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Les modèles interprétatifs du « handicap » et le paradigme de lʼinfluence réciproque

Deux modèles principaux caractérisent les conceptions du « handicap » : le modèle individuel et le modèle social (Rioux, 1997 ; Barral, 2007). Les acteurs de lʼéducation spécialisée, selon leurs formations et/ou leurs options, de façon explicite ou implicite, y font appel et s' y référent pour ce qui est de la définition du handicap, de la conception des variables de la « situation de handicap » et de lʼinterprétation du « handicap de situation observable ».

Le modèle individuel: le cadre de référence est le modèle médical ou diagnostique

–« parce quʼil tient surtout compte des déterminants médicaux individuels

(pathologies, déficiences, incapacités). Il conçoit le handicap comme le problème dʼun individu donné («cʼest lui qui est handicapé»), caractérisé par une anomalie (déviation par rapport à une norme). La conséquence en est la conception de solutions sʼadressant à cet individu quʼon va « rééduquer », « réadapter » à une société dont il sʼécarte, dont il dévie .»- (Delcey 2002). Lʼobjet de l'étude est le déficit, identifié au handicap ou conçu comme étant le facteur déterminant premier du handicap.

Le modèle social: le déficit et le handicap sont deux entités bien distinctes qui entretiennent entre elles des relations socialement déterminées selon leur forme et leur intensité.-«(…) le handicap est moins perçu comme une anomalie (dʼun individu) que comme une différence (diversité) à intégrer dans un ensemble; ce modèle insiste sur les causes socio-environnementales (barrières architecturales, préjugés sociaux, règles officielles…) des situations vécues par un membre différent de la communauté. »- (Delcey 2002).

Ravaud (1999) propose de décliner ces modèles selon les différentes façons de penser et dʼagir envers les personnes en situation de handicap. Une typologie des approches « du handicap » est alors possible sur la base du rapport que chacune dʼentre elles entretient avec les deux modèles et selon les priorités identifiées sur le plan de « lʼattribution causale », des « options dʼintervention », des « domaines de référence » et de la « responsabilité sociale » (tableau 1). Quatre orientations principales de lʼapproche à la situation de handicap se dégagent ainsi sur la base des différences observables quant aux approches véhiculées par ces modèles: la première est orientée surtout sur la déficience, la deuxième opte pour lʼincapacité, cʼest-à-dire la limitation de lʼhabileté, la troisième se focalise sur lʼenvironnement et la dernière sur la dimension sociétale.

Au-delà de la pertinence de ces approches pour la restitution de la richesse et la complexité de la problématique, il est difficile de ne pas se référer à ces quatre axes ou à ce quʼils représentent lors de la réflexion sur la relation éducative et les situations dʼinteractions en éducation spécialisée et inclusive.

Modèle individuel Modèle social

Approche bio-médicale fonctionnel environnemental par les Droits de l’Homme

Cause principale

Problème de santé Problème de santé Limitation

environnementale Non-respect des droits humains Stratégie d’intervention; traitement Prévention

guérison Compensation fonctionnelle et financière

Aménagement de

l’environnement Réforme de la société Exemple :

déficience Visuelle

Traitement médical et

chirurgical Prothèses (lunettes) d’autres supports de Disponibilité communication Diversification systématique des supports de communication Exemple : déficience Intellectuelle Prévention, sélection

génétique, traitement spécialisée Éducation Éducation intégrée avec soutien spécifique

Changements des critères scolaires Domaines de

référence

Politique sanitaire Politique sociale: discrimination positive.

Non-discrimination Politique des droits de l’homme Tableau 1 - Synthèse des quatre approches (Barral, 2007, dʼaprès Ravaud, 1999)

Chacune de ces approches fait appel à des évidences, mais aucune ne fait lʼeffort de dépasser les limites des réductionnismes que lʼun et lʼautre des modèles véhiculent par la perspective exclusive qu'ils assument (cf. Ravaud et Stiker, 2000b, p.13).

Lʼoption la plus proche du paradigme de lʼinfluence réciproque est représentée par une troisième voie, un modèle qui prône une vie indépendante dans une société accessible et propose de considérer en même temps une dimension environnementale, les droits de lʼhomme et une approche individualisée. Le traitement est à la fois individuel et collectif. La responsabilité de la société est dʼidentifier et d'éliminer des difficultés individuelles et des barrières sociales et

psychologiques (Barral 2007). Cette option reflète lʼévolution conceptuelle internationale récente, en particulier celle de lʼOMS41, mais aussi celle de lʼAAMD (depuis 2006 AAIDD)42 pour ce qui concerne en particulier les personnes ayant une déficience intellectuelle, dans le sens où elle oriente les efforts de définition et de classification du handicap dans une perspective systémique des apports des modèles individuels et sociaux.

