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Partie 1 La construction médiatique du problème public sur le congé paternité : la

B. Conclusion et hypothèses de recherche dans la perspective d’une thèse

Pour saisir la complexité de l’éditorial et de la couverture du magazine numéro quatre- vingt trois, j’ai développé trois méthodologies complémentaires : la sémiologie pour mettre en lumière la construction des normes de genre, l’analyse de discours afin de souligner les éthos construits dans ces objets et enfin j’ai tenté de capter les imaginaires, à propos du genre et du journalisme dans les entretiens pour les mettre en résonnance avec les textes.

Finalement, cette étude a été éclairante pour saisir la structuration du problème public autour du congé paternité avec la place que la rédaction aspire à occuper dans l’espace public et la façon singulière dont elle a construit la figure du père. En effet, le détour par la construction de la figure féminine de Causette et les imaginaires que les journalistes y investissent m’ont permis de souligner le contexte éditorial du magazine dans lequel se trouve l’enquête, de saisir comment le genre structure ses productions éditoriales et la vision des journalistes de leurs pratiques professionnelles. Plus précisément, avec le contexte de l’affaire Weinstein, les tensions autour du genre masculin, entre figure négative et positive, cristallisent des relations à deux vitesses avec le féminin : entre inclusion et exclusion. Par ailleurs, l’analyse du personnage de Causette me permettra d’engager une approche relationnelle avec la figure du père dans l’enquête, en prenant en considération l’implication du genre féminin dans le point de vue du journaliste, sa pensée du masculin et l’écriture. Enfin, avec le détour par les !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

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représentations du journalisme j’ai souligné les motivations d’Iris, d’Anna et de Maeÿlis et le jeu ténu des frontières entre journalismes et militantisme.

Désormais, j’aimerais soumettre trois hypothèses de recherche qui découlent de cette analyse.

Tout d’abord, en remettant en question l’espace public tel qu’il est défini par Habermas, Nancy Fraser72

rappelle quelques propriétés historiques de celui-ci : un éthos masculin, « rationnel », « vertueux » et « viril » placé sous l’idéologie démocratique de l’universalité. L’espace médiatique comme l’espace public serait donc exclusif à des niveaux plus ou moins informels avec des normes d’écriture et de choix des débats qui masquent des relations de pouvoir. Or Causette, magazine féministe qui assume son point de vue féminin sur le réel semble en opposition avec les principes décrits par Nancy Fraser. Il serait donc légitime de se demander en quoi ce magazine a pu pénétrer l’espace public et médiatique. J’aimerais ici faire l’hypothèse que le contexte de l’affaire Weinstein aurait opéré un décentrement des médias vis à vis des questions féministes dont les règles pour être visible dans l’espace public et médiatique seraient en voie de renouvellement. Causette aurait alors bénéficié de cette ouverture dans le cas du congé paternité. Dans cette perspective, il serait intéressant d’interroger des journalistes d’autres médias pour saisir leurs représentations du féminisme.

Cette hypothèse me mène à la seconde. L’enquête semblerait être un espace préservé au sein même du magazine numéro quatre-vingt trois. En effet, le genre masculin est représenté en tension avec le féminin dans l’éditorial et la couverture. Des dynamiques d’inversion du pouvoir se jouent dans ces textes. Or, dans l’enquête c’est une relation inclusive et cristallisée autour d’une « cause commune » qui se dessine. De fait, je pourrais faire l’hypothèse (à l’échelle même du magazine) que l’enquête menée auprès des pères incarne une ouverture de

Causette et participe à une recomposition identitaire du magazine et des journalistes elles- mêmes.

Enfin la troisième hypothèse. Au regard des premiers relais médiatiques (dans les deux jours qui ont suivi la publication de l’enquête)73, la mise en circulation de la question du congé paternité semble lisser les prises de position des médias et inhiber la réflexion engagée par journalistes de Causette autour du lien entre le genre et leurs productions médiatiques. En effet, les médias présentés en annexe utilisent le discours rapporté pour citer les paroles de !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

72 Nancy Fraser, « Repenser la sphère publique : une contribution à la critique de la démocratie telle qu’elle

existe réellement », extrait de Habermas and the public sphere, MIT Presse, 1992, p109-142

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Causette sans s’engager individuellement. Ces premiers relais médiatiques ne sont que des reprises mais ne polarisent pas le débat autour de prises de positions.

3) Conclusion générale

Cette partie a décrit la construction générale du problème public autour du congé paternité à quatre niveaux : en précisant l’origine de cette question publique, les modalités de sa mise en récit, son inscription dans un dispositif textuel de communication et enfin l’importance du genre dans la structuration du problème public. Ces quatre niveaux articulent trois méthodologies interdépendantes : une approche sociologique avec les entretiens menés auprès des journalistes, l’analyse de discours et une approche plus poétique et esthétique avec la sémiologie. Chaque méthode a éclairé des points singuliers de mon objet que j’ai tenté de mettre en résonnance pour saisir sa complexité.

L’émergence de ce problème public provient d’une personne en particulier, Iris, qui en tant que journaliste, militante et jeune mère a amené le sujet en interne. L’adhésion de la rédaction dans le congé paternité s’est alors cristallisée autour de croyances à la fois sociales (une cause juste et importante) et communicationnelles (un potentiel succès médiatique) dans cette cause. Ensuite, le congé paternité a fait l’objet d’une mise en récit autour de la construction d’une « cause commune » concernant les hommes et les femmes, en déployant un problème systémique (au delà de la répartition sexuelle des tâches). Cette démarche s’inscrit dans une logique de distinction vis à vis des associations féministes militantes.

Puis, le choix des supports de communication et des types de texte (enquête, tribune et pétition) représente une démarche à la fois symbolique, politique et communicationnelle afin de rendre visible la cause et d’affirmer la position de Causette face au congé paternité.

Enfin, l’attention portée à l’éditorial et à la couverture, miroirs de la construction identitaire du magazine et des journalistes, a permis de soulever trois points fondamentaux pour l’analyse du dossier sur le congé paternité : la conception du genre féminin de Causette (relationnel et pluriel), les tensions qui existent autour du genre masculin dans les productions et dans les débats en interne et enfin la façon dont le genre féminin (le point de vue des journalistes et l’écriture) structure les productions éditoriales et potentiellement les relations avec les pères interrogés pour l’enquête.

Désormais, après avoir analysé en profondeur les acteurs, leurs stratégies et leurs trajectoires inscrites dans les productions médiatiques, je vais dès à présent poursuivre ma démarche avec

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l’étude du processus de construction de la figure de la paternité qui semble cristalliser des imaginaires et des représentations des journalistes tout en représentant un outil rhétorique au service de la cause du congé paternité.