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Le modèle développemental de Fuson

1. Le développement des connaissances numériques des jeunes enfants

1.1 Le modèle développemental de Fuson

Selon Fuson (1991), la construction de la suite numérique s’amorce vers l’âge de deux ans pour se terminer vers l’âge de huit ans. L’achèvement de cette construction se manifeste lorsque la suite est cardinalisée, sériée et emboîtée. L’intérêt des travaux de Fuson (1988; 1991) et Fuson, Richards et Briars (1982) repose sur l’identification de différentes étapes dans le développement de la structuration de la suite des nombres. Ces travaux ont permis de mettre en évidence la complexité ainsi que la diversité des significations attribuées à la suite numérique par l’enfant, tout en dégageant des niveaux de développement des stratégies de calcul pour l’addition et la soustraction. Ce modèle rend ainsi compte de l’articulation des connaissances entre la suite et les opérations. Les paragraphes qui suivent en font la présentation.

Selon le modèle, la première étape dans l’élaboration de la suite des nombres est celle du Chapelet (String Level). À cette étape, les mots-nombres ne sont pas différenciés. Les mots-nombres se suivent exclusivement selon l’ordre croissant et apparaissent à l’enfant comme une suite de mots sans signification. Bien que certains mots-nombres puissent être en partie différenciés, des groupes non séparés de mots-nombres demeurent. Il n’est donc pas possible pour l’enfant de rappeler un certain mot-nombre autrement que par la récitation de la comptine entière, soit de la séquence qui lui est connue au complet. À cette étape, aucune tâche d’addition ou de soustraction ne peut être réalisée.

La deuxième étape est celle de la Liste non sécable (Unbreakable list Level). À cette étape les mots- nombres sont tous différenciés, séparés les uns des autres et peuvent être associés à des objets. Toutefois, la récitation de la comptine existe encore seulement selon l’ordre croissant et ne peut être produite qu’à partir de un. Il est possible de diviser cette étape en trois stades. Au premier stade, les mots-nombres sont différenciés les uns des autres et forment une suite ascendante (signification de

Suite). Au second stade, la suite devient opératoire puisqu’elle peut maintenant être mise à profit dans

(signification de Suite-comptage). Au dernier stade, les objets dénombrés ont un résultat cardinal correspondant au dernier nombre nommé (signification de Suite-comptage-cardinalité).

C’est au cours de cette étape que l’enfant devient capable de réciter la comptine selon l’ordre ascendant jusqu’à un nombre donné, ce qui implique de mémoriser le nombre d’arrivée tout en utilisant ce mot-nombre comme but à atteindre. Aussi, les premières relations ordinales entre les nombres se construisent, elles sont de deux sortes : juste avant/juste après et avant/après. Ces relations se rapportent aux mots-nombres contigus dans la suite (exemple : le nombre 8 a comme prédécesseur et successeur immédiats les nombres 7 et 9) et aux prédécesseurs et successeurs pris d’une manière plus générale (exemple : les nombres 7 et 9 viennent après 4 mais avant 10 dans la suite des nombres).

À cette étape, les enfants sont aussi capables de mettre en place des procédures élémentaires de dénombrement pour résoudre des situations d’addition et de soustraction. En effet, comme le soulignent Fuson et Kwon (1991, p. 361) : « Une fois que les enfants sont capables de passer d’une signification de comptage à une signification cardinale et vice versa, ils peuvent additionner en comptant le tout et soustraire en enlevant ou en séparant ».

Ainsi, les procédures de dénombrement dans l’ordre ascendant (associées à l’addition) sont les suivantes : a) si la somme est inconnue : compter les éléments constituant le premier ensemble (premier terme), puis les éléments constituant le second ensemble (second terme) et réunir les deux collections pour dénombrer le tout et découvrir la somme; b) si un terme est inconnu : compter les éléments constituant le premier ensemble (terme connu), ajouter des éléments jusqu’à obtenir la somme et recompter les éléments ajoutés pour trouver la valeur du terme inconnu.

Cette dernière procédure, qui suppose de penser simultanément au tout (la somme) et à ses parties (le terme connu et le terme inconnu), serait toutefois peu courante à cette étape si l’on tient compte du point de vue de Kamii (1990) concernant la réversibilité de la pensée. En effet, selon cette auteure, ce n’est que vers sept ou huit ans1 que la pensée des enfants devient suffisamment mobile pour être réversible. La pensée réversible réfère à l’aptitude d’effectuer mentalement de manière concomitante deux actions opposées soit de « couper le tout en deux parties et réunir ces parties en un tout » (Kamii, 1990, p. 36).

1Ce qui coïncide davantage au moment où la construction de la suite numérique est achevée, puisque selon le modèle de Fuson (1991) cette construction s’amorce vers l’âge de deux ans (1ère étape) pour se terminer vers l’âge de huit ans (5e étape). Pour Kamii, ce n’est donc qu’à la dernière étape du modèle de Fuson (1991) que les enfants pourraient traiter correctement cette difficile relation partie-partie-tout.

Les procédures de dénombrement dans l’ordre descendant (associées à la soustraction) sont les suivantes : a) si la différence est inconnue : compter les éléments constituant le premier terme, de cette collection enlever les éléments constituant le second terme et dénombrer les éléments restants pour découvrir la différence; b) si le second terme est inconnu : compter d’abord les éléments constituant le premier terme, compter et séparer ensuite les éléments constituant la différence, les éléments restants sont dénombrés pour donner une valeur au terme inconnu.