Plusieurs efforts on été réalisés dans cette optique après la conceptualisation du handicap en tant que variable contextuelle. On distingue les travaux qui reconnaissent dans (1) les situations de la vie qui conditionnent le handicap et la (2) subjectivité les éléments fondamentaux du système (Hamonet, 1990 ; Hamonet et Magalhaes, 2000) de ceux qui proposent la caractérisation dʼun processus de production du handicap par un système dynamique plus complexe qui considère directement lʼinteraction simultanée de facteurs personnels et environnementaux (Fougeyrollas ; 1998).

Ces deux types dʼapproches ont des analogies avec plusieurs instruments et modèles réalisés pour identifier et analyser, voire classer et manipuler lorsque cela est possible, les facteurs déterminants des situations de handicap retenus par leur auteurs (Minaire,1992 ; Canevaro, 1999 ; Ravaud et Stiker, 2000a). Elles reflètent une conceptualisation claire et non ambiguë de la perspective systémique dans la mesure ou elles refusent explicitement une responsabilité individuelle de la personne qui a un déficit ou une incapacité sur nʼimporte quelle situation de handicap.

Hamonet propose « Le Système dʼidentification et de mesure du handicap – SIMH » (figure 8). Ce système fonde ses potentialités sur lʼinteraction entre les quatre variables principales suivantes:

1. le corps: tous les aspects biologiques du corps humain, avec ses particularités morphologiques, anatomiques, histologiques, physiologiques, et génétiques ; 2. les capacités : les fonctions physiques et mentales indépendamment de

lʼenvironnement où la personne se trouve ;

3. les situations de la vie : la confrontation entre une personne et la réalité dʼun environnement physique, social et culturel ;

4. la subjectivité : le point de vue de la personne, c'est-à-dire de ce que ressent la personne qui vit des situations de handicap.

41 Selon la C.I.F. (Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé) la

nouvelle classification internationale proposée par l’OMS (2001) le handicap prend en compte simultanément les facteurs organiques, les activités et la participation. Il désigne les aspects de l’interaction entre un individu et les facteurs contextuels dans lesquels il évolue (environnementaux et personnels).

42 American Association on Mental Deficiency (actuellement American Association on Intellectual and Developmental disability). Définition (2002): - le retard mental est une incapacité caractérisée par des limitations substantielles à la fois dans le fonctionnement intellectuel et dans le comportement adaptatif tel qu’il s’exprime dans les habiletés adaptatives conceptuelles, sociales et pratiques. Cette incapacité se manifeste avant l’age de 18 ans -.

Ce modèle parvient essentiellement à englober lʼapproche individuelle (bio- médicale et fonctionnel) dans lʼenvironnementale.

Figure 8 - Modèle de référence du Système dʼidentification et de mesure du handicap (SIMH).

La subjectivité étant une composante évidente, bien que souvent négligée, on peut toutefois observer que la dimension des droits et de la participation à la collectivité nʼest pas intégrée de façon explicite à lʼintérieur du modèle. Du SIMH dérive le handitest qui est un outil dʼévaluation de la situation de handicap.

Le deuxième modèle (figure 9) propose un dispositif plus articulé : le processus de production du handicap (PPH) .

Il sʼagit dʼun modèle explicatif des causes et des conséquences des maladies, traumatismes et autres troubles qui intègre l'ensemble des composantes de l'adaptation, de la réadaptation et de l'intégration sociale des personnes ayant des incapacités.

Le PPH fait appel à quatre facteurs déterminants et aussi à une série dʼéléments clés:

- les facteurs de risque ; - les facteurs personnels ;

- les facteurs environnementaux ; - les habitudes de vie .

Le modèle propose une représentation des processus majeurs du système dans le but déclaré de faciliter l'adaptation, la réadaptation, l'intégration sociale et la réalisation des habitudes de vie de personnes ayant des incapacités, finalité que lʼon retrouve bien évidemment à lʼintérieur de la procédure dʼaction qui découle du PPH (figure 10).

Figure 10 - Les phases de lʼaction du programme individualisé à partir du PPH.

Lʼavantage opératoire de la perspective systémique, au-delà de lʼimpact culturel et sociétal, mais sans le négliger, est dʼattirer lʼattention sur un ensemble de processus dʼinfluence. Ces derniers sont en interaction et ils interviennent dans la détermination de la situation de handicap identifiable à un moment donné de la

vie dʼune personne et par (ou pour) cette personne en rendant par là possible dʼentreprendre plusieurs actions profitables à lʼévolution de la participation et des déterminants de sa vie quotidienne.

