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2.6 Modèles "complets" d’oxydation

2.6.2 Modèle basé sur une approche thermodynamique de la diffusion

Un approche par la thermodynamique permet un couplage complet entre la ré- action chimique d’oxydation et les contraintes mécaniques induites dans l’oxyde et l’alliage ; c’est-à-dire que, d’une part, les phénomènes de réaction et diffusion durant l’oxydation génèrent des contraintes mécaniques qui, en retour, affectent la réaction dans l’oxyde et la diffusion dans l’oxyde et l’alliage.

Cette approche est utilisée par Zhou et al. [94,95] pour développer un modèle cou- plé diffusion-contrainte et étudier l’oxydation sélective de l’alliage binaire Fe-16%mCr

2.6 Modèles "complets" d’oxydation 57

à haute température [96]. La géométrie 2D de cette alliage polycristallin est repré- senté Figure2.12a. Zhou et al. choisissent de fixer le référentiel et le repère des coor- données spatiales x sur l’interface alliage/oxyde, afin de s’affranchir du traitement complexe des interfaces mobiles. Lors de la croissance de l’oxyde, seule l’interface gaz/oxyde est mobile dans ce référentiel.

(a) (b)

Figure 2.12 – (a) Géométrie 2D de l’alliage polycristallin avec une couche d’oxyde

compacte en surface étudié par Zhou et al. et (b) simulation de la déchromisation de cet alliage Fe-16%mCr après 200 h d’oxydation [94] ; le repère et l’origine de la profondeur du substrat sont définis au niveau de l’interface alliage/oxyde.

Couplage diffusion-contrainte

Une approche par la thermodynamique permet d’exprimer le flux diffusif des élé- ments dans l’alliage et l’oxyde en fonction de leur seul potentiel chimique, l’élec- troneutralité locale de l’alliage et de l’oxyde étant supposée. Le potentiel chimique d’un élément s est alors donné par [97] :

µs = µ0s+ RT ln cs+ Vsmτs (2.63)

où µ0

sest le potentiel chimique de l’élément s dans un état de référence, R et T sont la

constante universelle des gaz parfaits et la température, et Vm

s est le volume molaire

des éléments s à l’état naturel, c’est-à-dire sans déformation de la maille élémentaire. Le deuxième terme de l’Équation (2.63) correspond à la partie dépendante de la concentration cset le dernier terme est la partie dépendante des contraintes induites

lors de l’oxydation τs [37,98].

Le flux de diffusion des différents éléments dans l’oxyde et l’alliage est relié à leur potentiel chimique par la relation [95] :

Js= −

Dscs

RT ∇µs (2.64)

où Ds est le coefficient de diffusion effectif de l’élément s. Ainsi, les flux diffusionnels

dépendent des contraintes induites lors de l’oxydation, et ces dernières affectent la cinétique d’oxydation de l’alliage.

58 Mécanismes et modèles d’oxydation Équation de conservation dans l’alliage et l’oxyde

Dans l’oxyde, trois phénomènes sont considérés : la diffusion des anions et des cations ; la réaction de formation de l’oxyde ; et un transport des éléments par le réseau de l’oxyde qui se déplace suivant x2, appelé "diffusion convective" [95], lorsque l’oxyde est formé au niveau de l’interface alliage/oxyde (formation interne de l’oxyde). L’équation de conservation des ions dans l’oxyde s’écrit alors pour chaque élément s :

∂ cs

∂t = −xRp− ∇ · Js− ∇ ·(csv) (2.65) où Rp est le taux de formation de l’oxyde précédé du nombre stœchiométrique x

du réactant, et v est la vitesse de convection du réseau de l’oxyde dans le système de coordonnées x. Le premier terme du membre de droite de l’Équation (2.65) correspond donc à la consommation des ions provenant de l’alliage ou du gaz oxydant pour former l’oxyde, le deuxième à la diffusion induite par le gradient de potentiel chimique dans l’oxyde, et le dernier correspond au terme de convection.

Dans l’alliage, seule la diffusion contribue à la variation locale de concentration en élément oxydable et l’équation de conservation est donnée par l’équation de continuité (Équation (2.12)).

