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La requalification du malade à l’hôpital, au carrefour du droit et de la qualité

Référence 51 : La satisfaction du patient et de son

3.3. Un modèle négocié de concertation

La recherche-action en santé est un processus dynamique et court conduisant à l'élaboration, à la mise en œuvre et à l'évaluation d'une action ou d'un ensemble d'actions, dans le but d'améliorer une situation existante. Ce processus nécessite initialement un consensus entre les partenaires, sur les objectifs et les moyens. C’est une démarche participative. Elle a pour objectif de répondre aux problèmes concrets que se posent les praticiens de terrain et ainsi de modifier leur pratique. La démarche a pour objectif d'aboutir à des transformations institutionnelles. Elle est envisagée comme un moyen d'introduire un changement dans la pratique quotidienne et d’entraîner une « transformation sociale ».

Il s’agit dans un premier temps, à l’occasion de réunions et de recherches de données sur le terrain, de produire avec le groupe de professionnels de la réflexion sur leurs pratiques et les problèmes qu’ils rencontraient. Les réponses proposées pour les résoudre ont été débattues dans le groupe. L’équipe d’intervenants ne se pose pas comme « expert » et décideur. Cette démarche

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Kuty O. et Vranken D. (2001) La sociologie et l’intervention, Bruxelles, De Boeck, 96.

participative visait à ce que les acteurs-professionnels de santé se transforment en « co-auteurs » du changement social. La discussion était au centre du processus de recherche. Les professionnels étant au cœur des contradictions organisationnelles, économiques, culturelles, etc., l’élaboration de solutions devait tenir compte des acteurs concernés afin de permettre, d’une part, la mise en œuvre des actions et, d’autre part, de ne pas mettre les professionnels en difficulté.

Le dispositif est pensé comme « un processus de conception négociée et distribuée » (Callon200). Le projet n’est dans ce modèle connu qu’à la fin. Ce qui est mis en place, c’est une forme d’organisation et de gestion qui permet la progressive formalisation d’un programme, qui n’est pas défini a priori. Cette formalisation progressive s’appuie sur la constitution d’un groupe qui comprend des professionnels médicaux et intervenants de santé publique. Les intérêts, les conceptions et les points de vue du groupe évoluent au fur et à mesure que le projet avance ; la matière est mise en forme progressivement. Les intervenants extérieurs sont dans cette perspective des médiateurs qui mettent en relation, qui combinent les points de vue et les font évoluer. Il y a un processus de création et d’apprentissage tout au long du dispositif. Les objectifs initiaux ont une grande plasticité et la résolution des problèmes n’est pas linéaire. La flexibilité du projet est importante car elle absorbe la réactivité des acteurs, des dimensions nouvelles peuvent être intégrées tout au long du projet, bien que le découpage du dispositif soit séquentiel. Les acteurs élaborent et coordonnent ensemble les actions promues. Le scénario est élaboré collectivement et progressivement, ce qui le différencie grandement d’un modèle hiérarchique. Les uns amendent ce que d’autres proposent ; en théorie tous participent à l’élaboration du projet, l’existence d’un faisceau de relations personnelles et de proximité culturelle préexistantes devant faciliter cela.

Schématiquement, la démarche était constituée de 4 phases. Une première phase d'identification de la situation initiale, pendant laquelle le groupe de professionnels et de chercheurs, a mis à jour et définit des éléments qu'ils jugeaient utiles voire nécessaires de transformer pour les améliorer. Une

200

Callon, M., (1997), Concevoir : modèle hiérarchique et modèle négocié, in L’élaboration des projets architecturaux et urbains en Europe sous la dir. de M. Bonnet, Paris, Plan Construction et Architecture, 169-174.

seconde phase d'élaboration et de projection des actions, qui correspond à un dispositif itératif entre les acteurs, visait la définition d'actions à entreprendre pour réaliser les transformations envisagées. Une troisième phase de réalisation des activités prévues a été laissée à l'instigation des praticiens et à leur organisation interne. Et enfin une quatrième et dernière phase d'évaluation des résultats obtenus a consisté en l'explicitation des actions mises en place par les professionnels.

Cette démarche devait permettre de « penser et de promouvoir les

conditions nécessaires à la mise en place d’une information adaptée aux attentes des personnes malades, aux objectifs des professionnels et aux nouvelles exigences juridiques ». La démarche était pensée aussi comme une

« démarche réflexive » pour les professionnels du groupe. Grâce à la démarche réflexive, le projet devait créer les conditions d’application des dispositions légales par l’aménagement des pratiques. Le thème de travail retenu initialement était le rapport aux « malades » en particulier en lien avec la question de l'information.

