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Un modèle hybride de sécurité industrielle 262 Des éléments de base pour l’élaboration du modèle hybride

Dans les chapitres précédents ont été successivement introduit :

o une connaissance empirique et approfondie de la genèse d’un accident majeur sous l’angle ‘articulé’, cette connaissance est indispensable à l’évaluation de la sécurité industrielle en mode normal, pour orienter le regard263,

o l’identification des différentes disciplines ‘sources’ pour l’élaboration d’un regard articulé, autant pour les investigations d’accidents que pour l’évaluation en mode normal,

o la complexité comme ‘méta-catégorie épistémique’ ou un ‘style’ pour penser, d’une part, ensemble, les différentes disciplines dans le projet d’évaluation et, penser la nature événementielle, émergente, d’autre part, des accidents et de la sécurité industrielle.

Maintenant que ces chapitres ont apporté les éléments de base pour passer à l’évaluation de la sécurité industrielle en mode normal, le chapitre suivant est consacré à l’introduction d’une proposition de modèle permettant de mobiliser plusieurs regards disciplinaires à ces fins d’évaluation. En effet, si plusieurs regards sont possibles, ils doivent cependant s’articuler dans un cadre qui permet leur association de manière cohérente pour l’objectif recherché. Si au même titre que d’autres systèmes complexes, le regard porté est nécessairement multi ou pluri disciplinaire, il n’en demeure pas moins qu’il faut que ces différents regards se raccrochent à un cadre commun afin de pouvoir les mobiliser de manière articulée et aboutir à un regard interdisciplinaire. Pourtant, à la lecture de toutes les études qui ont été mentionnées dans la partie précédente, aucune ne fournit un modèle qui soit satisfaisant.

262 Ce chapitre repose sur le cinquième article Le Coze, JC. A proposition of hybrid model of industrial safety. En cours de

révision pour publication dans Safety Science.

263 Comme l’ont bien précisé Bourrier et Laroche ‘Il faut ensuite déterminer où porter son regard (…) Il est difficile

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Modèles de la ‘cognition’, des ‘installations’, de la ‘régulation’

Il existe certes des modèles de la cognition qui comportent un caractère générique et normatif comme souhaité dans le cadre d’une méthode d’évaluation, mais ils ne couvrent pas assez de dimensions étant donné leur focalisation sur l’homme plutôt que sur la technologie et l’organisation, ou la régulation. Ils peuvent servir néanmoins d’inspiration pour une tentative plus globale (ce point est discuté dans la partie suivante). En ce qui concerne la technologie, les modèles de sécurité génériques et normatifs sont aujourd’hui principalement basés sur le concept de barrières, comme il a été indiqué dans la rétrospective. La traduction directe à l’homme et l’organisation de ces principes de barrières (l’exemple de Reason est le plus connu264) n’est possible qu’avec d’importantes limitations,

en particulier en ce qui concerne l’absence d’aspect dynamique d’une telle représentation, mais également l’ambigüité de certains de ces éléments. Bien sûr, aucun modèle simplifié n’est exempt de limites, mais que représentent concrètement, par exemple, les trous dans les barrières (dans les ‘tranches de gruyère’ du modèle)? Si l’on affirme par exemple qu’une procédure est une barrière, que signifie le trou dans la procédure ?

Enfin, les études sur les politiques publiques dans le cadre de la régulation des risques, qui proposent certaines conceptualisations avec un caractère générique265, ne sont, dans un sens,

que ‘périphériques’ par rapport à la sécurité industrielle et aux accidents majeurs. Un ‘régime de régulation des risques’ ne peut à lui seul expliquer un certain niveau de sécurité industrielle du couplage installations/organisations ou encore un accident majeur, même s’il peut y contribuer. Ce point a été bien noté par Borraz et Gilbert ‘Un certain nombre de

travaux rendent compte de la maîtrise des risques moins par un encadrement via des règles, normes et procédures édictées par les pouvoirs publics, que par les capacités dont témoignent les opérateurs, collectifs de travail et organisations impliqués dans des activités dangereuses (…) Dit autrement, la gestion publique des risques dépend souvent des initiatives propres des gestionnaires d’une activité afin de la rendre effective’266. De la

même manière que pour les modèles de la cognition, ce regard est donc nécessairement limité.

choix et décider d’approcher la réalité du fonctionnement de l’organisation par une série de coupes, de sondages et d’angles d’observation.’ Bourrier, M. et H. Laroche. Risque et défaillance : les approches organisationnelles. Art. cité.

