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LES MOBILITES DU TROUPEAU DANS LE SYSTÈME PASTORAL ET AGRO-

CHAPITRE 1. PEULS DU BENIN ET DE LA SOUS-REGION OUEST AFRICAINE

1.9. LES MOBILITES DU TROUPEAU DANS LE SYSTÈME PASTORAL ET AGRO-

Le groupe socioculturel Peul est présent, en communautés disséminées ou groupées, dans tous les pays au Sud du Sahara jusqu'au Congo. Ses membres, pour lesquels l'élevage est une spécialisation ancienne et réputée, pratiquent cette activité essentiellement selon deux des types organisationnels que sont le pastoralisme pur et l'agro-pastoralisme. De nos jours, l'agropastoralisme est dominant (Kintz, 1982). Le troupeau est le plus précis des principes identitaires des sociétés pastorales. C'est donc le troupeau qui détermine la société pastorale (Retaillé, 2003).

Dans les systèmes pastoraux, surtout ceux qui se trouvent dans les milieux arides et semi- arides, la mobilité est une nécessité écologique et économique. Hormis le fait qu’elle permet une meilleure utilisation de toute une gamme de ressources, c’est aussi un moyen d’éviter les vecteurs de maladie dans certaines régions (la mouche tsé-tsé), d’optimiser les échanges avec d’autres utilisateurs fonciers (résidus de récolte en échange de fumure animale), d’accéder à différents créneaux du marché (la vente de l’excédent de produits

Chapitre 1. Peuls du Bénin et de la sous-région ouest africaine

Place de l’élevage bovin dans l’économie rurale des Peuls du Nord Bénin 24 laitiers ou l’achat de denrées de base ou de médicaments pour les animaux), d'acquérir ou partager de l’information, ou rechercher des moyens d’existence complémentaires (Nori et al., 2008). Dans les régions arides et semi-arides d'Afrique, la mobilité est donc un élément capital de stratégie de survie des systèmes pastoraux, qui permet aux éleveurs de se prémunir contre les aléas climatiques, les risques mais aussi d'avoir accès à divers marchés (Niamir- Fuller, 2005 ;Jullien, 2006). En cas de sécheresse, une descente rapide des troupeaux vers le sud soudanien permet de limiter les pertes et de sauvegarder un noyau dur de reproduction (Jullien, 2006). Les types de mobilité des troupeaux et de l'habitat permettent de classer les éleveurs comme le montre le tableau 1.

La transhumance pastorale domine le secteur de l'élevage dans le Sahel et en Afrique de l'Ouest et implique 70 à 90% du bétail et 30 à 40% des petits ruminants du Sahel. Elle intervient dans les zones arides (les pays du Sahel, le Nord du Nigéria et du Cameroun) et représente la seule activité capable de valoriser ce milieu. La transhumance pastorale fournit à peu près 65% de la viande bovine, 40% de la viande ovine et caprine et 70% du lait (SWAC/OECD, 2007).

Tableau 1. Classification des éleveurs. Mobilité Pas de campement de base

; mouvement annuel des animaux Campement de base ; mouvement saisonnier des animaux Campement de base ; mouvement local ou confinement des animaux Elevage à plein

temps Pasteurs nomades Pasteurs transhumants Pasteurs sédentaires Elevage avec

agriculture de subsistance

- Transhumants

agropasteurs Agropasteurs sédentaires Agriculture avec

élevage de

subsistance - - Agriculteurs - éleveurs

Activités non agricoles et élevage de subsistance

- - Eleveurs sans terres

Source : Waters-Bayer et Bayer, 1992.