La troisième étape de développement de la suite des nombres correspond à la Chaîne sécable (Breakable chain level). À cette étape, l’enfant est capable de réciter la comptine ou une partie de la chaîne numérique à partir de n’importe quel mot-nombre de la séquence. Cette meilleure connaissance de la suite numérique tient aussi à une bonification des relations entre les prédécesseurs et les successeurs. Par exemple, l’enfant peut établir des relations numériques entre les nombres, à la fois sous l’aspect cardinal (8 c’est un de plus que 7) et sous l’aspect ordinal (8 vient après 7 dans la suite numérique).

C’est au cours de cette étape que « la signification de la suite et celle du comptage commencent à fusionner » (Fuson, 1991, p. 175). L’enfant peut alors considérer que les éléments qui constituent les termes, représentent également la somme. Ainsi, le dernier nombre nommé désigne à la fois le dernier élément de la séquence et le cardinal de la collection. Des procédures de comptage pour résoudre des additions et des soustractions peuvent alors être mises en œuvre puisque l’enfant peut partir directement du cardinal du premier terme pour inclure les éléments du second terme.

Plus explicitement, cela signifie que les procédures de comptage dans l’ordre ascendant sont les suivantes : a) si la somme est inconnue : partir du premier terme (qui correspond au cardinal de la première collection) et avancer de un dans la suite des nombres pour chacun des éléments de la deuxième collection, du second terme; b) si un terme est inconnu : partir du cardinal du premier terme et ajouter des éléments jusqu’à obtenir la somme, ce qui est ajouté correspond à la valeur du terme inconnu.

De même, les procédures de comptage dans l’ordre descendant sont les suivantes : a) si la différence

est inconnue : compter d’abord les éléments constituant le premier terme puis utiliser un comptage à

rebours pour enlever les éléments du second terme afin de trouver la différence; b) si le second terme

est inconnu : compter d’abord les éléments constituant le premier terme puis procéder par comptage à

rebours jusqu’à obtenir la différence; le nombre d’éléments dénombrés au cours de la dernière opération correspond à la valeur du terme inconnu.

La quatrième étape est celle de la Chaîne unitaire ou Chaîne dénombrable (Numerable chain level). À cette étape, chaque mot-nombre représente une unité (un nombre entier). L’enfant utilise ces unités pour représenter le cardinal ou une situation d’addition ou de soustraction. Fuson explique ainsi cette étape : « les significations de la suite du comptage et de la cardinalité fusionnent. Et les mots de la séquence deviennent eux-mêmes les objets qui représentent les termes, et la somme, dans les situations d’additions et de soustractions » (1991, p. 175).

Dans une situation d’addition, l’enfant peut commencer la récitation des mots-nombres directement à partir du premier terme (ou du plus grand des deux termes) et ajouter un à un les éléments du second terme afin d’obtenir la somme. Toutefois, lorsque le second terme de l’opération est plus grand que deux ou trois, la mémoire n’est plus suffisante pour contrôler le déplacement dans la suite et l’enfant doit utiliser une méthode lui permettant de garder la trace des mots-nombres énoncés. Ainsi, l’enfant peut contrôler le second terme en constituant une collection équivalente au second terme, en rythmant les mots-nombres ou encore en prenant en compte, sur ses doigts, chaque mot-nombre énoncé. À cette étape, les doigts ne représentent plus des collections d’objets à dénombrer pour trouver la somme des deux termes, mais constituent un outil, une procédure d’enregistrement pour garder la trace du nombre de pas effectués dans la suite pour la recherche de la somme.

Finalement, la cinquième et dernière étape dans l’élaboration de la suite correspond à la Chaîne

bidirectionnelle (Bidirectional chain level). À cette étape, « la séquence des mots-nombres devient une

suite unitisée, sériée, emboîtée, bidirectionnelle et cardinalisée » (Fuson, 1991, p. 176); les mots- nombres pouvant être récités de manière fluide dans chacune des directions (ordre croissant ou ordre décroissant), à partir de n’importe quel nombre. La suite des nombres étant considérée comme explicitement emboîtée lorsque « l’enfant devient conscient des relations numériques de partie à tout. […] par exemple sept, se rapporte à une unité qui peut être itérée sept fois, aussi bien qu’à une unité contenant la suite verbale des nombres jusqu’à sept inclus » (Steffe, 1991, p. 130).

Un véritable comptage numérique s’installe puisque l’enfant peut établir des relations d’équivalence entre les termes constituant le problème et la somme, (relations entre terme/terme/somme ou

partie/partie/tout) ce qui lui permet de diviser les quantités ajoutées afin de rendre plus faciles les

additions ou les soustractions. Ainsi, l’enfant, connaissant plusieurs compositions pour un nombre, peut décomposer et recomposer chacun des termes, ces modifications permettant d’opérer plus facilement sur les nombres (exemple : 8 + 7 = 8 + 2 + 5 = 7 + 7 + 1). L’enfant peut utiliser « la suite cardinalisée et le déplacement dans la suite par morceaux (chunks) » (Fuson, 1991, p. 178) ou encore procéder mentalement dans ses changements d’un terme à l’autre. La mémorisation de certains faits