264 Reason, L’erreur Humaine. Op cit ; Reason, J. Managing the risk of organizational accidents. Op cit.

265 Hood, C., Rothstein, H., Baldwin, R., Rees, J., Spackman, M. Where risk society meets the regulatory state: exploring

variations in risk regulation regimes. Op cit.

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Des tentatives ‘interdisciplinaires’ ou ‘articulées’ précédentes intéressantes mais insatisfaisantes

En ce qui concerne les modèles qui ont eu des ambitions interdisciplinaires, les propositions ne sont pas convaincantes jusqu’à présent, pour l’objectif d’évaluation. La tentative probablement la plus connue en sécurité industrielle est celle de Rasmussen à la fin des années quatre vingt et au cours des années quatre vingt-dix267. Elle figure parmi les

contributions les plus influentes de ce domaine de recherche depuis les quinze dernières années. Son modèle du système ‘socio-technique’ correspond à un ‘emboîtement de niveaux’ allant des autorités de contrôles jusqu’aux installations, la colonne représentant ces ‘niveaux’ étant soumise aux évolutions du marché, de la technologie, du niveau d’éducation du personnel ou encore de l’opinion publique. Sur la figure, chacun des ‘niveaux’ correspond à des disciplines de recherche spécifiques (figure 9).

Figure 9. Système socio technique de Rasmussen

Bien qu’attrayant, ce modèle n’est qu’une proposition conceptuelle qui n’a pas vraiment été déployée empiriquement. Cela découle de l’orientation de type ‘cybernétique’ que l’auteur impose à son effort de modélisation ‘Pour ce problème, un tel modèle ne peut pas être

construit par une accumulation d'approches (bottom-up) tirées de la recherche dans des

267 Ce modèle est publié initialement en 1989 dans un document de travail sur la base de ‘workshops’ internationaux

(sponsorisés par la ‘world bank’) à la fin des années 80, mais il est surtout présenté dans un article programmatique à la fin des années quatre vingt dix, constituant alors une des contributions de références du champ (Rasmussen J. Risk management in a dynamic society: a modeling problem. Art.cité), puis développé dans un ouvrage, Rasmussen, J., Svedung, I. Proactive risk management in a dynamic society. Op. cité.

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disciplines prises individuellement, mais plutôt par une approche « top-down », une approche système, basée sur le concept de la ‘control theory’’. Malgré une tentative de la

part de Vicente268 d’opérationnaliser ce modèle, sa traduction n’approfondit pas, de mon point de vue, assez les disciplines mobilisées aux différents ‘niveaux’ du modèle.

Les autres essais de modélisations systémiques, comme ceux de Moray269 (ergonome), à la même période, ou d’Evan et Manion270 (sociologues), plus récemment (déjà mentionné dans

les chapitres précédents), ne sont pas non plus tout à fait concluants pour l’objectif de ma

recherche (figure 10).

268 Vicente, K. The Human factor. Op. cité.

269 Moray, N. 1994. Error reduction as a system problem, in Bogner, M, S (ed) Human error in medicine. Erlbaum; Moray,

N. 2000. Culture, politics and ergonomics. Ergonomics. vol.43. n°7. 858-868.

De ces deux modèles, c’est le dernier qui fournit le plus de matériaux empiriques, sur la base d’études de nombreux accidents. Mais pourtant, il y manque une dimension dynamique, de relations plus spécifiques entre les différentes dimensions contribuant à la sécurité. Il est par ailleurs davantage tourné vers l’investigation d’accident plutôt que sur l’évaluation de la sécurité industrielle en mode normal. De mon point de vue, ce sont les travaux menés sur le plan de l’organisation, par leur caractère central par rapport à la sécurité industrielle (ils doivent en effet chercher à lier plusieurs dimensions), qui sont en mesure de fournir l’armature de base sur laquelle vont venir se greffer les savoirs spécifiques qui ont été parcourus dans la section précédente. Mais cette étape nécessite un questionnement sur la notion même de modèle. Les travaux de l’ergonomie cognitive sont de ce point de vue une source d’inspiration, qui est mobilisée ici.

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