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Partie 2 La figure médiatique du père : invention, production de savoirs et rapports de

C. L’homme féministe : la figure de l’homme invoquée par Causette

1. L’homme féministe : une figure omniprésente dans l’enquête et dans les entretiens

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Si les journalistes se focalisent sur la paternité en proposant une figure à la fois idéale et contre-stéréotypée, le « néo-daron », elles développent toutefois a posteriori un discours plus large : « les hommes engagez-vous en tant qu’homme ». En effet, une autre figure du père autour de l’engagement semble se dessiner. Quels sont ces signes de l’engagement ?

Ces signes se lisent à deux niveaux dans les écrits des journalistes de Causette. D’une part, dans l’enquête avec la description de pères investis dans leur quotidien. D’autre part, la mise en scène de la parole des pères par les journalistes qui paraît mimer leur engager dans le

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congé paternité en tant qu’acteur politique. En effet, dans les images et les citations sélectionnées, les hommes sont actifs, ils prennent la parole, et qui plus est, au sujet de leur investissement au sein du foyer. Mais ce qui est plus significatif, c’est tout le dispositif de mise en participation des pères pour faire « comme si » cette mobilisation était commune, au sens d’une égale participation dans la promotion du congé paternité. A ce titre, Iris évoque au sujet de la tribune :

« Oui en fait l’idée était de faire signer la tribune par quelques dizaines de grands noms qui feraient du bruit

quoi, donc des mecs quoi (…) on voulait d’abord que ce soit des hommes qui enfin prennent les devants. Dans les faits, c’est encore nous, puisque nous sommes allées les chercher mais bon, pas très grave ! »

La démarche d’Iris, de « faire-faire »116

aux hommes, consiste à leur faire signer une tribune collective de façon consentie. Elle évoque ici un certain rapport au masculin : l’orchestration de la mobilisation des pères représente à la fois une projection de ce que souhaiterait les femmes, « que les hommes prennent les devant », en faisant « comme si » l’enquête était le lieu de sa réalisation tout en sachant qu’elle ne l’est pas encore. Les journalistes ne sont pas dupes sur l’investissement réel des hommes, « dans les faits c’est encore nous », mais elles imaginent « quand même » leur engagement. Cette approche du masculin n’est pas accusatrice, « mais bon, pas très grave », mais au contraire, elle invoque une mobilisation à venir pour dépasser le manque actuel. De fait, l’idée de « faire-faire » va encore plus loin :

Iris

« Ca les a fait réagir, se positionner. Certains ont un peu utilisé la cause alors qu’ils n’en avaient jamais parlé

avant enfin tu vois, c’est de bonne guerre. Nous on savait juste que ça aiderait à faire réagir les mecs. »

Faire signer les hommes prend une charge politique en invitant les pères à se positionner publiquement avec Causette dans leur tribune et donc symboliquement avec les femmes. La signature semble représenter un acte performatif pour Iris, celui de faire corps ensemble, dans le papier, pour une même cause. Par ailleurs, cette démarche découle d’une croyance singulière dans les rapports entre le masculin et le féminisme qui vient ajouter un nouvel élément à l’idée de « cause commune » :

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Anna

« Nous, ce que l’on a voulu c’est donner la parole aux hommes, leur demander ce qu’ils souhaitent car ce

sont les fers de lance de ce combat. C’est pourquoi, au départ, on a voulu faire signer la tribune que par des

hommes, c’est une façon de les inclure et de les impliquer activement dans ce combat »

Anna évoque le fait que le féminisme n’est pas réservé aux hommes. Ils sont au contraire « les

fers de lance de ce combat » : à la fois directement concernés dans le quotidien et acteurs légitimes de cette cause. En ce sens, Anna fait passer le père de l’objet du sujet d’enquête qui illustre la question du congé paternité à un acteur politique engagé au même niveau que les journalistes dans cette cause.

De fait, les journalistes mettent en scène un double engagement des hommes : celui de leur investissement au sein du foyer mais aussi de leur engagement politique à travers des signataires « exemplaires » (les stars) qui représenteraient symboliquement les hommes. Cet investissement prend forme dans un espace féministe, le magazine Causette, « refuge pour les

femmes » selon l’éditorial qui devient celui d’une possible action des hommes. Ici, les figures masculines sont placées au cœur de l’émancipation des femmes, semblable à la situation décrite par Céline Morin dont les recherches se penchent sur les personnages masculins positifs dans les séries féministes : « longtemps tenus à l’écart de l’égalité de genre, sous prétexte que celle-ci serait le problème des femmes, les personnages masculins deviennent, parfois malgré eux, acteurs de ces transformations sociales à compter des années 2000 »117

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Causette reproduit cette même ambivalence entre engagement volontaire et engagement poussé mais consenti. Je pourrai ici faire l’hypothèse que le cas du congé paternité serait une première étape acceptable et facilement recevable de la mise en évidence de la proximité des hommes avec les questions féministes. Elle permettrait par la suite d’aborder des sujets moins évidents tel que l’écriture inclusive par exemple. Par ailleurs, cet engagement des hommes prend forme concrètement avec Thibaut, lui-même devenu entrepreneur de cette cause, quelques mois avant Causette.