1.9.1. La transhumance

La transhumance agro-pastorale est la migration saisonnière du bétail et des hommes d'une zone agro-écologique à une autre et leur retour, à leur demeure permanente (Waters-Bayer et Bayer, 1992 ; Rota et Sperandini, 2009). La mobilité est importante dans les systèmes pastoraux transhumants, permettant aux bouviers de déplacer leur bétail à différents endroits dans le temps, d'explorer des niches écologiques fournies par des microclimats dans différentes zones agro-écologiques, en utilisant de façon efficiente les ressources disponibles, en évitant les risques et en produisant de la nourriture de terres qui n'ont aucun coût d'opportunité. C'est l'une des principales stratégies utilisées par les pasteurs pour accéder aux ressources naturelles comme le pâturage et l'eau (Fernandez-Gimenez et Le Febre, 2006 ; Niamir-Fuller, 2005). Ce mouvement saisonnier régulier du bétail, vers le Sud pendant la saison sèche en réponse à la pénurie de pâturages et d'eau, vers le Nord pendant la saison humide pour éviter la mouche tsé-tsé, est un modèle cohérent de transhumance pastorale chez

Place de l’élevage bovin dans l’économie rurale des Peuls du Nord Bénin 25 les Peuls des zones de savane (Stenning, 1957). Il existe aussi la migration opposée vers la zone pastorale, au Nord, par les pasteurs du Sahel dans la saison des pluies pour brouter les pâturages dans les zones arides et semi-arides, qui sont souvent de bonne qualité (Ayantunde et al., 2011). Les principaux facteurs qui influencent la transhumance en Afrique de l’Ouest peuvent être regroupés en deux grandes catégories :

(i) Les facteurs environnementaux tels que les changements/variabilité climatiques, la sécheresse et les conséquences saisonnières sur les pâturages et la pénurie d'eau, et les maladies animales et,

(i) Les facteurs socio-économiques tels que les changements dans l'utilisation des terres, la pression démographique et la perte conséquente de pâtures, les relations sociales et les réseaux (Ayantunde et al., 2014).

La vitesse et la longueur de ces mouvements saisonniers varient d'une région à l'autre, d'une année à l'autre, et peuvent être corrélées à un certain nombre de conditions locales. Parmi celles-ci les principaux facteurs sont : la durée des saisons sèches et humides ; la taille des troupeaux ; la présence d'autres troupeaux ; la densité de la population sédentaire et l'étendue des terres agricoles consacrées aux cultures ; et le dernier, mais non le moindre, la disponibilité de marchés appropriés où les produits laitiers peuvent être vendus ou échangés contre des céréales et des racines (Stenning, 1957).

La mobilité due à la transhumance et l'augmentation de la taille des troupeaux pendant les saisons favorables est aussi une action nécessaire, pour compenser les potentielles pertes subies résultant de climats extrêmement imprévisibles (Behnke, 1983 ; Ellis et Swift, 1988 ; Scoones, 1993). La transhumance permet au bétail de faire face à la saisonnalité de la disponibilité du fourrage, en permettant la conversion des fourrages éphémères de faible valeur en bétail et en produits animaux de valeur élevée (Boone et al., 2008).

La mobilité n'est cependant pas une tâche facile. Elle implique des ressources, principalement la main-d'œuvre familiale, et requiert un investissement dans la création, la construction et le maintien du capital social nécessaire pour accéder aux ressources vitales. La mobilité confronte aussi les pasteurs aux désastres, aux changements sociaux et aux conditions politiques (Boone et al., 2008).

1.9.2. Pastoralisme, transhumance et nomadisme

Le pastoralisme peut se définir au premier degré comme une technique de subsistance qui utilise l'animal domestique comme consommateur primaire, les pasteurs vivant des produits de l'élevage. Les groupes humains qui obéissent à ce caractère sont donc théoriquement absents de toute autre activité, en particulier l'agriculture (Retaillé, 2003). Le plus souvent, les pasteurs commercialisent une faible part de leurs produits pour accéder aux produits agricoles, quand ils ne sont pas eux-mêmes engagés dans l'agriculture. On préfère alors qualifier de façon précise les sociétés de « pastorales », quand la vie sociale est déterminée par le troupeau : propriété, circulation, exploitation (Retaillé, 2003).

