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L’information au profit de la surveillance sanitaire : l’exemple du compte-rendu d’hospitalisation

La requalification du malade à l’hôpital, au carrefour du droit et de la qualité

Référence 51 : La satisfaction du patient et de son

5.1. L’information au profit de la surveillance sanitaire : l’exemple du compte-rendu d’hospitalisation

L’information orale étant trop dépendante à la fois de l’émetteur et du récepteur, le choix a été fait de travailler l’homogénéisation et la transmission d’information, avec l’aide de l’écrit. Le travail de standardisation de la transmission de l’information a porté sur le dossier de sortie. Le choix d’un support écrit offre le double avantage de justifier la qualité du service rendu aux personnes et la possibilité de se couvrir en cas de litige.

Nous l’avons vu, le service ne mobilise pas dans le cadre de la chirurgie de support écrit pour fournir la preuve de l’information. De même, il ne s’agit pas ici de fournir la preuve de l’information a posteriori mais plutôt de réaliser une traçabilité de la prise en charge de la personne. Les professionnels conviennent de la nécessité d’informer l’individu à la sortie de l’hôpital.

Extrait réunion groupe pluriprofessionnel

Surveillante210 : Il faudrait que le contenu soit systématisé et uniformisé. Et à la sortie j’ai un peu l’impression qu’on lâche les patients dans la nature, on aurait intérêt à systématiser des documents en rapports avec la pathologie du patient et faire un compte-rendu.

Cardiologue 1 : Je suis complètement d’accord avec vous. Il faut être vigilent sur ce qu’on donne au patient, qu’il aille chez lui ou en convalescence.

Surveillante : Il n’y a rien de systématisé on attend que le patient nous demande s’il veut un compte-rendu.

210

La surveillante du service. Elle a 49 ans. Elle est en charge de l’ensemble des infirmières du département de chirurgie cardiovasculaire adulte.

Cardiologue 1 : C’est là qu’il faudrait organiser ça. La remarque primaire c’était de faire attention sur le contenu de l’information du patient sortant. Là-dessus on peut faire un protocole parce que ça nous oblige à avoir les documents en mains lorsque le malade sort et ça c’est faisable, et c’est probablement réalisable. Les patients aiment avoir leur compte-rendu opératoire, ils sont extrêmement contents, ça à mon avis on peut le faire systématiquement. On peut leur donner leur construit d’observation, d’abord parce qu’ils auront leur dossier chez eux et ça me paraît une bonne chose, quand ils partent ils ont un dossier alors qu’on leur donne en double c’est pareil.

La transmission d’un document écrit à la sortie de l’individu se réalise dans le cadre d’un travail élargi de rationalisation de la sortie des individus. La transmission du document ne s’accompagne donc pas d’un dialogue, mais le permet en dehors du service. Il est laissé à l’individu le choix de s’instruire du compte-rendu par ses propres moyens ou en recourant à un médecin extérieur. Ici, il n’est pas question ici de ce que demandent les individus mais de la façon dont les professionnels perçoivent la demande et la configurent. Les professionnels travaillent ici eux-mêmes le contenu des informations requises. Cependant, la maîtrise de l’information médicale n’appartient plus aux seuls spécialistes, mais se trouve potentiellement partagée avec les « sortants » grâce au format écrit du support en leur possession.

Le groupe définit une procédure qui va structurer le support d’information et donc « l’offre » d’information. Le dossier de sortie est standardisé, sa mise en forme n’est pas dépendante de la demande des individus. Chaque dossier a la même construction et le même langage. Il n’est pas destiné à l’individu, le véritable destinataire est le médecin qui doit surveiller la phase post-opératoire, en centre d’aval de rééducation et à termes en médecine de ville. De même, l’information n’est pas personnalisée, il s’agit d’informations techniques relatives au cas médical et aux modalités de la prise en charge chirurgicale. L’information à disposition de l’individu est contenue dans le cadre de la modalité définie par l’équipe médicale. La mise en forme de l’information répond aux « canons » médicaux du compte-rendu opératoire et fait état des actes thérapeutiques entrepris.

Le choix d’informer davantage les individus quant au traitement dont ils ont fait l’objet, déborde l’impératif de satisfaction de la clientèle, pour soutenir la

qualité de la prise en charge des risques médicaux post-opératoires. Le compromis repose à la fois sur l’utilité d’une telle information pour le suivi médical à l’extérieur et sur la satisfaction de l’individu ayant reçu une information sur les actes thérapeutiques dont il a fait l’objet.

Extrait réunion groupe pluriprofessionnel

Chef de service : Il faut insister sur la qualité des documents des gens qui retournent à leur domicile. Les jeunes ont des risques plus important d’épanchement péricardique, ils sont les plus vulnérables.