Ce thème a occupé une place très différente dans les divers temps de l'intervention. Si la composante informationnelle du rapport aux personnes malades est restée en filigrane, sa dimension strictement relationnelle, a pratiquement disparu à partir de la phase de projection des actions à entreprendre201. Le groupe a reconnu l'intérêt d'un projet sur la relation au malade et la nécessité d'améliorer l'information pour ce dernier dans la première phase d'évaluation. Cependant, assez vite, le problème des dysfonctionnements dans le flux d'entrée et de sortie des personnes a focalisé l'attention du groupe à partir de la phase de projection. Pour les médecins du groupe, la résolution des problèmes organisationnels devait être un « préalable » à la mise en place de dispositions spécifiques en direction des personnes. Nous ne pouvons dire quelles auraient été les conditions de félicité et d'échec du projet, le DIES et l’équipe n’avaient pas d'autres objectifs cibles que de faire travailler les médecins

201 Cf. annexe 10 : Tableau récapitulatif des points mobilisés par le groupe de travail dans le cadre de la recherche-action

sur les droits des malades. C’est pourquoi nous avons appréhendé la démarche dans sa composante pragmatique.

Conclusion chapitre 3 : La démarche participative comme ancrage empirique de la requalification

Notre recherche ne vise pas ici à interroger le droit et les réglementations, mais les usages qui en sont faits par les acteurs à un niveau local. Cela nécessite de tenir compte du point de vue des acteurs et de leurs stratégies et de saisir la régulation locale des acteurs.

La mise en qualité de la relation malade-médecin apparaît comme une véritable mise à l’épreuve des dispositions légales en faveur des « malades ». L’étude de la production de procédures visant l’intégration des contraintes légales et administratives est un moyen privilégié pour saisir, à travers le processus de rationalisation et de mise en qualité de l’activité médicale, les attributs de la loi et des modes légitimes d’évaluation des droits des individus promus par les professionnels. La définition des attributs des usagers et des modes légitimes de traiter les problématiques soulevées touche à la fois les conditions d’échanges entre médecins et malades et le statut de chacune des parties. L’ambiguïté et la complexité inhérente à toute démarche de normalisation nécessitent une approche ayant un fort ancrage empirique, seul à même d’étudier les différents mécanismes d’élaboration à l’œuvre, ainsi que les modalités concrètes de leur utilisation par les acteurs.

La démarche participative redéfinit les contours de la loi et de la requalification des individus, car plus qu’un raffinement de vocabulaire ou un prétexte au nom duquel sont mises en œuvre des dispositions particulières, le droit nécessite une redéfinition pratique, organisationnelle et cognitive du statut de la personne hospitalisée que nous allons analyser dans les deux prochains chapitres.

Chapitre 4

Le traitement de l’information : une dialectique entre déontologie médicale et respect de l’autonomie des personnes malades

La question de l’information destinée à permettre à la personne de donner un consentement éclairé aux investigations proposées est une question récurrente de l’éthique médicale. L’obligation légale de l’obtention du consentement fait apparition dans la loi française en 1942 (arrêt Teyssier de la cour de cassation) : un médecin « est tenu, sauf cas de force majeure, d’obtenir le consentement du malade avant de pratiquer une opération (…) en violant cette obligation, imposée par le respect de la dignité de la personne humaine, il commet une atteinte grave aux droits du malade … ». L’importance de cette obligation est soulignée par la loi du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, en posant le principe que la personne participe à la décision médicale : « toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé ». Le consentement apparaît comme un élément fort, intimement lié au droit à l’information.

La notion de consentement réordonne le sens de la relation médicale de sorte que la justification de la compétence du médecin ne peut plus s’imposer contre la volonté de la personne. Or, selon l’article 35 du Code de déontologie, le médecin peut taire certaines informations à l’individu s’il estime que leur délivrance aura des conséquences fâcheuses. Ainsi, la loi du 4 mars 2002 semble être en contradiction avec le « privilège thérapeutique » ne de pas dire l’information pour le « bien » de la personne. Aussi, la question du traitement du droit à l’information met en évidence les processus de raisonnement des praticiens et les modes de reformulation des valeurs de la déontologie médicale nécessité par la requalification du statut des personnes et la définition de leur autonomie.