• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3 : Phénologie et mécanisme de la dynamique de montaison des juvéniles de

5.3 Vers la mise en place de mesures de gestions adaptées aux populations de

Comme détaillé dans chacun des trois chapitres de cette thèse, plusieurs mesures de gestion adaptées aux populations de Sicydiinae de La Réunion peuvent être préconisées à partir des résultats de mon travail de thèse. Tout d’abord, quatre unités de gestion homogènes des peuplements indigènes de La Réunion, toutes comprenant des Sicydiinae, ont été délimitées. Pour chacune de ces unités de gestion, l’impact des principales pressions d’origine anthropique et donc les préconisations de gestion associées peuvent être différentes (Figure 24).

178 Figure 24 : Bilan synthétique de (I) l’effet des pêcheries aux embouchures (A1), des réductions de débits dans les zones aval (A2, B2) et des barrages (A3, B1) sur les abondances de juvéniles en montaison (A) et de larves en dévalaison (B) et de (II) l’effet attendu sur ces mêmes abondances des mesures de gestion préconisées sur ces mêmes stades. Les différentes mesures de gestion préconisées sont : l’application de la règlementation existante concernant les pêcheries aux embouchures (II A1), l’augmentation des débits réservés en aval des prélèvements d’eau (II A2 et B2) et la restauration de la continuité biologique au niveau des barrages à la montaison (II A3) et à la dévalaison (II B1). Les flèches bleues représentent les déplacements de migration, les flèches rouges l’effet des impacts anthropiques et les flèches violettes l’accès des juvéniles à leurs habitats de croissance et de reproduction.

Dans les zones des cours d’eau d’altitude et de pente à faibles à intermédiaires (i.e., zones aval et intermédiaire, unités de gestion IA et II du chapitre 1), le nombre d’obstacles physiques à la continuité écologique, en particulier les barrages, est plus faible que dans les zones amont.

179 Cependant, dans les zones aval et intermédiaires, les effets des prélèvements d’eau en amont, des pollutions diffuses sur l’ensemble du bassin versant (Buttermore et al., 2018) et des interactions entre espèces exotiques et indigènes peuvent être plus marqués (DEAL, 2011, chapitre 1). Dans ces zones, il apparait donc important de favoriser des mesures de restauration physique de l’habitat (Figure 24 A2, B2). Il pourrait par exemple s’agir de restituer un débit plus élevé au niveau des ouvrages de prélèvement d’eau situés en amont, voire de mettre en place des régimes de restitution du débit (Lamouroux et al., 2016). Cette dernière solution présente à la fois l’avantage d’augmenter la disponibilité en habitats en aval des barrages pendant des périodes clefs du cycle de vie amphidrome comme la reproduction et la dévalaison, mais aussi de réguler les populations des petites espèces exotiques telles que les Guppys. En effet, Fitzsimons et al. (1997) ont démontré expérimentalement que les Guppys n’ont pas les capacités de nage suffisantes pour résister aux vitesses de courant élevées, contrairement aux Sicydiinae. Malgré le fait qu’aucune interaction n’ait été observée à l’échelle du bassin versant ou du site entre les abondances de Guppy et celles de juvéniles et adultes d’espèces indigènes (chapitre 1), il est possible, comme suggéré par Walter et al. (2012), que la prédation des Guppys sur les larves des espèces amphidromes indigènes en dévalaison soit importante. Peu d’études portant sur l’impact de la prédation par les Guppys dans les petites îles tropicales existent, seuls Englund (1999) et Englund et Polhemus (2001) ont décrit leur impact négatif sur des populations de libellules endémiques d’Hawaii. Or, la faible taille des larves de Sicydiinae et leur comportement de nage leur permettant de se maintenir proche de la surface (Valade et al., 2009) les rendent probablement encore plus sensibles à la prédation par les Guppys et les autres Poeciliidae que le sont les larves d’insectes.