À l’interface alliage/oxyde, la conservation du flux des éléments oxydables à tra- vers l’interface permet d’écrire l’égalité entre les équations de conservation de l’élé- ment oxydable de part et d’autre de l’interface, et la continuité de potentiel chimique est supposée entre les éléments oxydables dans le substrat et les cations métalliques dans l’oxyde. Il est considéré que les anions oxygène ne peuvent pénétrer dans le substrat ; le flux de l’oxygène dans l’oxyde à l’interface alliage/oxyde est donc nul. À la surface de l’oxyde, une condition d’équilibre est définie pour l’adsorption et la ionisation de l’oxygène, et, les cations métalliques ne pouvant quitter l’oxyde, leur flux doit suivre la condition de Stefan6 à l’interface oxyde/gaz définie par [74]. Cette deuxième condition permet de relier le flux diffusif des cations métalliques dans l’oxyde à la vitesse de l’interface oxyde/gaz, qui découle de la croissance de l’oxyde, dans le système de coordonnées x.

Les équations de conservations dans l’alliage et le substrat et les conditions aux in- terfaces alliage/oxyde et oxyde/gaz décrivent ainsi l’ensemble du phénomène d’oxy- dation sélective de l’alliage.

Discussion

Le modèle couplé diffusion-contrainte présenté ci-dessus est appliqué à la géo- métrie 2D présentée Figure 2.12a pour étudier l’oxydation sélective du chrome de l’alliage Fe-16%mCr à haute température. La diffusion dans le substrat est consi- dérée hétérogène entre le cœur des grains et les joins de grains qui constituent des court-circuits de diffusion (cf. Partie2.3). Cette hétérogénéité se traduit par un co- efficient de diffusion du chrome plus élevé le long des joints de grains que dans le volume des grains (environ 2 ordres de grandeurs [94]).

La résolution des équations du modèle [94,95] est effectuée numériquement grâce à la méthode des éléments finis. Les éléments dans l’alliage appartiennent soit aux grains, soit aux joints de grains, pour lesquels les propriétés de diffusion diffèrent.

6. Condition d’équilibre au niveau d’une interface mobile, donnant une égalité fonction de la vitesse de l’interface.

2.7 Conclusion 59

En surface de l’alliage, l’oxyde et l’air sont deux domaines maillés séparément, et les interfaces alliage/oxyde et oxyde/air sont définies à la frontière des éléments appartenant aux différents domaines de part et d’autre des interfaces. Dans le réfé- rentiel fixé à l’interface alliage/oxyde, cette dernière est fixe et l’interface oxyde/air se déplace d’après la condition de Stefan définie à cette interface.

La Figure 2.12b montre la déchromisation du substrat de l’alliage Fe-16%mCr après 200h d’oxydation, simulé par Zhou et al. [94]. La déchromisation est plus importante au niveau des joints de grains du substrat, là où le coefficient de diffusion du chrome est plus élevé, mais l’interface alliage/oxyde est restée plane.

L’alliage est normalement "consommé" lors de l’oxydation et le volume des grains touchant l’oxyde doit par conséquent diminuer. Les choix de modélisation effectués par Zhou et al. conduisent à une géométrie cristalline fixe du substrat, ce qui peut s’avérer discutable pour des temps longs d’oxydation.

Par ailleurs, normalisé en fonction du taux d’oxydation de l’alliage, il est pos- sible d’appliquer ce modèle dans sa forme adimensionnelle à tous types de cinétique d’oxydation [95]. Il est applicable à des géométries 2D ou 3D, mais le choix du réfé- rentiel fixé sur l’interface alliage/oxyde et le traitement numérique de l’interface sur la frontière des éléments ne permet pas à cette interface de changer de géométrie au cours de l’oxydation. Elle ne peut pas, par exemple, suivre le front d’oxyde le long des joints de grains. Enfin, pour pouvoir appliquer ce modèle et les équations de conservation dans chaque phase, on remarque qu’il est nécessaire qu’une couche initiale d’oxyde soit présente à la surface de l’alliage.

Les deux approches présentées ci-dessus permettent de modéliser le phénomène d’oxydation dans son ensemble : couplage des phénomènes physico-chimiques d’oxy- dation et des contraintes mécaniques induites lors de l’oxydation.

2.7

Conclusion

Les mécanismes de l’oxydation à haute température des métaux et alliages et leurs modélisations, depuis les réactions aux interfaces jusqu’aux mécanismes de trans- port dans l’oxyde et le substrat, ont été présentés dans ce chapitre. Tout ceci permet d’expliquer et modéliser les cinétiques d’oxydation des métaux et alliages, de modé- liser l’appauvrissement du substrat lors de l’oxydation sélective de certains alliages, ou de modéliser l’ensemble du phénomène d’oxydation, de la cinétique d’oxydation aux contraintes induites par l’oxydation.

