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Souvenons-nous à quels obstacles se heurtait le critère de l’espérance d’utilité : d’abord la vérification très hypothétique de l’axiome d’indépendance ; ensuite, la difficulté à concevoir dans une même structure (grâce aux probabilités subjectives) les particularités des univers risqué et incertain. Le modèle dit « multi-prior » fait à la fois l’économie de l’axiome d’indépendance et des probabilités subjectives pour évaluer le comportement de l’individu face à l’aléa205. Dans ce modèle, sous l’hypothèse de satisfaction de quelques axiomes, l’agent évalue le risque en se fondant sur l’hypothèse la plus défavorable. Pour cela, les auteurs se placent dans le contexte d’un ensemble de conséquences à support fini et cherchent à formuler une évaluation en univers incertain206. Formellement, posons deux axiomes :

Axiome d’indépendance certaine : Pour tout P,Q, de Λ, R loi constante et tout

λ

] [

0,1 :

(

)

(

)

. 1 . . 1 .

P≻ΛQ

λ

P⊕ −

λ

R≻Λ

λ

Q⊕ −

λ

R.

Cet axiome est plus faible que l’axiome d’indépendance vu plus haut, puisqu’il ne s’applique que si l’on rajoute une « loi constante ». Le second axiome important est celui d’aversion

204

Cf. Marschak et Machina (1982).

205 Cf. Gilboa et Schmeidler (1989).

206 Précisons que, dans sa version initiale, le modèle ici présenté est fondé sur les décisions des agents, et non sur

une attitude qui serait « passive » face au risque. Il permet néanmoins de rendre compte d’un mode d’évaluation lui-même indépendant des actes accomplis.

pour l’incertitude, concept précisément absent des fondements de la théorie des probabilités

subjectives de Savage (1954).

Axiome d’aversion pour l’incertitude : Pour tout P et Q de Λ, et tout

λ

] [

0,1 :

. (1 ).

P∼ΛQ⇒λP⊕ −λ Q≥ΛP

Sous ces deux axiomes, celui de préordre total, de continuité et de monotonie, il existe un ensemble de mesure de probabilité Ρ fermé et convexe et une fonction d’utilité u tels que :

min ( ) min ( )

p p

P ΛQ u P dp u Q dp

∈Ρ ∈Ρ

≥ ⇔

, la fonction u étant unique à une transformation affine près.

Concrètement, cela signifie que l’agent juge deux situations d’incertitude d’une manière très pessimiste. Si l’agent a un ensemble de croyances à priori (d’où le terme « multi-prior »), il calcule l’espérance d’utilité pour toutes les probabilités possibles et choisit le résultat minimum. Nous avons bien là l’illustration d’une grande aversion à l’incertitude. S’il doit agir face à un risque, le décideur choisira l’action qui minimise les catastrophes.

Pour rappeler formellement notre problématique, nous cherchons une fonction de valorisation :

V Θ →ℝ , rendant compte du comportement de l’agent face au risque, telle que si θ∈Θ, alors :

θ

≥Θ

θ

'⇔V

( )θ

V

( )θ

' . En notant P la loi de probabilité associée à un risque θ ; P’ la loi associée à un risque 'θ , le modèle multi-prior nous donne :

' ' min ( ) min ( ') p p P P u P dp u P dp θ Θθ Λ ∈Ρ ∈Ρ ≥ ⇔ ≥ ⇔

Plusieurs raisons rendent ce type de théorie de peu d’utilité dans le cadre de notre approche. D’abord, parce qu’elle est toujours fondée sur les plus pessimistes des croyances, ce qui biaise fortement le processus d’évaluation. En effet, nous étudierons des risques pour lesquels les issues peuvent être dramatiques. Dès lors, les ensembles de croyances à priori peuvent tout à fait contenir des perspectives dramatiques. Ainsi, cette forme de modélisation reviendrait à focaliser l’agent sur le pire, ce qui ne peut fonder économiquement une véritable politique de

sont élaborées les croyances, que celles-ci prennent la forme de probabilités ou non. Nous ne fonderons donc pas nos travaux sur ce type de théorie.

D’autres approches ont été présentées pour les cas où l’agent connaît l’intervalle formé par deux valeurs p et ' p , à l’intérieur duquel se trouve la probabilité véritable p (on parle de ''

probabilités imprécises). On prend alors en compte ces deux probabilités pour formuler un

critère d’évaluation 207. Sous l’hypothèse de quelques axiomes portant sur la distribution des probabilités, il est possible de rendre compte des préférences des agents par une fonction d’utilité et un indice de pessimisme – optimisme reflétant l’attitude individuelle vis-à-vis de l’ambiguïté. Dans le cadre d’un risque θ ayant une probabilité p imprécise d’occurrence, il est possible d’écrire en sachant que u C

( ) ( )

θ ≤u C0 :

( ) (

1

)

. ' . '' .

( )

1

(

1

)

. ' . '' .

( )

0

U θ = −α pp u Cθ + − − α p−α p u C en rappelant :

( )

( )

' P P' U U '

θ

≥Θ

θ

⇔ ≥Λ ⇔

θ

θ

On dira que le paramètre

α

correspond à l’indice de pessimisme – optimisme de Arrow et Hurwicz 208. S’il est nul, alors la probabilité associée au sinistre vaut p , c’est-à-dire que ' l’agent considère qu’elle prend la borne inférieure de l’intervalle ; s’il est égal à 1, cette même probabilité vaut p , borne supérieure de l’intervalle. ''

La formulation proposée ici correspond assez bien à l’intuition du comportement des agents face à l’aléa. Bien souvent en effet, ceux-ci sont confrontés à des risques dont ils ne savent pas évaluer les probabilités d’occurrence tout en en ayant une idée plus ou moins précise. Les heuristiques soulignées par Kahneman et Tversky constituent des moyens faciles d’accéder à ces probabilités imprécises, même si elles sont source de biais 209. Fonder une modélisation sur un intervalle de probabilités est donc cohérent pour cerner la réalité de l’évaluation individuelle. Sous l’angle de la mise en pratique néanmoins, plusieurs éléments posent question pour la détermination des paramètres. Rappelons que notre propos est de savoir, à partir d’une probabilité p – considérée comme connue par les experts – et d’un équivalent

207 Cf. Jaffray (1989).

208 Cf. Arrow et Hurwicz (1972). 209

monétaire « institutionnel » cθ, comment les agent forment une évaluation du risque θ auquel ils font face. Dans le cadre du modèle proposé, il semble très difficile dans la pratique de déterminer l’indice de pessimisme – optimisme des individus ainsi que l’intervalle estimé de probabilité par ces derniers. Nous mobiliserons néanmoins dans la suite de ce travail la notion de probabilités imprécises, sans fonder pour autant notre analyse sur ces modèles. Avant cela, voyons le type d’approche que nous privilégierons par la suite pour cerner l’évaluation du risque par les agents avant d’apporter un éclairage supplémentaire en présence d’imperfection informationnelle.