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CHAPITRE 1. PEULS DU BENIN ET DE LA SOUS-REGION OUEST AFRICAINE

1.3. L’IDENTITE PEULE

Il existe plusieurs définitions de l’identité. L’identité est infiniment prégnante parce qu’omniprésente. On peut fondamentalement la définir comme le souligne Dorais (2004) comme la façon dont l’être humain construit son rapport personnel avec l’environnement. L’identité peut être comprise comme les manières dont les gens se définissent et se positionnent dans le monde, rendent leurs relations entre eux-mêmes et avec les autres significatives, construisent leurs récits de soi, éditent leur image de soi et exercent leurs identifications afin de se réaliser (Siebers, 2004).

Avec le développement des Etats-nations, plusieurs groupes humains différents les uns des autres de par leur langue, leur culture, leur origine régionale, leur apparence physique se sont vu octroyer des droits économiques, politiques, sociaux et culturels divergents et généralement inégaux. Il se développa en outre un discours idéologique identifiant chaque peuple, dont la fonction ultime est de maintenir les différences économiques et sociales entre ces peuples (Dorais, 2004). Ainsi, apparut l’identité ethnique ou ethnicité qui est : « la conscience qu’un groupe (conçu comme partageant une même origine géographique, des caractéristiques phénotypiques, une langue ou un mode de vie commun- ou un mélange de tout cela) a de sa position économique, politique et cultuelle par rapport aux autres groupes de même type faisant partie du même Etat » (Dorais et Searles, 2001).

Selon de nombreuses études anthropologiques, l’identité des Peuls trouve sa signification dans le terme pulaaku. Selon Riesman (1972) cité dans Guichard (1990), cette notion de pulaaku vient de pulaade qui signifie : jouer le Peul, se comporter en Peul devant un public d’agnats et d’alliés. Pour beaucoup de chercheurs, la notion de pulaaku constitue la valeur centrale de la vie des Peuls.

Dupire, l’une des premières ethnologues à avoir travaillé sur les Peuls dans les années 1950, définit le pulaaku comme étant l’élément central de l’identité des Peuls et le traduit comme étant la « manière de se comporter en Peul » (Dupire, 1981). Une autre composante de l’identité peule est leur occupation professionnelle. Les Peuls sont des spécialistes de l’élevage. Les bovins et les produits de l’élevage sont des éléments centraux dans leur vie et c’est dans les rapports avec les agriculteurs qu’ils reconnaissent et renforcent cet aspect de leur vie (De Bruijn, 2000).

Chez le Peul, le terme pulaaku représente l’identité peule. Pour Boesen (1999), le terme pulaaku désigne le fait d’être Peul ; c’est le système de valeurs complexe des Peuls dont le senteene (pudeur) constitue l’élément fondamental (Boesen, 1997). Chez le Peul, le mutisme est de règle car s’il confesse en public ses besoins physiques, ceci est assimilé à un manquement à la « fulanité » (Guichard, 1998). La calebasse de la femme peule représente

Place de l’élevage bovin dans l’économie rurale des Peuls du Nord Bénin 13 aussi un important symbole ethnique. Ce récipient traditionnel est utilisé pour le lait. Il sert à le transporter dans les villages haabe où il sera vendu alors que, pour tous les autres usages, la calebasse a déjà été remplacée par la bassine en émail (Boesen, 1997). Le pulaaku n’exige pas (ou pas en premier lieu) de l’individu qu’il fasse quelque chose en particulier, mais plutôt qu’il s’abstienne d’accomplir certaines choses. Les règles établies par le pulaaku visent toutes à la négation des besoins et une attitude fondamentale de renoncement (Boesen, 1999). En somme, le pulaaku est une idéologie prédominante de la distinction et de la supériorité culturelle parmi les peuples peuls ; il s'avère un facteur fondamental de conditionnement de leurs relations avec les groupes ethniques auprès desquels ils résident. Le pulaaku est complexe : il renferme les notions de savoir-vivre, de « bonnes manières », d'intelligence, et la conscience d'un héritage culturel et ancestral peul. Au sens le plus large, le pulaaku exprime toute la vie peule (Burnham, 1991).

Au Bénin, la présentation des Peuls dans les marchés des haabe révèle une différenciation intra- ethnique dans la mesure où, trois groupes apparemment indépendants y sont actifs. L'indépendance des Peuls vis-à-vis des "autres" est représentée par chacun des trois groupes sous un aspect différent. Les jeunes hommes démontrent la valeur qu'ils attribuent à l'idéal esthétique, les vieux leur indépendance morale et les femmes l'autonomie matérielle du groupe. L'exhibition de la beauté physique est le privilège, mais aussi le devoir social de la jeunesse. Les jeunes déchargent les vieux de leur devoir de perfection esthétique qu'ils sont par nature moins à même de remplir. Les vieux jouent le rôle de l'observateur, dont la force morale et le maintien souverain contraste avec l'arrogance dont font preuve les jeunes. Ces qualités de vieux trouvent leur source dans le renoncement à toute exhibition d'individualité et dans le dépassement de ce narcissisme juvénile. Les femmes peules forment des figures intégratives : elles réconcilient la dichotomie s'exprimant dans les représentations respectives des jeunes et des vieux hommes. Leur comportement révèle qu'elles revendiquent également une particularité esthétique. De même que les jeunes hommes, elles soulignent leur beauté physique ; cependant, elles ne le font pas ressortir de manière criarde et tapageuse, mais avec la digne retenue caractérisant l'attitude des vieux hommes. Les liens que les femmes créent revêtent une signification plus profonde, dans la mesure où elles apparaissent comme garantes de l'autonomie et de la stabilité du groupe (Boesen, 1997).

Cependant, certains auteurs ont tenté de prévenir par rapport aux dérapages que pourrait occasionner l'utilisation de l'identité ethnique peule. Selon Breedveld et De Bruijn (1996), le discours sur l’identité est une simplification de la réalité et cela risque de faire d’un peuple, une entité artificielle et d’« oublier » tout ce qui fait sa diversité et ses différences. En utilisant le terme pulaaku, beaucoup de chercheurs n’ont pas tenu compte de la grande diversité parmi les différentes sociétés de Peuls. Botte et al. (1999) rapportent même qu'une instrumentalisation du thème pulaaku a même été constatée lors d'un séminaire linguistique organisé en 1987 par des intellectuels peuls béninois. Ce séminaire avait pour enjeu l’organisation des Peuls en tant que groupe de pression autonome dans une stratégie d’accès au champ politique et au pouvoir. Or, cette catégorie peule englobait des locuteurs de langue fulfulde d'origines différentes (libre et servile) et qui devaient pour exister, éluder toute hétérogénéité. Mais comme le mentionne Hardung (1997), les Peuls abusèrent du « néo- traditionnel » et leur discours sur la " fulanité" finit par indisposer les Gando qui, du coup, se démarquèrent du Séminaire fulfulde et du recours à l’ethnicité peule comme modèle d’ethno- développement. Malgré leur origine diversifiée, les Gando, pour se démarquer des Peuls s'engagèrent à leur tour dans un processus d'identité ethnique qui reposait sur le concept de force physique. Ce concept permit aux Gando de créer une valeur commune et de se reconnaître comme membres d’un même ensemble social partageant la même éthique ; dès

Chapitre 1. Peuls du Bénin et de la sous-région ouest africaine

Place de l’élevage bovin dans l’économie rurale des Peuls du Nord Bénin 14 lors, de se distinguer des Peuls en revendiquant comme moyen d’émancipation le stigmate ancien de la force physique.