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La multiplication du statut des personnes malades dans le système de soins

1.2. L’usager, acteur de la rénovation de l’action publique

Selon Chauvière39, depuis plus d’une vingtaine d’années, s’opère un basculement du mode de légitimation de l’action publique, qu’elle soit politique, administrative ou déléguée ; on survalorise les besoins, le consentement mais aussi les compétences des bénéficiaires ou destinataires de l’intervention. Ces dispositions reposent à la fois sur l’affirmation des droits des usagers, le renforcement des obligations d’évaluation et le durcissement des contraintes administratives sur les opérateurs.

L’usager a été pensé dans la littérature40,41,42 dans une référence principale à la citoyenneté, à la participation ou à la co-production, valorisant notamment le degré d’implication active - présumée ou désirée43- de celui-ci dans la conception, voire dans la production effective de l’offre. Chauvière44 rappelle que, dans le langage commun, le mot « usager » désigne d’abord l’utilisateur individuel d’un service ou d’un espace de statut public ou assimilé,

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Lafore, R., (1992),Droits d’usage, droit des usagers : une problématique à dépasser, in Les usagers entre marché et citoyenneté, sous la dir. de Chauvière et Gotbout, Logiques sociales, L’Harmattan, pp. 257-274.

39

Chauvière, M., (2006), Que reste-t-il de la ligne jaune entre l’usager et le client ? Revue Politiques et Management Public, vol. 24, n°3, septembre, 93-108.

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Chauvière, M., Godbout, J., (1992), Les usagers entre marché et citoyenneté, L’Harmattan, Paris.

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Jeannot, G., (1998), Les usagers du service public, Que sais-je, PUF, Paris.

42

Warin, P, (dir.), (1997), Quelle modernisation des services publics ? Les usagers au cœur des réformes, La Découverte, coll. Recherches, Paris.

43

Letourmy, A., Naiditch, M., (2000) L’information des usagers du système de soins : rhétorique et enjeux, Revue Française des Affaires Sociales, avril-juin, n°2.

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par délégation, souvent gratuitement ou bien alors selon un tarif encadré. L’usage déborde le rapport marchand. La question de la qualité du produit et éventuellement de son prix peut se poser d’une autre manière que dans le commerce des biens matériels. Ces biens peuvent être fournis de manière monopolistique, ou faiblement concurrentielle. Ces distinctions d’avec le client/consommateur restent peu discernables dans de nombreux exemples. C’est le lien avec une institution publique ou privée assimilable, susceptible de fournir ce type spécifique de service qui fait l’usager.

Ces dernières années, une abondante production législative est à destination des usagers. On trouve notamment la loi d’avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. Trois autres lois ont été produites début 2002 :

- celle du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale ;

- celle du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite loi Kouchner que nous analyserons dans les chapitres suivants, - plus récemment les lois du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

Ces textes affichent une volonté explicite de mettre l’usager au cœur de l’action, tout en renforçant le contrôle administratif et le développement de la nouvelle gestion publique, au nom des usagers45. Les dispositifs en faveur des usagers affichent le souci de les responsabiliser.

Il s’agit d’une nouvelle mise en forme des problèmes sociaux. Ainsi, à la figure du citoyen qu’il convient de protéger contre les risques sociaux extérieurs à lui, se substitue celle de l’usager responsable. Plus que de responsabilité, il s’agit là d’une norme d’implication personnelle, devenue condition d’accès aux ressources. Les problèmes sociaux prennent ainsi un caractère plus centré sur l’événement et sur la subjectivité, comme le souligne Ponet46 dans son travail sur les classements des hôpitaux, faisant notamment référence à la médiatisation de la situation personnelle de Guillaume Depardieu.

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Chauvière, (2006), opus cit.

46

Ponet, P., (2006), Les classements des hôpitaux et l’ « usager du système de soins » : vers une maîtrise individualisée des risques de santé ? Sociologie Santé, décembre, n°25, 183-204.

