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CHAPITRE II CADRE THÉORIQUE 39

2.2 L’analyse stratégique des systèmes d’échange de proximité 46

2.2.1 La mission et les objectifs généraux 46

La détermination des orientations stratégiques (mission, objectifs généraux, stratégie directrice et stratégie d’affaires) et de leur cohérence est décrite par Côté et al. (2008) comme la première étape du processus stratégique. Cette section de notre cadre théorique porte sur les deux premiers éléments composant les orientations stratégiques d’une organisation (voir schéma 2.3) : la mission et les objectifs généraux. Nous nous pencherons d’abord sur la particularité des missions des organisations d’économie sociale puis nous énumérerons différentes missions recensées par les auteurs s’intéressant à l’échange de proximité. Nous présenterons quelques éléments théoriques portant sur les objectifs généraux, en insistant sur la diversité des champs sur lesquels ils peuvent porter et l’implication sur la gestion stratégique souvent plus ou moins informelle des systèmes d’échange de proximité. Enfin, nous présenterons la notion de champ stratégique, correspondant à la définition opérationnelle de la mission.

La mission est la raison d’être de l’organisation. Elle est « un énoncé général, mais durable des objectifs que se fixe l’entreprise » (Pearce II, 1982, dans Côté et al., 2008, p. 35) – ou objectif a ici pour sens finalité. La mission peut aussi être considérée comme un « point de rencontre des valeurs et des visées respectives des principaux meneurs d’enjeux internes et externes de l’entreprise » (Côté et al., 2008, p. 35). Les auteurs affirment également que l’énoncé de mission doit être revu occasionnellement afin de tenir compte de l’évolution de l’organisation et du contexte dans lequel elle évolue (environnement, meneurs d’enjeux).

C’est principalement au plan de la mission que l’organisation d’économie sociale se distingue de l’entreprise privée capitaliste. Alors que dans les entreprises à but lucratif la finalité est la génération de profit et l’acquisition de parts de marché afin d’accroître la valeur pour les actionnaires, dans les

organisations à but non lucratif, les revenus financiers sont plutôt un moyen qu’une fin, la finalité étant « the fulfillment of some social mission that is, the creation of public value » (Hackler et Saxton, 2007, dans Youssofzaï, 2000). Malo et Vézina (2004), en parlant de coopératives, mentionnent pour leur part une finalité de satisfaction des membres-usagers. Cette distinction oblige les stratèges à prendre du recul par rapport à la logique de concurrence, inhérente la plupart des théories en stratégie, pour intégrer celles de coopération et de réciprocité.

Nous sommes revenus à plusieurs reprises sur les tensions probables entre la dynamique du groupement de personnes et celle de l’entreprise dans les organisations d’économie sociale. Ces organisations présentent une mission à la fois sociale et économique et cette dualité entraîne fréquemment des tensions entre activité économique et identité associative (Lévesque et Mendell, 2004), mais également de l’incompréhension de la part de certains acteurs en lien avec l’organisation.

« Trop souvent, on a opposé à tort associations et entreprises. Pourtant, l’association peut exercer une activité économique et commerciale. Le caractère sans but lucratif ne s’adresse qu’aux membres, qui ne peuvent partager les bénéfices. L’objet économique, voire commercial, n’invalide pas la compatibilité avec le statut associatif s’il est accessoire aux buts et objets de l’association. » (Jolin, dans Jolin et Lebel, 2001, p.123 ; d’après Côté et al., 2008)

Les objectifs généraux, dont l’atteinte contribue à réaliser la mission, peuvent être extrêmement diversifiés. Ils peuvent refléter une vision du monde, être en lien avec l’amélioration des produits et services, la satisfaction des clients, etc. (Côté et al., 2008). Ils peuvent être quantifiables ou non et concerner l’avenir à court, moyen ou long terme de l’organisation (idem). La notion d’objectif général est absente des écrits portant sur l’échange de proximité, sauf lorsqu’elle est présentée de manière interchangeable avec celles de mission, de finalité ou de raison d’être.

Selon Blanc (2006), on peut retrouver les mobiles (ou buts) autant dans les discours des organisateurs que dans les modes d’organisations. Pour notre recherche empirique, nous ne nous contenterons donc pas d’analyser les éléments de discours du sommet stratégique des organisations étudiées, mais nous analyserons également les aspects de la mission qui transparaissent dans les choix organisationnels réalisés. L’énoncé de mission, parfois appelé raison d’être ou objectif général (à tort), peut être très diversifié comme nous l’apprend notre recension des écrits (portant à la fois sur les écrits de chercheurs et de militants). Blanc (2006) parle d’objectifs de localisation et de dynamisation des échanges au sein d’une population afin de privilégier l’usage local de revenus issus d’une production locale. Boulianne (2005), en parlant des objectifs de la coordination des systèmes d’échange de proximité énumère : l’éducation populaire, la conscientisation, le développement de l’économie sociale et l’insertion professionnelle et sociale. On pourrait aussi penser au développement de liens de

solidarité ou à la valorisation des compétences. Certains organismes s’affichent ouvertement comme ayant été mis sur pied afin de pallier au problème d’exclusion. Il semblerait que dans certaines organisations, la mission sociale (créer des liens) prime et que l’échange économique soit le moyen retenu pour y parvenir alors que dans d’autres cas, la mission englobe à la fois les aspects économiques et sociaux.

