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Mobilité et exclusion, des faits qui relativisent la perception des inégalités

quartiers de la politique de la ville

2. La question de l’accessibilité territoriale et l’exclusion du système des transports

2.2 Mobilité et exclusion, des faits qui relativisent la perception des inégalités

Afin de comprendre les différences, les inégalités, voire la ségrégation par rapport aux transports et à la mobilité, il est important de situer un cadre général.

L’approche « territoriale » de la mobilité se base sur l’expression de volontés collectives de préservation et d’animation des quartiers ou espaces, où s’expriment à la fois des formes d’identité et des formes de sociabilité. Il y a bien une recherche de revalorisation du sens des territoires, longtemps reléguée au second plan par une logique trop exclusivement circulatoire. Cette analyse est portée par J.-P. Orfeuil, qui en plus, affirme qu’« en termes de mobilité, cette recherche de valorisation permet de lire le fonctionnement de la ville dans son ensemble, des rapports que les habitants établissent entre eux, des logiques de développement et des logiques de ségrégation, des modes de vie, donc des modes d’accès, des stratégies imposées ou voulues par rapport à la vie quotidienne »11.

Quelles sont les observations pour ces vingt dernières années, dans les domaines conjoints des transports et des dynamiques urbaines ?

10 CNT, op.cit.

11 J.-P. Orfeuil. « Trois futurs pour la mobilité et la ville », in Se déplacer au quotidien dans trente ans. Éléments pour un débat.

En 1998, un travail collectif, réalisé sous l’égide du Ministère de l’Équipement, a permis de balayer très rapidement les principales analyses et diagnostics à ce sujet à travers une comparaison des enquêtes12 de 1982 et 1994, à savoir13 :

• Une mobilité (nombre total de déplacements par personne et par jour) stable (elle est passée de 3,5 à 3,2). Mais les distances parcourues ont augmenté de 30 %, et les distances entre domicile et travail de 66 % en 12 ou 15 ans.

• Une forte croissance des déplacements motorisés, mais en faveur de l’automobile et aux dépens de la marche et des deux-roues ; l’évolution des transports en commun reste faible.

• Les déplacements internes et à destination du centre sont de plus en plus minoritaires, au bénéfice des déplacements en périphérie (banlieue-banlieue et périurbain), qui progressent.

• Le temps passé quotidiennement en déplacements de proximité reste stable à 55 minutes en moyenne (71 minutes pour l’Ile-de-France, 59 minutes pour les villes millionnaires et 46 minutes pour les autres agglomérations). Ceci est le résultat de l’augmentation des vitesses de déplacements en voiture et de l’aménagement des infrastructures urbaines rapides (autoroutes, fer, métros), qui permettent d’accéder à de plus vastes territoires à durée de déplacement constante.

• La dépense monétaire en transports augmente notablement au sein des budgets des ménages alors que la part du logement semble assez stable.

• La mobilité quotidienne s’accroît avec le niveau d’étude, la possession d’une voiture et le revenu. L’évolution de l’usage de la voiture en tant que conducteur modèle les évolutions de la mobilité, car cet usage est en progrès de 39 % pour l’ensemble des hommes, de 100 % pour les femmes actives. Même pour ceux dont le niveau est très faible, comme c’est le cas des femmes au foyer et des chômeurs, l’évolution est de 120 % pour les premières et de 110 % pour les chômeurs.

• Cette mobilité est ainsi plus faible pour les chômeurs et forte pour les actifs.

L’augmentation des distances parcourues (en kilomètres par individu et par jour) entre hommes actifs et chômeurs est inégale : les premiers parcourent 8 km supplémentaires (soit 38 km) entre les deux dates contre + 5 km pour les seconds (soit 20 km). En termes relatifs, les distances parcourues par les chômeurs ont augmenté de 30 % contre 21 % pour les actifs.

