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La requalification du malade à l’hôpital, au carrefour du droit et de la qualité

Référence 51 : La satisfaction du patient et de son

4.1. Le maintien du pouvoir décisionnaire

A la reconnaissance au médecin par le Code de déontologie médicale du pouvoir de ne pas informer la personne malade succède la reconnaissance pour celle-ci du droit de recevoir les informations du professionnel. Il est difficile de trouver un juste équilibre pour les professionnels entre la proposition légale de laisser l’individu prendre les décisions relatives à sa santé et l’exigence de la déontologie médicale à maintenir le médecin dans sa responsabilité de décideur.

4.1.1. Le traitement instrumental de l’information

Les normes sur la prise de décision dans ce cadre thérapeutique font consensus entre chirurgiens et cardiologues. Les médecins reconnaissent collectivement la nécessité d’informer des actions entreprises et de leur finalité, tout en prenant eux seuls la bonne décision. L’information doit servir le consentement mais elle ne présume pas d’un choix ou d’une décision laissée à l’arbitrage du futur opéré. L’information délivrée doit servir le consentement, partiellement informé, à la décision thérapeutique. Il importe aux médecins de ne pas laisser prendre aux individus une décision qui les exposerait à une aggravation de leur état de santé.

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Pour moi, il n’est pas question que ce soit les malades qui choisissent. C’est aux médecins de trouver la seule et bonne solution pour eux, de leur expliquer ce qu’ils ont et pourquoi, ce qu’on va leur faire, comment on va leur faire, les conséquences et ce qui se passera après. Il faut les accompagner à chaque

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Le Professeur L. est chirurgien cardiaque adulte et pédiatrie. Il a 56 ans. Il est responsable d’un département de chirurgie cardiovasculaire depuis 1992. Il est responsable du département de pathologie cardiaque de l’institut depuis son ouverture. Il est également directeur de recherche du centre de recherche IMM créé par la Fondation de l’avenir. Il pratique des recherches sur les prothèses valvulaires et la robotique appliquée à la chirurgie. Il enseigne et a rédigé de nombreux articles sur ses recherches. Il s’est formé aux techniques du management.

moment, où ils sont et s’il existe un décalage avec ce qu’on attendait, leur pourquoi et si c’est transitoire ou définitif. Sinon, les malades risquent de ne pas comprendre pourquoi on ne les tient pas au courant. L’information au patient c’est : « lui faire savoir pourquoi on pense que ce qu’on lui fait est bien pour lui ». Si les médecins font cela, ils remplissent leur mission.

Ce médecin a une perception « paternaliste » de la relation médicale, qui fonde le refus du droit à la décision médicale de l’individu. Dans le modèle paternaliste de la médecine, la spécificité de la relation humaine entre le médecin et l’individu est à la base du rapport inégalitaire qui se construit entre un médecin détenteur de savoir et de pouvoir, d’une part, et un individu vulnérable, d’autre part. Si la relation paternaliste reste une relation fondée sur un principe d’humanité, elle ne respecte pas l’autonomie de l’individu, elle fait de celui-ci le centre de l’activité de soins. Le paternalisme médical incite à l’ingérence dans le choix de l’individu afin de s’assurer que la bonne décision sera prise et de répondre à la nécessité thérapeutique. Cela se manifeste par un traitement instrumental de l’information à la personne.

Il y a une persistance d’une position paternaliste dans la prise de décision. Il n’y a pas de choix ou de décision laissée à l’arbitrage du futur opéré. Si l’information est délivrée, c’est avant tout, pour servir le consentement. Cette posture repose sur les risques que prendrait la personne en cas de non-intervention ou d’« erreur de jugement ». Il s’agit de taire les informations qui brouilleraient davantage les facultés de jugement de la personne. Ainsi, le médecin oriente fortement les choix des personnes, y compris dans le cadre du consentement « éclairé ».

Extrait entretien cardiologue 2203

Les gens pensent qu’ils sont mieux soignés si on leur explique. Mais quand on parle au patient, on l’amène là où on veut l’amener. Si on le laissait nous emmener là où on pense que ce n’est pas bien pour lui, on ne serait pas de bons médecins. Quand on croit que la solution est la meilleure, il faut lui faire admettre. Il ne s’agit pas de négocier. Quand on pense au

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Le docteur C. est cardiologue (C2). Il a 46 ans. Il réalise des consultations et pratique les écho-doppler cardiaques.

meilleur choix, on essaye d’y amener le patient. S’il est réticent, on lui propose d’aller prendre un autre avis. Quand il y a plusieurs solutions, on tient compte de la psychologie et du contexte mais on a toujours une préférence.