En Afrique comme en Asie sèche, le pastoralisme a été le plus souvent refoulé vers les marges arides. Dans cette situation, les écosystèmes exploitables sont fragiles et ont une localisation fortement déterminée : il faut des points d'eau. Leur préservation passe par un abandon périodique qui permet la reconstitution. Dans la mesure où les pasteurs vivent directement des animaux, contraints de les suivre de pâturage en pâturage, le nomadisme semble le corollaire

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Place de l’élevage bovin dans l’économie rurale des Peuls du Nord Bénin 26 du pastoralisme ; ce qui n'est pas systématique. En effet, la transhumance des troupeaux ou leurs déplacements sous la conduite des bergers n'induit pas la migration de l'habitat. La majorité ou une partie des membres du groupe social peuvent rester fixés en un lieu, « à la maison » avec quelques vaches laitières (Retaillé, 2003).

Le pastoralisme désigne en fait une forme de société fondée sur le troupeau. Plus qu'un mode de production économique et une forme d'exploitation du milieu, c'est un mode de reproduction de la société (Retaillé, 2003).

Le nomadisme est un mode d'habitat, et surtout un rapport au territoire qui ne se construit pas sous une forme aréolaire ni patrimoniale. L'espace nomade est à prendre au sens très strict du vide entre des points (d'eau). L'espace nomade est un espace de circulation, non un espace de production (Retaillé, 2003).

La plus ou moins grande mobilité des nomades peut être jugée d'après trois dimensions : distance, durée, nombre d'individus. Selon la distance, la gradation s'établit des grands aux petits nomades, de plusieurs centaines de kilomètres de voyage à quelques-uns seulement. Dans le temps, les déplacements peuvent occuper toute l'année, qu'ils soient réguliers ou non, mais aussi se concentrer sur une seule saison bien définie, du pur nomadisme au semi- nomadisme. Enfin, tout le groupe ou une partie seulement suit les animaux : du nomadisme à la transhumance (Retaillé, 2003).

Pour Jones (2005), il est à la fois erroné et trompeur de considérer la transhumance comme une forme de nomadisme en général ou de nomadisme pastoral en particulier. Cet auteur commence par examiner, ce qu'il considère être l'assentiment général des caractéristiques du nomadisme pastoral. C'est un système économique principalement basé sur l'élevage, avec comme complément le commerce. La principale ressource de la communauté, en plus des hommes, est l'élevage, et leurs droits territoriaux sont confinés à des milieux marginaux. Il est alors nécessaire que toute la communauté se déplace de façon saisonnière, pour assurer le pâturage et l'eau de façon suffisante pour le bétail. Ils occupent des terres marginales parce que les environnements mieux favorisés sont déjà occupés par les agriculteurs qui sont installés dans des villages permanents. En d'autres termes, les pasteurs nomades utilisent des environnements que d'autres systèmes économiques ne peuvent pas utiliser et donc ne veulent pas.

Dans ces circonstances, étant donné que la mobilité de la population humaine et animale est essentielle pour le bien-être des deux parties, les pasteurs nomades vivent dans des tentes caractéristiques, des yourtes, ou d'autres formes de logement transportables. Ce besoin de mobilité flexible, combinée avec la nature relativement aride des terres à leur disposition, les dispense généralement de toute forme d'agriculture. C'est en vendant le surplus du bétail, les peaux, les poils de chèvre, le beurre, le fromage, la viande, la laine, et d'autres produits que les communautés nomades pastorales obtiennent les marchandises qu'elles ne produisent pas elles-mêmes. Ce qui fait que les pasteurs nomades comptent beaucoup sur les relations commerciales avec les communautés sédentaires (Jones, 2005).

Selon Johnson (1969), les activités pastorales sont l'une des préoccupations d'une communauté de transhumants, mais l'agriculture reste toujours d'un intérêt dominant. En d'autres termes, les mouvements pastoraux sont limités à une échelle, ont généralement lieu dans un système de vallée, et sont entrepris par une petite proportion de la population totale. Aucune de ces caractéristiques ne sont partagées par des pasteurs nomades. En tant que telle, la transhumance ne doit pas être confondue avec le pastoralisme nomade, car elle fait partie

Place de l’élevage bovin dans l’économie rurale des Peuls du Nord Bénin 27 d'un système qui combine le mouvement saisonnier du bétail à l'agriculture permanente (Jones, 2005).