• En fonction des modes de déplacement, actifs comme chômeurs parcourent moins de distance à pied ou en deux-roues, tandis qu’ils en parcourent plus en tant que conducteur d’un véhicule : les actifs passent de 22 km à 32 km et les chômeurs de 6 km à 12 km. L’écart demeure entre les deux, mais la tendance à un usage de la voiture pour les demandeurs d’emploi se consolide sur des distances plus importantes. Ces écarts sont aussi importants en terme de budget-temps : celui des hommes actifs reste important avec 70 minutes par jour, mais en chute de 4 % par

12 Enquêtes nationales transports. La prochaine est prévue en 2007.

13 Cf. C. Gallez, J.-P. Orfeuil et A. Polacchini. L’évolution de la mobilité quotidienne, croissance ou réduction des disparités ? in MELT, Les transports et la ville, analyses et diagnostics. Actes du séminaire des Acteurs des transports et de la ville, Paris, mars – mai 1998.

rapport à 1982 ; pour les chômeurs le budget-temps actuel de 52 minutes par jour chute aussi, mais de 2 %.

• Néanmoins, si l’on soustrait les distances parcourues lors des migrations domicile-travail, les distances parcourues par les chômeurs sont légèrement supérieures. La mobilité non liée au travail ne se réduit pas avec la baisse des revenus (globalement de – 15 % selon l’INSEE), mais par contre elle peut augmenter dans certains cas : déplacements liés aux démarches administratives, accompagnements et achats (qui correspondent à un report d’activité au sein du ménage) et visites (qui peut remplacer la sociabilité existante sur les lieux de travail).

• Dans la période 1981-1982, un cadre se déplace sur des distances beaucoup plus grandes qu’un ouvrier, avec un budget-temps nettement plus élevé. En 1993-1994, la distance parcourue par un cadre est restée stable (avec un budget-temps très élevé même s’il a diminué entre les deux dates, passant de 88 à 82 minutes par jour). Pour les ouvriers, la distance croît (de 24 km/jour à 27 km) tandis que leur budget-temps reste stable (63-62 minutes).

• Ainsi, les distances parcourues varient considérablement selon les catégories de population et la localisation du domicile. Les disparités de mobilité se confirment entre localisations résidentielles. La distance parcourue par les habitants des villes-centres passe de 15 km à 18 km, celles des banlieues de 18 km à 22 km et pour la partie périurbaine de 19 km à 28 km. Dans les zones de peuplement industriel et urbain (ZPIU)14, de plus de 300 000 habitants, la distance parcourue en moyenne passe de 17 km à 21 km ; dans la ville-centre elle passe de 15 km à 17 km tandis que dans la partie périurbaine elle passe de 18 km à 26 km. Observons néanmoins que les budgets-temps restent relativement stables, surtout pour les habitants des périphéries et par rapport à ceux des habitants des villes-centres, indépendamment de la taille des agglomérations, et ceci grâce à l’utilisation de la voiture dans des territoires plus aisément circulables.

• Les formes d’emploi conditionnent la nature des migrations domicile-travail : l’apprentissage reste une pratique de proximité (avec des retours fréquents car 58 % des apprentis déclarent faire deux allers-retours par jour contre 37 % de la population active). Ils ont une mobilité quotidienne similaire à celle d’un actif en contrat à durée indéterminée (3,7 déplacements par jour et par personne), sauf qu’ils réalisent 10 km de moins, soit 25 km par jour. Les intérimaires réalisent des missions éloignées de leur domicile (48 km par rapport à 35 km pour des contrats à durée indéterminée, et 77 minutes de déplacements contre 70 pour les contrats à durée déterminée), les titulaires de contrats à durée déterminée ont des comportements proches de ceux des actifs employés à temps partiels et tous deux ont été recrutés à proximité de leur domicile (4,3 déplacements, entre 25-27 km par jour, mais avec 73 minutes de déplacements contre 64 minutes pour les CDI à temps partiel).

• La distance moyenne domicile-travail a augmenté de près de 60 % entre les deux dates, et la proportion d’actifs travaillant à plus de 40 km a presque doublé, passant de 3,1 % à 5,9 %. Ceci est la conséquence de plusieurs phénomènes : métropolisation, suburbanisation, chômage, flexibilité de l’emploi, croissance des

14 La ZPIU englobe une agglomération principale et sa zone d’attraction.

ménages à plusieurs actifs et permanence résidentielle portée par l’accession à la propriété.

