trois piliers : la culture, le doute et le détachement, trois voies nécessaires et complémentaires, trois lignes claires d’émancipation. La culture (facteur d’ouverture). Le doute (l’indispensable pas de côté qui permet de tester sa propre édification). Le détachement (l’impérieuse mise à distance de sa propre existence et des paradigmes qui la gouvernent).

La culture ici s’appréhende non comme une donnée statique et mesurable qui permettrait de comparer et d’ordonner les individus entre eux. Il s’agit au contraire d’une posture dynamique d’appétence et d’accession au savoir, sans frontières ni dans le temps ni dans l’espace, d’une force nourrie et inextinguible de s’instruire, d’apprendre, de comprendre, de diversifier les

Science sans conscience n’est que ruine du droit

sources et les domaines, de se tourner vers les sciences, vers l’art, vers l’histoire et la géographie, ou encore la philosophie, pour affiner sa vision du monde.

Le doute est une attitude tout aussi active, qui vise à interroger inlassablement cette culture et les effets qu’elle produit, les données qu’on collecte, les bagages qu’on acquiert, les opinions qu’on élabore, les valeurs qu’on promeut, les propos que l’on tient. Absolument maçonnique, cette recherche de vérités empêche qu’on se confise dans un comportement inébranlable aux conséquences sectaires et excommunicatrices.

Ouvert au monde, capable de se remettre en cause et de changer, on peut alors s’extraire de ses carcans familiaux, éducatifs, sociaux et rompre avec les déterminismes dans lesquels on évolue pour progresser vers un heureux détachement. Outre l’émancipation, le détachement contient la passion, favorise l’écoute et gomme les raidissements qu’on voit trop souvent poindre au cœur de la controverse.

Insatiable de la connaissance qui ouvre l’esprit, pétri du doute qui édifie, nanti d’un détachement qui place à bonne distance, le maçon lucide est muni de tous les outils pour « se servir de son propre entendement », opérer un libre arbitre sur les gens, les choses et les idées, et exercer au mieux sa liberté absolue de conscience.

C’est pourquoi la franc-maçonnerie libérale a l’ardente obligation de conserver intactes les méthodes qui sont les siennes.

Le caractère spéculatif du travail fourni, la progressivité, la qualité de la parole, la confrontation permanente des points de vue et l’abolition des barrières sociales forgent le caractère de ses adeptes et les guident vers leur propre entendement.

Par le travail spéculatif, la réflexion et l’intelligence collective, l’initié active ou accélère sa capacité à découvrir et accroît son capital culturel.

Au travers de la progressivité et du débat, il progresse par incrémentations successives, validant ainsi ses conclusions pas après pas, et les teste dans l’exercice de la parole contradictoire, s’aguerrissant à douter, peser, statuer.

Grâce à la discussion de plain-pied et scénographiée, qui aplanit les différences, il s’imprègne de toutes les opinions et peut s’essayer à diluer ses propres marqueurs, se plaçant à distance pour mieux entendre l’autre.

Le rite est de nature à conforter ce processus. Dans le cas du Rite Français, l’invitation limpide au libre examen et à la transmutation permanente des valeurs de l’obscurité vers la lumière installe une démarche qui décille les yeux du pratiquant sur son humaine condition.

En période d’instabilité, d’assombrissement tribal des consciences et de régression des droits et des libertés, souhaiter, comme il en est fait mention dans les rituels de sagesse du rite Français, que l’ordre demeure, s’avère, au fond, furieusement révolutionnaire.

Le secret maçonnique par Henrijean Fumel

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