II. L’ Holoprosencéphalie, une pathologie du cerveau antérieur
5. Le modèle multihit
Plus récemment, la voie de signalisation FGF a été reliée à l’HPE via des mutations dans le gène FGF8 (Arauz et al., 2010). L’inactivation de Fgf8 chez la souris entraîne une anomalie du diencéphale ventral et des dysfonctionnements hypothalamiques et pituitaires (McCabe et al., 2011). Chez des souris mutantes pour la voie Wnt menant à une perte de fonction de la caténine, l’expression de Fgf8 est dramatiquement diminuée au niveau de l’ANR et de l’ectoderme facial chez les embryons associés à des défauts de développement du prosencéphale (Wang et al., 2011b). Plus particulièrement, la protéine FGF8 dans le modèle murin d’HPE, joue un rôle important dans la différenciation du prosencéphale (Arauz et al., 2010; Storm et al., 2006).
Une autre étude chez un double mutant pour les récepteurs Fgfr1/ ; Fgfr2/, démontre que la signalisation Fgf agit en aval de Shh et Gli3 pour spécifier les cellules télencéphaliques (Gutin et al., 2006).
En résumé, l’ensemble de ces patients HPE conforte l’existence d’une régulation croisée entre plusieurs voies de signalisation au cours du développement précoce du cerveau (Figure 17).
5. Le modèle multihit
A la vue du spectre phénotypique et des multiples voies de signalisation impliquées dans l’HPE, il est suggéré que cette pathologie relève d’un mode de transmission « multi hit ». Cela signifie qu’un ou plusieurs évènements sont nécessaires pour provoquer l’apparition de l’HPE. Cette hypothèse est également étayée par les cas de digénismes observés chez l’animal et chez l’Homme.
5.1. Le digénisme chez l’Homme
L’HPE est une pathologie à expressivité variable. Il a ainsi été observé chez des familles porteuses d’une mutation du gène SHH des formes sévères d’HPE mais également des microformes ou des personnes apparentées sans symptômes HPE (Roessler et al., 1996). On retrouve ce profil également pour les 3 autres gènes majeurs. La mutation d’un gène dit
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Tableau 2. Cas de digénisme rapportés chez l’Homme.
Dans le cas du digénisme TGIF/ TGIF, les mutations sont héritées de parents hétérozygotes. Parmi les autres doubles mutations, certaines sont héritées d’un des deux parents et la seconde est survenue de novo. Dans le cas de ZIC2 et GLI2, les mutations sont héritées d’un seul parent porteur des deux mutations. Dans les cas des doubles mutations SHH ;ZIC2 et SIX3 ;ZIC2 l’information n’a pas pu être obtenue.
majeur pour l’HPE n’est dont pas suffisante au développement d’un cas sévère de la pathologie. Ceci est renforcé par l’observation de doubles mutations dans un certain nombre de cas d’HPE chez l’Homme (Tableau 2).
Par exemple, une étude a montré que SIX3 était capable de se lier sur une séquence enhancer (SBE2) de Shh. Le séquençage de cette région chez une cohorte de patients HPE a révélé la présence d’un variant nucléotidique. Il s’avère que la présence de ce variant augmente le risque de développer d’une HPE (Jeong et al., 2008).
5.2. Le digénisme chez le modèle murin
Les modèles murins ont apporté de forts arguments en faveur de l’hypothèse multi hit de l’HPE. En effet, plusieurs modèles de souris porteuses de mutations sur un seul gène ne présentent pas de phénotype HPE alors que dans le cas de mutations hétérozygotes sur deux gènes un phénotype HPE est observé. L’haploinsuffisance de plusieurs gènes semble donc nécessaire pour l’apparition d’un phénotype HPE (pour revue (Krauss, 2007)). Il a également été montré que l’inactivation de Gas1 provoque différents défauts du tube neural et de la face, de façon Shh dosedépendante (Figure 18). De même, une inhibition totale de deux gènes HPE mineurs tels que Cdo/ ;Gas1/ apparaît nécessaire pour obtenir un phénotype HPE ce qui renforce la notion d’effet dose dans l’apparition d’un phénotype HPE (Allen et al., 2007).