• Plus le budget du ménage est faible, et plus la part des dépenses consacrées aux transports est importante.

Voici donc un portrait, certes à travers des moyennes, de la mobilité au niveau français, une des principales conclusions permettant quand même de souligner l’existence de différences importantes entre certaines catégories socio-professionnelles et entre territoires.

Peut-on dire la même chose lorsqu’il s’agit d’analyses concernant les quartiers de la politique de la ville ?

On pourrait dire par exemple, sans trop se tromper, que la mobilité dans les quartiers dits défavorisés, est en principe plus faible dans la mesure où les populations les « moins mobiles » (par exemple chômeurs, jeunes) sont sur-représentées. Plus généralement, le territoire n’a pas la même échelle pour toutes les catégories de population, ce qui a pour conséquence de limiter leur sphère sociale et donc leurs perspectives...

Mais ici se pose la question abordée plus haut par Ph. Estebe, sur la diversité des quartiers.

Tout le problème repose ici, et au niveau national, par rapport au type d’analyse, souvent très marquée par la moyenne et issue des enquêtes ménages, dont la représentativité de la diversité de situations peut être questionnée. Néanmoins, les observations réalisées par différents auteurs dans le temps et plus particulièrement par B. Quetelard, restent intéressantes, et mériteraient d’être plus approfondies dans le temps. Ce dernier, en analysant différentes enquêtes ménages-déplacements de deux agglomérations millionnaires (Lille-1987 et Lyon-1995) – met en évidence certaines caractéristiques de la mobilité, à savoir15 :

• Les populations des quartiers défavorisés ont des caractéristiques particulières avec notamment une sur-représentation des catégories les « moins mobiles ».

• À caractéristiques identiques (ex. niveau d’étude, âge, motorisation,), les personnes habitant ces quartiers sont généralement moins mobiles qu’ailleurs. Ceci concerne globalement toutes les catégories d’actifs, les étudiants, les chômeurs…

• Contrairement à l’idée qu’on se fait, les habitants de ces quartiers ne sortent pas moins de leur quartier que d’autres. Mais il y a des écarts entre quartiers.

• Ils se déplacent moins pour des motifs associatifs, culturels et sportifs.

• Ils se déplacent nettement moins en voiture (le taux de motorisation est relativement plus faible dans ces quartiers) et plus souvent à pied.

La place des chômeurs dans ces quartiers et au niveau national a permis d’aborder le problème par rapport aux déplacements. En 1995, la recherche réalisée par C. Harzo et S. Rosales-Montano16 met en évidence pour la première fois, à travers des enquêtes dans

15 Cf. Bernard Quetelard. “La mobilité dans les quartiers de la politique de la ville : enseignement des enquêtes ménages déplacements de Lille et Lyon. CETE Picardie, in MELT.

Transports et ville », op. cit.

16 Cf. C. Harzo et S. Rosales-Montano. « Chômage et déplacements », Observatoire Social de Lyon et Agence d’urbanisme de la Communauté urbaine de Lyon. Décembre 1995.

quatre grandes villes françaises et en dehors des approches partielles issues des enquêtes déplacements, la spécificité des déplacements des chômeurs, à savoir notamment :

• une mobilité domicile-travail remplacée par une mobilité tous azimuts ;

• des déplacements irréguliers, tributaires des aléas de la recherche d'emploi ;

• la diminution globale de la mobilité mécanisée, au profit de la mobilité de proximité réalisée à pied.

Au-delà de ces aspects, les approches existantes sont aussi socio-catégorielles, toutes à la recherche d’une analyse fine des spécificités de la mobilité ou accès aux transports des jeunes, des femmes, des femmes immigrées, des populations à bas revenus17

Si ces analyses sont porteuses des renseignements, des études ont montré aussi que toute extrapolation de ces résultats est délicate. Il est nécessaire de ré-interroger ces résultats locaux de manière permanente et en fonction des situations diversifiées.

L’interprétation de la « faible mobilité » est un exemple de ces observations car sa signification en matière d’intégration urbaine est à lier avec un nombre important de paramètres comme la composante sociale et culturelle, les équipements existants dans un quartier, etc.

2.3 Mauvaise offre et enclavement spatial des quartiers

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