Depuis le modèle de Wagner [6], qui donne dans des conditions idéalisées une solution analytique pour décrire l’appauvrissement du substrat lors de l’oxydation sélective des alliages binaires, différentes approches du phénomène de diffusion du- rant l’oxydation, ainsi que l’utilisation de méthodes de résolutions numériques, ont permis une modélisation de plus en plus précise du phénomène d’oxydation. Mais les deux modèles "complets" présentés dans ce chapitre nécessitent la connaissance des grandeurs cinétiques des réactions d’oxydation des matériaux étudiés.

60 Mécanismes et modèles d’oxydation

Au regard des modélisations existantes, il serait donc intéressant de développer un modèle numérique avec une approche phénoménologique, pour prévoir l’appau- vrissement du substrat des alliages lors de leur oxydation quelque soit la cinétique d’oxydation de l’alliage, et en prenant en compte la possible variation de vitesse de diffusion en fonction de la composition chimique ou des défauts microstructuraux du substrat. L’avantage de cette approche sera d’avoir une modélisation simple se basant sur des paramètres facilement mesurables, comme les constantes d’oxydation des alliages qui peuvent être déterminées par mesures expérimentales [99]. La ciné- tique d’oxydation déterminée traduira ainsi les mécanismes dans l’oxyde ; elle sera utilisée comme donnée d’entrée du modèle d’appauvrissement du substrat.

3

Modélisation de l’appauvrissement

du substrat lors de l’oxydation

Sommaire

3.1 Modèle 1D d’appauvrissement du substrat 3.2 Résolution numérique du modèle d’appau-

vrissement

3.3 Stabilité du schéma numérique et validation du modèle d’appauvrissement

3.4 Conclusion

Dans ce chapitre, un modèle unidimensionnel, basé sur la diffusion des espèces chimiques donnée par la 2nde loi de Fick, est proposé afin de prévoir l’appauvris- sement du substrat en élément oxydable lors de l’oxydation sélective d’un alliage. L’objectif est de pouvoir prendre en compte la variation du coefficient de diffusion en fonction de la microstructure ou la composition du substrat, et de pouvoir étudier l’évolution des concentrations dans le substrat et également au niveau de l’interface alliage/oxyde, quelque soit la cinétique d’oxydation de l’alliage. Pour cela, la mé- thode des différences finies est utilisée pour simuler les profils d’appauvrissement dans le substrat. Les résultats sont alors confrontés à la solution analytique de Wag- ner [6] pour valider le modèle développé.

Cadre du modèle

Le modèle développé s’applique aux systèmes unidimensionnels. Ceci permet d’étu- dier un substrat homogène dont la surface de l’alliage est plane (Figure 3.1) ; la diffusion des espèces chimiques est unidirectionnelle selon la direction normale à la surface de l’alliage. L’appauvrissement du substrat lors de l’oxydation affecte la surface de l’alliage sur une profondeur allant de quelques nanomètres à plusieurs millimètres. Le domaine d’étude s’étend donc de l’interface alliage/oxyde jusqu’à une profondeur d’alliage non affectée par l’oxydation.

L’approche choisie se place dans le référentiel du laboratoire. Le transport des espèces chimiques dans le substrat est donc étudié avec une approche eulérienne, et l’interface alliage/oxyde se déplace par rapport au référentiel fixe suite à la consom- mation du métal oxydable qui forme l’oxyde en surface de l’alliage. L’évolution des concentrations dans le substrat lors de l’oxydation est considérée le long d’un profil unidimensionnel (1D) allant de l’interface alliage/oxyde à l’intérieur de l’alliage.

62 Modélisation de l’appauvrissement du substrat lors de l’oxydation

Figure 3.1 – Zone du substrat étudiée dans le cadre du modèle d’appauvrissement unidi-

mensionnel.

3.1

Modèle 1D d’appauvrissement du substrat

Considérons un alliage binaire AB au contact d’une atmosphère oxydante, où seul l’élément A s’oxyde sélectivement par rapport à l’élément B pour former un oxyde externe monocouche, compact et homogène (Figure 3.2) ; l’oxygène étant considéré insoluble dans l’alliage.

Figure 3.2 –Coupe schématisée d’une couche d’oxyde externe monocouche AO, compacte

et homogène, formée lors de l’oxydation sélective d’un alliage AB où l’élément A s’oxyde sélectivement par rapport à l’élément B.