De plus, les modèles murins ont permis de mettre en évidence le fait qu’un phénotype HPE apparaît également lors de l’inactivation de gènes appartenant à une même voie de signalisation ou pas. C’est respectivement le cas chez des doubles mutants (Nodal;
Smad2) ou des antagonistes des BMP et des gènes de la voie Nodal (Chd/Nodal ;
Nog/Smad3) (Anderson et al., 2002; Yang et al., 2010). Par ailleurs, chez les doubles mutants
Bmpr1a ;Bmpr1b, on observe un phénotype HPE associé à une perte des cellules de la ligne
médiane dorsale du télencéphale qui n’est pas observée chez les mutants Shh/. Ceci suggère que plusieurs mécanismes indépendants au cours du développement soustendent l’ontogénèse de l’HPE (Fernandes et al., 2007).
Dans ces études de digénisme chez la souris, il est important de prendre en compte le fond génétique dans l’apparition du phénotype HPE. En effet, les souris Cdo / développent
74 Figure 18. Défauts craniofacial et squelettique chez des mutants Gas1 et Shh. Les interactions génétiques entre Gas1 et Shh provoquent des anomalies craniofaciales et
une anomalie du développement du cerveau antérieur. AE. Vues latérales de têtes d’embryons de souris au stade E18.5 avec un marquage du cartilage (en bleu) et des os en (rouge). Les flèches noires indiquent les bourgeons maxillaires et les flèches blanches les structures mandibulaires. L’os pariétal est indiqué par un astérisque. FJ. Vues frontales de têtes d’embryons de souris au stade E10.5. Les accolades mettent en évidence la fusion progressive des bourgeons nasaux en fonction de l’inactivation de la voie Shh. KO.
Hybridation in situ de Nkx2.1 sur des embryons de souris au stade E9.5. Les flèches indiquent le cerveau antérieur et les astérisques désignent la glande thyroïde. (Échelle 50µm) (D’après (Allen et al., 2007)).
des phénotypes HPE semilobaire sur un fond génétique pur C57BL/6 mais seulement des microformes sur un fond génétique mixte (Helms et al., 2005; Zhang et al., 2006). Des facteurs modificateurs dus au fond génétique des individus semblent insuffisants pour induire un phénotype HPE mais peuvent influencer la régulation des voies de signalisation impliquées.
6. Travaux de l’équipe sur l’Holoprosencéphalie
L’équipe du Pr. Véronique David travaille depuis 1996 sur la thématique de l’Holoprosencéphalie. Elle a mis en place un réseau européen de recueil de données cliniques et de prélèvements de patients porteurs d’HPE. A partir de ce réseau une base de donnée informatisée a été constituée (http://webpub.churennes.fr/extranetdim/holopro). Cette cohorte est à l’origine du centre de référence de Rennes et elle contient aujourd’hui près de 800 proposants et leurs apparentés soit au total 1500 individus. Ce travail de recrutement est réalisé en étroit partenariat avec l’Unité de Génétique Médicale de Rennes et le Centre Labellisé pour les Anomalies du Développement (CLAD) dirigés par le Pr Sylvie Odent.
Ces dernières années des collaborations internationales regroupant des cohortes de patients ont permis d’étudier une population d’effectif important (Dubourg et al., 2011; Mercier et al., 2011; Roessler et al., 2009a; Solomon et al., 2010). Des corrélations génotype phénotype décrites précédemment par Solomon et collaborateurs en 2010 puis en 2011, ont pu ainsi être établies au sein de l’équipe (Mercier et al., 2011). Aujourd’hui, le diagnostic moléculaire de l’HPE est effectué dans le laboratoire de Génétique Moléculaire du Centre Hospitalier Universitaire de Rennes sur les gènes majeurs décrits dans cette pathologie. Ceci permet d’alimenter et de mettre à jour la base de données répertoriant les cas d’HPE. Cependant seulement 22% des cas présentent une anomalie moléculaire caractérisée.
Différentes stratégies de recherche de nouveaux gènes candidats ont donc été adoptées par les différentes équipes travaillant sur l’Holoprosencéphalie. En effet, dans l’équipe du Pr Muenke au NIH, un séquençage systématique a été réalisé sur des gènes participant aux voies de signalisation déjà impliquées dans l’HPE telles que les voies Shh et Nodal (Ming et al., 2002). L’équipe de Rennes a plutôt utilisé une approche globale pour