Dans les zones d’altitude et de pente élevées des cours d’eau (i.e. zones amont, unité de gestion III du chapitre 1) l’effet des prélèvements d’eau est moins marqué, les barrages sont en effet généralement situés en aval ou au sein de ces zones. Par contre, comme les abondances d’adultes de Sicydiinae sont parfois élevées dans les zones amont (chapitres 1 et 3), il semble nécessaire de mettre en place des mesures de gestion permettant de limiter les quantités de larves emportées avec l’eau prélevée (Figure 24 B1). La mesure qui est apparue la plus pertinente jusqu’à présent est de réduire les débits prélevés pendant les mois de janvier et février (chapitre 2). Cette recommandation présente aussi l’avantage d’augmenter le débit dans les tronçons situés en aval des barrages et ainsi d’accroitre la disponibilité en habitat pendant la saison de reproduction (Girard et al., 2014a). Cependant, cette recommandation se base sur des observations faites pendant une seule saison de reproduction, de mai 2013 à juillet 2014, et sur

180 le seul bassin versant de la rivière du Mât. L’efficacité d’une réduction des prélèvements d’eau pendant les mois de janvier et février sur différentes rivières de l’île, et sur plusieurs années doit donc encore être évaluée. Quoiqu’il en soit, la prise en compte de la dévalaison des larves dans les projets de restauration de la continuité écologique au niveau des barrages apparait prioritaire. Jusqu’à présent la restauration de la dévalaison des larves n’était pas prise en compte faute de recommandations techniques permettant la mise en place de mesures cohérentes (Valade et al., 2004, arrêté préfectoral N°2015-2624/SG/DRCTCV définissant les tronçons de cours d'eau pour lesquels la continuité écologique doit être restaurée). Dans ce contexte, la démarche qui parait être la plus pragmatique est de préconiser, dans un premier temps, la mise en place d’arrêts ciblés des prélèvements d’eau sur les barrages identifiés comme étant les plus impactant pour la dévalaison des larves (Teichert et al., 2014a). Dans un deuxième temps, des suivis de l’efficacité de cette mesure de gestion pourront permettre d’affiner les périodes des arrêts ciblés de prélèvement d’eau, voire de proposer d’autres mesures de gestion. Ces mesures pourraient par exemple consister à la mise en place de barrières physiques, comme des grilles à espacement inter barreaux inférieur à 0,25 mm ou des cloisons de surface, permettant de rediriger les larves présentes dans les décanteurs vers un exutoire de dévalaison. Des tests préalables d’efficacité et de faisabilité de ces mesures devront tout de même être réalisés. Enfin, les suivis de l’efficacité des arrêts ciblés de prélèvement d’eau permettront d’améliorer la connaissance de la variabilité spatiale et temporelle de la dynamique de dévalaison des larves ainsi que des facteurs pouvant l’influencer. C’est cette démarche qui est en cours à l’heure actuelle au niveau du barrage hydroélectrique de la rivière Langevin (Lagarde, 2016; Lagarde & Valade données non publiées). Il est possible que la mortalité des larves lors du passage au travers des installations de cet aménagement (barrage de prélèvement, décanteurs, conduites d’amenées et turbines) ne soit pas plus élevée que la mortalité naturelle en rivière entre le barrage et la zone de restitution de l’eau. Pour ce barrage, il apparaitrait donc plus pertinent de développer d’autres mesures de gestion de l’eau prélevée mieux adaptés à la restauration de la dévalaison des larves. Il pourrait ainsi être préconisé de limiter les temps de séjours dans les décanteurs et/ou de réduire les vitesses de rotation des turbines plutôt que d’arrêter les prélèvements d’eau. Enfin, malgré les abondances élevées de Sicydiinae, en particulier C. acutipinnis, observées en amont des barrages (chapitres 1 et 3), les études menées lors du chapitre 3 ont démontré l’impact négatif des deux barrages, situés à 7 et 22 km de l’embouchure de La Rivière du Mât, sur la dynamique de migration de

C. acutipinnis (Figure 24 A3). Pour ces barrages, il apparait indispensable d’adapter les passes à

poissons existantes, ou d’en construire de nouvelles mieux dimensionnées pour permettre leur franchissement par l’ensemble ou, à minima par une majorité, des juvéniles de C. acutipinnis en

181 montaison. Il pourrait par exemple être envisagé de réduire la pente des rampes spécifiques pour les Sicydiinae, de les équiper de substrats plus efficaces que le béton lisse (Lagarde et al., 2017) ou encore d’installer des bassins de repos intermédiaires permettant aux juvéniles de fractionner l’effort nécessaire au franchissement des rampes. Enfin, tout comme pour la dévalaison des larves, des suivis de passes à poissons similaires à ceux réalisés dans le chapitre 3 devraient permettre d’améliorer les connaissances de la phénologie de la montaison des juvéniles, d’évaluer l’efficacité des nouvelles passes à poissons et, le cas échéant, d’affiner les recommandations de gestion ou de dimensionnement de ces dernières.