La déontologie fait de l’autorité médicale un devoir qui peut légitimement contraindre l’autonomie de la personne en donnant des informations tronquées, favorisant un choix identique à celui du médecin. Le médecin vise l’efficacité thérapeutique et se prémunie d’un éventuel refus de soins qui aggraverait la situation initiale. La posture médicale de ces médecins attache les conditions de divulgation de l’information à l’efficacité thérapeutique.

4.1.2. La responsabilité d’autrui

La décision thérapeutique est la prérogative de l’autorité médicale car elle supporte la responsabilité morale des médecins.

La probité professionnelle et le devoir médical engagent le praticien et le rendent responsable de la personne qu’il prend en charge. La conception de la responsabilité morale du praticien subordonne l’autonomie de la personne au bénéfice de l’efficacité thérapeutique. Le pouvoir décisionnaire du médecin s’accompagne de la responsabilité lourde d’assumer seul, la décision prise et ses conséquences.

Extrait entretien chef de service-chirurgien

Il y a deux hypocrisies en médecine. D’abord, laisser le malade choisir entre deux thérapeutiques car le médecin ne prend pas ses responsabilités, qui est de choisir. Et si cela ne marche pas, on dit que c’est la faute du malade. Quand je ne sais pas, je le dis au malade, sinon, en mon âme et conscience, je choisis la meilleure solution. Ensuite c’est faire croire qu’en le faisant lire un document il sera au courant et exorcisé des complications. Faire signer une décharge, c’est le signe d’un échec professionnel considérable. Cela pose un problème professionnel réel. Si on fait cela, c’est que l’on a peur et que l’on fait mal son métier. Ce n’est pas convenable du point de vue de la morale professionnelle. On ne remplit pas notre mission.

On est là pour faire un travail, l’expliquer, donner confiance aux gens.

C’est le principe de bienfaisance qui engage le médecin à faire le bien pour l’individu. Ce principe est fondé sur la responsabilité des praticiens à protéger la personne « fragile ».

4.1.3. Des personnes vulnérables

Nous venons de voir que le médecin détermine la décision car d’une part la personne est jugée incompétente et d’autre part elle est jugée vulnérable. Le format d’information délivrée n’est pas la conséquence d’un déni des droits à l’information de l’individu mais le corollaire de ses états mentaux.

Les attentes présumées des personnes en matière d’information, mobilisées par les médecins, sont, d’une part, le fait d’avoir une connaissance sur leur état de santé et sur le déroulement de l’intervention chirurgicale et, d’autre part, le fait d’ « être rassuré ». Sur ces trois éléments il y a consensus. Les médecins disent volontiers communiquer sur ces trois dimensions, même s’ils ne semblent pas questionner le degré d’assimilation des informations transmises ou le degré de satisfaction des personnes face aux réponses qu’ils apportent à leurs questions. Le privilège thérapeutique permet au médecin de décider de taire une information jugée traumatisante pour la personne et d’orienter ses choix car sa lucidité est brouillée momentanément par son état émotionnel. La vulnérabilité de la personne la rendrait trop fragile face à des informations « angoissantes ». La position des médecins de taire une partie des informations limite ainsi la capacité de l’individu à faire un choix informé et à s’autodéterminer.

Extrait entretien cardiologue 3204

Je demande l’accord de la famille, je n’en parle pas toujours au patient quand c’est trop anxiogène. Je pars du principe que les

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Le docteur L. est cardiologue (C3). Il a 47 ans. Il réalise des consultations et de la cardiologie interventionnelle. Il a complété sa formation en cardiologie interventionnelle aux Etats-Unis.

gens sont inquiets, je suis rassurant sur l’avenir sans mentir. L’angoisse est démoniaque, je préfère même être faussement rassurant plutôt que de jouer la carte de la franchise.

Le cardiologue dit adopter une démarche « rassurante et empathique » et prévient la famille en cas de risques prononcés. L’interlocuteur privilégié du médecin n’est pas l’individu mais son entourage. La dimension « psychologique » subordonne l’information exhaustive pour protéger le malade de l’« angoisse ». La justification du paternalisme médical affirme que l’individu est intrinsèquement dans un état le rendant inapte à prendre des décisions pour lui-même. Il s’agit de taire les risques qui pourraient inquiéter la personne, au point de la faire renoncer à l’intervention, au prix d’une aggravation de son état de santé.

Même pour les médecins qui disent informer les personnes, l’information sur les risques opératoires est sujette à caution. Cependant, si le médecin suspecte le document de consentement aux soins d’être possiblement anxiogène, le document est donné. Les informations sont reformulées de manière à parvenir à un consensus sur l’énonciation des risques et des bénéfices du traitement.