Lévesque (2001; 2002) identifie quatre types d’organisations d’économie sociale, selon deux critères : les raisons qui donnent sens au projet d’entreprise (une économie sociale de nécessité visant à contrer les effets destructeurs du marché et de l’État ou une économie sociale d’aspiration qui vise le développement voire le changement de la société) et la prédominance des types d’activités, à dominante marchande ou non marchande. Ces distinctions ont un impact majeur sur l’énoncé de mission et sont susceptibles de se retrouver dans les systèmes d’échange de proximité, les uns mettant avant tout l’accent sur l’amélioration des conditions socio-économiques des membres, les autres sur l’expérimentation d’une alternative de rapport de consommation, de rapport de travail, etc..

La définition opérationnelle de la mission

La réflexion entourant la mission est centrale dans l’analyse stratégique. Alors que nous nous sommes jusqu’à présent concentrés sur l’énoncé de mission, lequel constitue en quelque sorte l’image que veut projeter l’organisation (Côté et al., 2008), d’autres auteurs s’intéressent plutôt à la définition opérationnelle de la mission. Le concept de champ stratégique, proposé par Allaire et Firsirotu (2003) et reprenant sensiblement le triangle produits et services – marché – ressources, technologie et compétences issu des théories traditionnelles en stratégie, permet de faire le pont entre la mission et la définition de la stratégie directrice. Le champ stratégique correspond également à l’envergure à donner au système stratégique ; il trace donc les frontières de la firme (Allaire et Firsirotu, 2003). Le schéma 2.4 représente le concept de champ stratégique et la notion de frontière du système stratégique.

Schéma 2.4 – Le champ stratégique

Source : Allaire et Firsirotu (2003)

Étant donné la grande diversité des systèmes d’échange de proximité, nous ne pouvons présenter une réflexion unique sur le champ stratégique de ces organisations, lequel peut varier énormément d’une organisation à l’autre. Nous proposons donc plutôt quelques pistes de réflexions qui nous aiderons à identifier des modèles génériques de systèmes d’échange de proximité et des choix stratégiques qui seraient cohérents avec leurs caractéristiques. Le tableau 2.1, à la page suivante, synthétise notre réflexion sur les limites du système stratégique de ces organisations. On voit que le marché est constitué de différents segments non exclusifs de consommateurs, dont un concerne la portion moins solvable de la demande – les exclus, et qu’une des compétences est typiquement relationnelle et politique (associative).

Tableau 2.1 – Le champ stratégique des systèmes d’échange de proximité Dimension du champ stratégique Application à l’échange de proximité Commentaire

Produits / Service Structure d’échange de biens,

services et savoirs utilisant une monnaie sociale

Nous utilisons le terme structure, plutôt qu’espace, qui renvoie à un territoire

géographique

Marché o Territoire d’action local,

essaimage possible

o 3 segments en fonction du bénéfice recherché1 : - mobilisation

(individus recherchant un cadre solidaire en marge du marché) ; - proximité

(individus cherchant à développer des liens d’appartenance) ; - entraide

(individus en situation de pauvreté et/ou d’exclusion).

Frontière d’une organisation et non d’une fédération.

Segments non exclusif, motivations possiblement multiples des membres et membres potentiels.

Développement de liens sociaux comme sous-produit de

l’échange.

Compétences / Ressources / Technologie

o Caractéristiques de la monnaie (rapport à la valeur- temps, condition d’émission, forme de la monnaie)

o Mode de comptabilisation et logiciels utilisés

o Vigueur de la vie associative et mode de gouvernance

Vigueur de la vie associative (liée à la participation) et mode de gouvernance en tant

qu’actifs intangibles

1

Nous avons identifié les segments sur la base des distinctions proposées par Lévesque (2001; 2002) entre l’économie sociale d’aspiration (bénéfice recherché : mobilisation) et de nécessité (bénéfice recherché : entraide) auxquelles nous avons ajouté, à la lumière de notre recension des écrits, un segment que nous associons à la volonté de certains individus de créer des liens avec les membres de leur communauté.