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Mise en relation du masculin et du féminin dans les citations : « cause commune » et invention

Partie 2 La figure médiatique du père : invention, production de savoirs et rapports de

B. Editorialisation de la parole des pères et rapports de pouvoir dans l’écriture

3. Mise en relation du masculin et du féminin dans les citations : « cause commune » et invention

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Dans tous les témoignages de père, au niveau de la première page réservée au portrait du « néo-daron » type, la condition de la mère est évoquée : l’ensemble les hommes parlent de leur femme en décrivant leur situation et leur vécu au moment de l’arrivée de l’enfant. Par exemple, Richard un père interrogé par Causette : « Il me fallait apprendre à connaître ma

fille, ses peurs, ses joies, ses douleurs, ses besoins. Après aussi à connaître ma femme

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83 Jean Pierre Cléro, « Concepts Lacaniens », Revue Cité, no.16, 2003, p145-158 !

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devenue mère (…) Il m’a aussi permis d’apercevoir que jusqu’à l’arrivée de ma fille, je me reposais inconsciemment sur mon épouse ». Dans ce témoignage, le père évoque le besoin, à la naissance de l’enfant, de redécouvrir le foyer familial à plusieurs titres : faire la rencontre avec son enfant et sa femme devenue mère mais aussi prendre conscience de son manque d’investissement dans le foyer familial qu’il s’agira désormais de co/re-construire. Ces tranches de vie choisies par les journalistes, dans la perspective de la construction d’une « cause commune », pourraient renvoyer à la notion de « monde commun » évoquée par François de Singly84

. D’après le sociologue, la présence majoritaire des femmes au sein du foyer aurait aujourd’hui conduit à un déséquilibre dans le rôle de fabrication du « monde commun » familial où « les hommes vivent dans un monde commun qu’ils ont peu construit » et où « les femmes passent beaucoup de temps en revanche à l’entretenir ». Or dans les citations, c’est la construction de cet univers commun qui est en jeu à l’arrivée de l’enfant. Il est évoqué par le père à travers ses relations avec la mère.

Pour autant, si les citations choisies mettent en relation les hommes et les femmes autour d’une problématique commune, l’enquête souligne les différences qui se dessinent lors des expériences quotidiennes des deux sexes. Par exemple, selon les journalistes, le désagrément qui se pose au sujet de la « charge mentale » pour les femmes serait tout le travail d’organisation invisible de la répartition des tâches. Pour les pères, elle incarnerait le fait de passer à côté de leur paternité. A ce titre, un père parlant de sa femme : « Par la force

des choses, elle s’est occupée de tout pendant deux mois et nous sommes arrivés à un point où je ne connaissais même pas le nom de la mutuelle où elle avait inscrit notre fille ». Il en va de même pour la sphère professionnelle. Si les femmes connaissent des discriminations à l’embauche ou dans leur carrière, le stéréotype de l’homme travailleur dans l’entreprise est mis en avant par les journalistes : « Ma manager a vu dans mon congé parental la preuve que

j’essayais de partir de la boîte ». De fait, la « cause commune » construite par la rédaction n’est pas synonyme d’une stricte réversibilité entre les deux sexes avec un gagnant et un perdant. Elle réside plutôt dans le fait que les deux membres du couple et de façons différentes, selon leurs propres expériences quotidiennes et à des degrés plus ou moins excluants, sont concernés ensemble.

A ce titre Judith Butler permet de prolonger la pensée de François de Singly à travers le concept de « performativité ». Ces témoignages exposent des situations où les pères et les mères racontent des habitudes de genre au sein du foyer qui s’avèrent inégalitaires (plus ou !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

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moins malgré eux). Pour autant, l’auteur avance que ces habitudes sociales peuvent être remises en cause grâce aux « capacités d’agir » des acteurs. Or celles-ci semblent s’amorcer dans la réflexivité des pères visible dans les témoignages. De fait, ces paroles représentent comme des espaces de « réinvention des relations »85

structurantes du « monde commun » en décentrant le regard sur la condition des hommes et en pensant les stéréotypes qui pèsent sur eux et qui influent en retour sur les femmes au quotidien.

4. Conclusion

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Finalement, la main mise des femmes journalistes sur la parole des pères n’est pas synonyme d’un renversement de pouvoir. Il ne semble pas question que la femme prenne ici l’ascendant sur l’homme. Il s’agirait plutôt d’une forme de rééquilibrage par l’écrit où la position de pouvoir des femmes, en tant que journalistes, leur donne l’occasion d’être maitre du jeu du récit et d’incarner des porte-paroles des hommes. En effet, les femmes ont symboliquement fait place aux hommes dans les images et l’écrit tout en affirmant leur présence ailleurs, notamment dans les dispositifs énonciatifs. Elles traduisent dans l’enquête la parole des pères où l’écriture devient un lieu de rencontre et une tentative de compréhension de l’autre, en l’écrivant. Finalement, les textes ne sont pas le lieu d’une inversion des rôles mais d’une pensée relationnelle des genres : entre la femme enquêtrice et l’homme enquêté et la mère et le père dans les citations. Cette pensée donne à lire la réflexivité des acteurs qui ensembles pensent la différence. Il se joue finalement un jeu de clair/obscure stratégique entre effacement et affirmation de la présence des journalistes construite en fonction de l’Autre.

C. Conclusion

Le problème public autour du congé paternité se structure en fonction d’un rapport singulier des journalistes avec leurs sujets d’enquêtes où les pères sont à la fois des objets de discours et des sujets avec qui elles entrent en relation dans un rapport identitaire à l’Autre. La figure qui est proposée par les journalistes et qui découle de l’ensemble des citations du papier est le résultat d’un processus de sélection, de réécriture et de mise en récit de la parole des pères. Celle-ci est le miroir des croyances des journalistes au sujet de la paternité et de la !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

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masculinité : le père a changé et souhaite s’investir dans le foyer mais il attend qu’on lui donne la possibilité. De fait, Anna et de Maëylis occupent une position de pouvoir car elles donnent aux hommes la possibilité de rendre leur cause visible sur la scène médiatique. Pour autant, l’écriture de l’enquête n’opère pas un renversement de la domination des femmes sur les hommes mais plutôt un mouvement de rééquilibrage et de redistribution des dépendances par l’écrit. Cette première approche de la figure du père, dans les textes, me mène à explorer sa dimension photographique. Ces deux pans d’une même figure découlent trajectoires distinctes qu’il s’agira de mettre en relation dans une analyse du rapport texte- image.

2) Des pères en quête de représentation : participation à la construction