Extrait entretien cardiologue 2

Sur les risques, on en fait mention mais on n’insiste pas trop, on n’est pas sadique. Si les gens veulent le savoir, on leur dit. Mais je suis consterné par certains documents sur la coronarographie. Il y a un malade on lui a donné tellement d’information sur la coronarographie, qu’il est parti. C’est pareil pour le médicament si vous lisez les contre-indications, vous ne le prendriez pas.

Ici, le formulaire d’information sur la coronarographie a été discuté, modifié. La synthèse est acceptable. En principe, il devrait être signé. Cela ne remplace pas les explications orales. Mais les gens sont contents de l’avoir car cela leur permet d’avoir des renseignements.

La reconnaissance de l’individu dans ses capacités de compréhension ne vient pas à bout de la justification du paternalisme médical, concernant les états émotionnels, cependant l’échange est favorisé.

4.1.4. Une demande d’information entendue

Les médecins peuvent réaliser une reformulation cohérente pour leur pratique du droit à l’information des malades.

Le médecin anesthésiste reconnaît des capacités cognitives aux individus au- delà de leur seule émotivité. En effet, en dépit des craintes que peuvent avoir certains médecins quand au fait que l’individu trop informé sur les risques opératoires renoncerait à une intervention, des médecins informent sur les risques opératoires. Il s’agit ici de doter les individus de savoirs opératoires et de rechercher par le dialogue à déchiffrer la compréhension par les personnes de la proposition thérapeutique, en explicitant les modalités du traitement et son bien- fondé et d’entretenir leur confiance. L’information sert « l’alliance thérapeutique ».

Extrait entretien chirurgien205

Le médecin est moins en position de démiurge, il faut donner des réponses, les gens apprennent des choses, ils posent de bonnes questions, on ne peut plus imposer le droit divin comme avant, ils sont moins respectueux vis-à-vis des médecins de manière positive, plus exigeants. En ce qui concerne ce que je dis au malade, j'ai un discours très stéréotypé, quelle que soit la personne, le cadre est toujours le même, les mots changent selon le niveau socioculturel. Je fais des schémas et j'ai compartimenté mon discours : la confirmation du diagnostic, le rappel de qui a adressé et pourquoi, dire ce qu'on fait, je fais des petits schémas, je donne les risques en pourcentages, je ne parle pas de mort mais d'accidents graves, des modalités concrètes de la prise en charge thérapeutique.

L’information orale a ici une valeur supérieure pour les médecins à celle du support écrit. Il ne s’agit pas de laisser une trace de l’information afin de se protéger d’une éventuelle procédure en justice. Il s’agit bien de dialoguer avec l’individu, de le rassurer tout en donnant les informations.

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Le docteur B. est chirurgien cardiaque adulte. Il a 59 ans. Il est à l’institut depuis son ouverture. Il est membre de sociétés savantes et dans des comités de rédaction de journaux médicaux. Il a connu une expérience de procès suite à un incident opératoire.

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J’explique systématiquement le déroulement de l’intervention car à mes débuts, je m’étais aperçu que les patients n’osaient pas tout demander au chirurgien et petit à petit, devant leurs questions, je me suis dit qu’il fallait mieux leur expliquer. Je décris les grandes étapes de l’intervention. J’explique aussi qu’il y a un risque de transfusion et qu’un médecin d’hémovigilance viendra les voir dans ce cas. (…) Je pense qu’il vaut mieux un bon rapport médecin-patient que de faire signer des papiers au prétexte d’être couvert par la loi. C’est difficile de faire une fiche de renseignement car il faut être exhaustif, au risque de faire peur au patient. Ou alors on fait un papier bidon ou dans le vague, ce qui revient à ce que l’on dit en consultation et cela n’a pas assez de valeur légale car ce n’est pas assez net. Cependant je pense que donner les papiers avant l’hospitalisation, c’est utile car cela permet au patient de poser des questions.

Pour certains praticiens, répondre à la demande d’information des personnes permet de mobiliser ces dernières par rapport à leur prise en charge thérapeutique, de les responsabiliser face à un engagement thérapeutique et par-là même, de les reconnaître dans leur capacité de réflexion et de compréhension.

En reconnaissant à la personne ses besoins en matière d’information, le médecin la rétablit dans sa catégorie de sujet droit. Mais celle-ci n’est pas forcément suffisante pour venir à bout des résistances reposant pour parties sur les problèmes d’organisation interne au service.