En ce qui concerne la quatrième unité de gestion homogène, c’est-à-dire les zones aval à forte pente (unité IB du chapitre 1), il est difficile de préconiser des mesures de gestions adaptées à l’ensemble de l’unité de gestion. Seul un site sur la rivière Langevin et un sur la ravine Saint Gilles sont inclus dans cette unité de gestion et il apparait donc plus pertinent de réfléchir à des mesures de gestion pour chacun de ces sites. Ainsi, si la limitation de la fréquence et de l’amplitude des variations de débit d’origine anthropique apparait adaptée pour améliorer la gestion de la dévalaison des larves au niveau du site de la rivière Langevin (chapitre 2), cette mesure n’est absolument pas adaptée au site de la ravine Saint Gilles puisque les variations de débit d’origine anthropique y sont faibles voire inexistantes.

Enfin, les zones d’embouchures apparaissent comme une priorité pour la gestion des espèces amphidromes en général et des Sicydiinae en particulier. En effet, toutes les larves écloses au sein de l’ensemble des unités de gestion doivent franchir une embouchure avant d’arriver en mer. De manière similaire, les juvéniles devant accéder aux différentes zones des bassins versants sont dépendants d’un franchissement aisé de l’embouchure. La gestion des débits prélevés sur le bassin versant est un point clef pouvant affecter à la fois les quantités de larves atteignant la mer et celles de juvéniles retournant dans les cours d’eau. Sur de nombreuses rivières de La Réunion, des infiltrations d’eau importantes peuvent être observées au niveau des embouchures. Dans certains cas, ces infiltrations peuvent entrainer des périodes d’assèchement total des cours d’eau (DEAL, 2011). Ces périodes d’assèchement sont plus ou moins étendues en fonction des bassins versants et de l’hydrologie annuelle. Lorsque cet assèchement est proche de l’embouchure voire à l’embouchure, aucune larve ne peut rejoindre la mer et aucun juvénile ne peut accéder au cours d’eau ce qui a un impact majeur sur les dynamiques de migration de ces stades. Il apparait donc primordial de restituer un débit suffisant au niveau des barrages afin de supprimer, ou, tout au moins, de limiter la durée d’assèchement des embouchures. En outre,

182 Delacroix (1987) a décrit une relation positive entre le débit des cours d’eau et les abondances de juvéniles arrivant en eau douce. Cette relation pourrait être due à une plus grande emprise spatiale de la plume d’eau douce en mer qui faciliterait l’orientation des individus ayant terminé leur phase larvaire vers les embouchures de cours d’eau (Crivelli et al., 2008). Enfin, la généralisation à l’ensemble des bassins versants d’actions visant à diminuer l’impact des pêcheries de bichiques, comme celles entreprises au niveau de la rivière du Mât (Ocea Consult’ & FPTBRM, 2015; Ocea Consult’ & PPEE-RDM, 2015), pourrait permettre d’augmenter significativement les abondances de juvéniles accédant aux bassins versants (Figure 24 A1). Toujours au niveau des pêcheries, il pourrait aussi être intéressant d’évaluer leur sélectivité en fonction de la morphologie des juvéniles. Il est par exemple possible, que seuls les individus

S. lagocephalus les plus fins puissent passer à travers les mailles des engins de capture utilisés

(vouves). Or, les individus ayant une largeur de la tête élevée présentent des fortes performances de franchissement. Ainsi, la sélectivité de la morphologie des individus par les pêcheries aux embouchures pourrait affecter les dynamiques de migration en eau douce des juvéniles.

5.4 Intérêts de la mise en place de suivis long terme des flux