1.9.3. Les types de mobilité dans la société agro-pastorale béninoise

Au Bénin, les agropasteurs constituent le groupe le plus important des éleveurs de bovins. L’élevage transhumant national concerne 92% du cheptel bovin et 98% des ovins. L’élevage moderne de bétail dans les fermes étatiques et privées ne représente que 0,13% du cheptel bovin et 0,12% du cheptel ovin (Codjia, 2016).

Djenontin et al. (2012) distinguent trois types de mobilité en fonction de la caractéristique de la forme de mobilité et des objectifs des éleveurs, à savoir les transhumances saisonnières à l’intérieur ou à l’extérieur du territoire pastoral et les émigrations.

 Transhumance saisonnière à l’intérieur du territoire pastoral

La transhumance saisonnière à l’intérieur du territoire pastoral est aussi dénommée « petite transhumance » et permet aux éleveurs de mettre en œuvre des pratiques leur permettant :

- de contourner les problèmes d’accessibilité aux ressources et les conflits générés par les dégâts dans les cultures ;

- de disperser les troupeaux élémentaires dans le territoire pastoral sur différents parcours ;

- d’exploiter l’herbage à sa valeur fourragère maximale.

La transhumance saisonnière coïncidait généralement avec la période d'installation des cultures. Dans le calendrier pastoral, ceci a généralement lieu pendant les périodes de « N’dungu » et « Yannè » (Tableau 2).

 Transhumance saisonnière hors du territoire pastoral

Aussi dénommée « grande transhumance », elle permet aux éleveurs d’avoir recours à des pratiques leur permettant :

- d’exploiter l’eau et l’herbage disponibles et de meilleure qualité fourragère des forêts, des savanes et des zones de dépression ;

- d’exploiter les résidus de récolte dans les espaces à forte pression agricole hors du territoire pastoral pendant la période de «Dabounè» (Tableau 2).

 Emigrations

Ces déplacements de troupeaux hors du territoire pastoral peuvent revêtir plusieurs formes dont les principales sont :

- l’émigration d’élevage où le cheptel bovin de l’exploitation (ou les troupeaux), à l’exception du noyau laitier, est dans un territoire d’accueil favorable à sa gestion technique. Le troupeau est alors conduit par un responsable pour assurer les productions qui sont gérées par le chef de famille depuis le territoire pastoral d’origine. Ce dernier se déplace du territoire d’origine au territoire d’accueil pour le suivi périodique du troupeau et de son exploitation. Il s’agit dans ce cas d’une gestion économique à distance ;

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Place de l’élevage bovin dans l’économie rurale des Peuls du Nord Bénin 28 - l’émigration de l’éleveur et de sa famille avec tout le cheptel bovin constitue la seconde forme et elle est consécutive à la mort du chef de famille, à des conflits sociaux et à la dégradation de la qualité des pâturages (embroussaillement, difficultés d’accès aux pâturages, recrudescence des pathologies et affections des animaux, etc.). Tableau 2. Caractéristiques du calendrier Peul ou calendrier pastoral.

Périodes Mensualités

couvertes

Manifestations climatiques

Activités agricoles ou d’élevage

Korsè Avril, mai (1ère

décade/quinzaine)

Toutes

premières pluies

Préparation des champs (défrichement, débroussaillage)

Seeto Mai (2ème

quinzaine), juin

Premières pluies Début des retours de transhumance Installation des semis précoces

N’Dungu Juillet, août,

septembre

Saison des

pluies

Installation des cultures Petite transhumance

Yannè Septembre, octobre,

novembre

Dernières pluies Premières récoltes, maturité des céréales

Départ pour la transhumance

Dabounè ou

Dabbudè

Décembre, janvier Saison sèche froide

(Harmattan)

Vaine pâture dans les champs de céréales après les récoltes

Transhumance

Ceedu Février, mars Saison sèche

chaude

Transhumance (exploitation des fourrages des bas-fonds et lits de rivières après le retrait des eaux)

Barsellè ou

Baïsalè

2ème quinzaine des mois de mars et d’avril

Saison sèche chaude

Apparition et déplacement des nuages Début de la feuillaison des arbres indicateurs de la saison pluvieuse Récolte du fourrage aérien

Source : Djenontin et al., 2012.