La situation est conçue comme étant un produit dynamique dont lʼanalyse trouve ses appuis à lʼintérieur du paradigme de lʼinfluence réciproque. Étant donné la spécificité du modèle et son intérêt pour nos propos, nous reprenons les éléments présentés dans la modèle ainsi que leur définition :

(1) le facteur de risque est un élément appartenant à l'individu ou provenant de l'environnement susceptible de provoquer une maladie, un traumatisme ou tout autre atteinte à l'intégrité ou au développement de l'organisme ;

(2) une cause est un facteur de risque qui a effectivement entraîné une maladie, un traumatisme ou tout autre atteinte à l'intégrité ou au développement de l'organisme ;

(3) un facteur personnel est une caractéristique appartenant à la personne (lʼâge, le sexe, l'identité socio-culturelle, les systèmes organiques et les aptitudes) ; (4) le système organique: un ensemble de composantes corporelles visant une fonction commune ;

(5) la déficience: une atteinte anatomique, histologique ou physiologique d'une composante d'un système organique ;

(6) lʼaptitude: la possibilité pour une personne d'accomplir une activité physique ou mentale ;

(7) lʼincapacité: la réduction d'une aptitude à accomplir une activité physique ou mentale ;

(8) le facteur environnemental: une dimension socioculturelle ou physique qui détermine l'organisation et le contexte d'une société ;

(9) les facilitateurs et les obstacles: des facteurs environnementaux qui lorsquʼils entrent en interaction avec les déficiences, les incapacités et les autres caractéristiques d'une personne, favorisent ou entravent la réalisation des habitudes de vie ;

(10) lʼhabitude de vie : une activité courante ou un rôle social valorisé par la personne ou son contexte socioculturel selon ses caractéristiques (l'âge, le sexe, l'identité socioculturelle, etc.) ;

(11) la situation de participation sociale et la situation de handicap: elles correspondent au degré de réalisation des habitudes de vie, résultant de l'interaction entre d'une part, des déficiences, des incapacités et des autres caractéristiques personnelles et d'autre part, de facilitateurs ou des obstacles environnementaux. Ces situations se mesurent sur une échelle qui va de la réalisation complète à la non réalisation des habitudes de vie.

Le changement de perspective inscrit dans le modèle systémique nʼest toutefois pas facile à être assimilé et accommodé dans une compréhension globale. Les considérations de Delcey (2002) lors dʼune discussion de la conception actuelle des situations de handicap (dans le cas spécifique le modèle du PPH) et de la représentation des interventions visant à favoriser la participation sociale, en sont

un exemple. Dans ce cas, les ajustements proposés pour modifier au mieux la situation de handicap intéressent directement la personne (par la modification du profil des capacités et des incapacités), ses relations avec le contexte (rôles valorisés et activités) et lʼenvironnement, mais il est tout aussi vrai quʼà lʼintérieur de la lecture proposée de la situation, le positionnement et la différenciation entre des mesures individuelles et des mesures sociales et des responsabilités envers leur actualisation, dénotent des ajustements (fort probablement attribuables à des facteurs contingents dictés par le cadre macro du système dans lequel ils voient le jour et que lʼon ne pense pas à modifier) qui signalent la persistance de la dominance de la condition individuelle à la responsabilité sociale.

Dans ce cas, on prône certainement lʼinteraction et lʼintégration de ces deux types de mesures, mais on ne prend pas en considération une troisième voie qui est propre au PPH et à lʼidée dʼinclusion et qui concernent la possibilité dʼenvisager des « mesures individuelles et sociales » et des mesures « sociales et individuelles », cʼest-à-dire, des réponses et des actions dʼattention à la singularité et à la collectivité qui de part (individu) et d'autre (société) interagissent mutuellement et favorablement, à court, moyen ou à long terme, sur les conditions dʼinteraction et de vie de toute personne à lʼintérieur dʼun environnement (lʼunivers physique et sociale spécifique).

Prenons l'exemple du modèle dʼaccompagnement éducatif lié à lʼassurance dʼun droit individuel. Ce modèle affirme la reconnaissance dʼun droit, et le principe de solidarité sociale qui en est à la base. Il considère également lʼévolution des mesures et des arguments, par la correspondance à posteriori entre une « situation » et une mesure individuelle de « compensation », de « réadaptation » et/ou de « accompagnement », reconnue par la communauté en terme de droit au financement.

Cette démarche comporte une limite dans la mesure où elle entrave et freine, par cette délimitation à lʼindividu et à une « condition observable», lʼouverture à la reconnaissance du droit au financement et à lʼimplémentation de mesures sociales et sociétaires dʼaccessibilisation et de non-discrimination à priori. La mesure individuelle nʼintervient quʼà posteriori, sur la base du risque assuré, tandis que la mesure sociale est censée agir en amont de la situation de handicap.

Dans le premier cas, la mesure intervient après l'identification dʼune discrimination (lʼimpossibilité dʼaccès à un édifice, à un service, de la négation dʼun droit suite à la non accessibilité dʼun service, …), cʼest-à-dire, la reconnaissance sociale et institutionnelle, de la nécessité dʼun mesure individuelle.

Dans le deuxième (suite aux attentions accordées aux possibles discriminations de toute personne), elle est prévue et prédisposée avant même que le problème se pose à un individu en particulier lors de ses confrontations spécifiques avec lʼune ou lʼautre des situations du ressort de son écosystème.

La « situation de handicap » et le « handicap de situation »