La légitimation de ce dossier tient d’abord à la nécessité d’améliorer la surveillance des risques post-opératoires. L’information écrite permet une traçabilité de la prise en charge. Le compte-rendu opératoire mis à la disposition de l’individu à sa sortie va au-delà des exigences légales en matière de dossier médical qui stipule que l’individu peut réclamer une copie de son dossier. La traçabilité de la prise en charge médicochirurgicale est ici indissociable de la survenue des incidents sanitaires et des procès qui peuvent s’en suivre.

La maîtrise des risques de procès passe par une organisation du travail adéquate. Les référentiels sur les contentieux de la Société Française d’Anesthésie et de Réanimation indiquent qu’il importe d’éviter les complications médicales211. Car en limitant les complications médicales, les recommandations limiteraient par conséquent l’exposition des médecins aux risques d’action en justice. Enfin, en cas d’actions en justice, les recommandations permettraient au médecin de disposer des éléments médicaux susceptibles d’être intégrés par les experts dans l’argumentaire juridique. La traçabilité de la prise en charge et une bonne organisation sont une protection contre les litiges. La traçabilité en tant que technique de consignation systématique des informations permet de « suivre » les actions entreprises dans le service et de « remonter » le procès jusqu’à la source des problèmes constatés. Cette disposition rappelle l’assurance qualité, qui suppose la stabilisation des procédures, qui repose sur la connaissance et la consignation des manières de faire d’une part, et sur la

211

Cf. le rapport pour la MIRE de J. Barbot et E. Fillion, (2005), Les professionnels de santé face aux procès, mai.

possibilité de rapporter les actions effectives aux règles connues et consignées d’autre part (Cochoy212). Le compte-rendu d’hospitalisation, en tant que procédure de traçabilité, « permet non seulement de traiter des réclamations mais aussi de s’attaquer aux défauts mêmes du système »213.

La traçabilité de la mise en œuvre thérapeutique n’est pas destinée seulement à un contrôle interne, mais pour un usage externe. La mise à jour et la transmission des pratiques professionnelles et des savoirs sont aussi consécutives de la mise en œuvre du principe de traçabilité, comme dispositif de surveillance, d’identification et d’anticipation des possibles défauts de « bonnes pratiques »214. Ainsi, à l’extérieur de l’établissement, ce document œuvre à sensibiliser les centres de convalescences aux risques post-opératoires des nouveaux arrivants. Il sert également à informer les personnes opérées que la dégradation de leur état, si elle nécessite une réhospitalisation, n’est pas forcément à attribuer à la «non-qualité » du service de chirurgie. L’évaluation des actions entreprises et leur conformité aux critères reconnus est ainsi aussi permise aux experts, en cas de litige, mais pas seulement. Cochoy et De Terssac215 nous rappellent que la politique de qualité cherche à garantir au client qu’un produit ou qu’un service est conçu et fabriqué selon un mode d’organisation stabilisé censé assurer la qualité du produit. La fonction externe de la qualité est aussi de donner un signal sur le marché.

La disposition mise en place par l’équipe vise implicitement à se démarquer de la concurrence en mettant en place un dispositif qui témoigne de la qualité de sa prise en charge et de la prise en compte des demandes des personnes quant à plus de transparences et d’informations sur les actes thérapeutiques. Il est à noter que l’établissement a organisé un colloque médiatisé auprès du grand public, sur le « tout dire à l’hôpital », du temps de notre terrain, en 2000, faisant part du travail mené dans le service.

212

Cochoy, F., (2002), Une petite histoire du client, ou la progressive normalisation du marché et de l’organisation, Sociologie du travail, 44, 357-380.

213

Campinos-Dubernet, M., Marquette, C., (1999), Une rationalisation sans norme organisationnelle : la certification ISO 9000, in Organisation et qualité, Sciences de la Société, n°46, 83-101.

214

Rot, G., (1998), Autocontrôle, responsabilité, traçabilité, Sociologie du travail, n°1, 5- 20.

215

Si la figure du client/sujet de droits, dont les attentes doivent être entendues et satisfaites, semble être rhétorique, sa prégnance effective n’est pas à exclure. Car si l’individu ne définit en rien le format et le contenu du dispositif dont il est le bénéficiaire, cette prégnance de l’évocation du client/sujet de droits permet de porter les exigences des individus jusqu’au cœur de l’organisation.

Ainsi ce dispositif permet tout à la fois de faciliter la démonstration de la non- responsabilité du service en cas de nécessaire réhospitalisation en faisant la démonstration de la « bonne pratique » mise en œuvre tout au long de la prise en charge thérapeutique, d’améliorer une évaluation de la qualité de l’information : en termes de satisfaction de la clientèle, des droits à l’information de l’individu et de la bonne tenue du dossier médical.

Afin d’aller au bout de cette logique d’amélioration de la prise en charge des risques de complications, les professionnels vont porter aussi leur attention sur l’aval de la trajectoire, sur les centres de convalescence.