Extrait de L’EXPRESS.fr du 17/01/2007, « Hygiène, infections, maladies nosocomiales ; Le classement 2007 des hôpitaux les plus sûrs »

Chaque année, plus de 750 000 personnes sont touchées par l'une de ces infections contractées à l'hôpital. 4 000 en meurent. (…) C'est dire l'importance du classement que publie L'Express cette semaine, à partir des chiffres du ministère de la Santé. Un moyen simple de savoir si la clinique ou l'hôpital le plus proche de chez vous combat efficacement les maladies nosocomiales. Elles touchent indifféremment jeunes et vieux, riches et pauvres. Se traduisent parfois par des décès, souvent par des complications et engendrent toujours, même bénignes, un sentiment d'injustice. (…) De la légionellose à l'hôpital européen Georges-Pompidou à Paris, en 2001, au clostridium repéré dans le Nord l'année dernière (près de 400 cas, dont 22 morts) en passant par le staphylocoque doré de l'acteur Guillaume Depardieu, qui lui valut l'amputation de sa jambe en 2003, après 17 interventions.

(…) Le classement que nous publions donne de bonnes indications sur les moyens mis en œuvre pour limiter les risques, même si les résultats ne constituent pas un gage absolu de sécurité pour les meilleurs hôpitaux - ni l'assurance d'une catastrophe, d'ailleurs, chez les plus mauvais.

Le « classement des hôpitaux » est un outil de maîtrise individualisée des risques de santé. Dans ce sens, les usagers – utilisateurs des classements des hôpitaux et d’informations sur les infections nosocomiales – seraient des consommateurs de soins responsables de leur santé et avertis. Ils minoreraient le risque de devenir victime. Ces dispositifs contribuent par un processus itératif à constituer l’usager au nom duquel ils justifient leurs interventions47.

Le traitement de l’information sur les risques médicaux, par le ministère de la santé, va dans le sens d’un contrôle accru de la qualité par la mise en place d’un support d’information sur les infections nosocomiales et leurs prises en charge, à destination du public.

Extrait du discours de X. Bertrand, Ministre de la Santé et des Solidarités, 6 février 2006.

(…) Les infections nosocomiales sont les infections contractées au cours d’un séjour dans un établissement de soins. (…) Dans ce domaine, nous franchissons aujourd’hui une nouvelle étape

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avec la publication d’ICALIN, l’indice composite des activités de lutte contre les infections nosocomiales, qui mesure les efforts entrepris par chaque établissement pour lutter contre ces infections. Cette information sera à la disposition de tous, professionnels de santé comme patients. La publication d’ICALIN n’est qu’une première étape dans la réalisation d’un tableau de bord des infections nosocomiales composé de cinq indicateurs, qui seront complétés avant fin 2007. (…) Le tableau de bord complet offrira à tous une vision d’ensemble de la gestion du risque infectieux dans chaque établissement de santé. La publication de ces indicateurs est une incitation à une meilleure prise en compte de la qualité, et c’est aussi un outil d’information disponible pour tous via le site Internet du Ministère.

(…) Je veux généraliser la mesure et l’emploi des indicateurs de qualité dès 2006. Dès le mois d’avril, plusieurs indicateurs de qualité seront validés par les professionnels et les experts en vue de leur généralisation progressive et de leur publication début 2007 : ce sont par exemple les questionnaires de satisfaction des patients ; l’indicateur concernant les établissements renvoyant les comptes-rendus d’hospitalisation au médecin traitant sous 48h ; l’évaluation de la prise en charge de la douleur. Ces indicateurs de qualité favoriseront une indispensable transparence dans les relations entre soignants et patients, qui participe de l’évolution des comportements, et donc de la recherche de qualité.

L’exemple du traitement de l’information sur les risques d’infections nosocomiales est particulièrement exemplaire de ce mouvement de responsabilisation des individus vis-à-vis des risques médicaux mais aussi d’extension des attentes de ces derniers vis-à-vis de l’institution.

L’adoption d’outils de contrôle transposés du monde marchand par les pouvoirs publics ainsi que la régulation/évaluation du service rendu à l’usager effacent progressivement la frontière entre l’usager et le client.