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Chapitre 1 : Effet des facteurs environnementaux sur la structure des peuplements

2.1 Introduction

Les facteurs environnementaux, naturels et anthropiques, peuvent agir à différentes échelles spatiales sur la structuration des peuplements aquatiques (Pool et al., 2010). À l’échelle du micro-habitat (de un à quelques m²) et du site (de quelques m² à plusieurs centaines de m²), la structure des peuplements aquatiques est influencée par la diversité des conditions abiotiques et par les interactions biotiques (Monti & Legendre, 2009; Donaldson et al., 2013). À l’échelle du bassin versant (de quelques km² à plusieurs centaines de km²), cette structure est influencée par

30 la répartition de facteurs abiotiques tels que le débit, la pente, l’oxygène dissous… et biotiques le long d’un gradient amont-aval (Schlosser, 1990). Enfin à l’échelle régionale (de quelque centaines de km² à plusieurs milliers de km²) la structure des peuplements aquatiques peut être influencée par les processus de dispersion et de spéciation (Angermeier & Winston, 1998). Ces différentes échelles interagissent aussi indirectement dans la structuration des facteurs biotiques et abiotiques. Par exemple, des différences de géologie à l’échelle régionale vont entrainer des morphologies de bassins versants différentes qui vont influencer la structuration des habitats le long du gradient amont-aval, et donc in fine la structure des habitats à l’échelle du site et du micro-habitat. La hiérarchisation de l’effet des facteurs agissant à chacune des échelles est indispensable si l’on veut comprendre la structuration et le fonctionnement des peuplements aquatiques (Menge & Olson, 1990).

La description de l’effet des facteurs biotiques et abiotiques sur la structuration des peuplements aquatiques est un aussi prérequis important pour la mise en place de mesures de gestion et de conservation ciblées sur certaines espèces ou groupes d’espèces (Leathwick et al., 2005). Il peut par exemple s’agir de définir l’échelle de gestion cohérente d’une population. En particulier, la directive cadre de l’union européenne sur l’eau (DCE, Directive 2000/60/CE, 2000), impose à tous ses pays membres une évaluation de la qualité écologique de ses cours d’eau basée sur les peuplements aquatiques. Cette démarche permet de définir des stratégies pour conserver les zones en bon état et pour restaurer celles dégradées. Pour la macrofaune vertébrée et invertébrée, l’évaluation consiste à mesurer l’écart entre la structure du peuplement d’un site à celle attendue lorsque les pressions d’origine anthropique sont minimales (Karr, 1991, 1999). La description de la structuration des peuplements en fonction des facteurs biotiques et abiotiques peut donc permettre de délimiter des unités de gestion au sein desquelles des sites de références homogènes peuvent être définis (Oberdorff et al., 2002).

Les poissons et macro-crustacés des petites îles tropicales sont des modèles intéressants pour étudier le lien entre les facteurs environnementaux et la structure des peuplements à différentes échelles. Tout d’abord chaque île est une entité discrète à l’échelle régionale pouvant avoir une histoire géologique et une diversité d’habitats aquatiques qui lui est propre (Fitzsimons et al., 2002). Ensuite, malgré la faible taille des bassins versants de ces îles, les gradients environnementaux observés au sein de ces derniers peuvent être très marqués (Strauch et al., 2017) que ce soit à l’échelle du bassin versant (i.e. gradient altitudinal important) ou du site et du micro-habitat (présence simultanée d’habitats très lotiques et lentiques). Enfin, les espèces

31 indigènes peuplant ces milieux sont soit des espèces marines et estuariennes présentant de fortes tolérances aux variations de salinité soit, pour la plupart, des espèces diadromes (Keith et al., 2006). Deux sous-catégories de diadromie sont observées parmi les espèces peuplant ces îles (McDowall, 1988). Les espèces catadromes croissent principalement en eau douce et rejoignent la mer pour s’y reproduire. Après l’éclosion, les larves pélagiques retournent dans les rivières. Les espèces amphidromes croissent principalement en eau douce et s’y reproduisent. Pour ces espèces, la phase marine de leur cycle de vie ne concerne que leur stade larvaire. Quel que soit le cycle de vie des espèces indigènes, les individus présents dans les habitats d’eau douce les ont colonisés, à chaque génération, à partir de l’estuaire. Ceci souligne l’importance du gradient aval- amont pour ces populations. Enfin la phase marine des espèces favorise une forte dispersion ce qui se traduit en général par un cortège d’espèces partagé entre plusieurs îles d’une même région (Kido, 2013).

Mayotte et La Réunion sont deux petites îles tropicales du sud-ouest de l’Océan Indien qui présentent des cortèges d’espèces indigènes de poissons et de macro-crustacés d’eau douce proches. En effet, de nombreuses espèces sont communes aux deux îles (Keith et al., 2006). Cependant l’âge géologique de ces deux îles est différent, i.e. environ 8 Ma pour Mayotte (Nougier et al., 1986) contre entre 2 et 3 Ma pour la Réunion (McDougall, 1971, V. Famin, université de La Réunion, com. pers.). Cette différence d’âge entraine de fortes différences dans la géomorphologie des cours d’eau entre les deux îles. Ainsi, le réseau hydrographique de Mayotte est caractérisé par de nombreux bassins versants de petite taille. Eberschweiler (1987) a dénombré 27 bassins versants dont l’exutoire est la mer avec une surface qui varie entre 2 et 23 km² (Figure 10). À l’opposé le réseau hydrographique de La Réunion se caractérise par un nombre plus limité de bassins versants, 13 seulement, dont l’exutoire est la mer et pour lesquels l’écoulement est pérenne. Les surfaces de ces bassins versants sont beaucoup plus importantes, elles varient entre 28 et 154 km² (Robert, 1986).

32 Figure 10 : Longueur du cours d’eau principal (km) en fonction de la surface du bassin versant (km²) des 27 bassins versants décrits par Eberschweiler (1987) pour Mayotte et des 13 décrits par Robert (1986) pour La Réunion.

Dans ce contexte, le but du chapitre 1 est de hiérarchiser les facteurs environnementaux qui structurent les peuplements de poissons et de macro-crustacés de Mayotte et de La Réunion. L’étude est principalement ciblée sur les facteurs abiotiques à l’échelle du bassin versant et à l’échelle du site. L’influence des facteurs agissant à l’échelle régionale ne sera considérée que qualitativement à travers la comparaison entre les deux îles. L’échelle du micro-habitat ne sera pas abordée, les données disponibles ne permettant pas de l’étudier. L’influence des facteurs biotiques sera abordée à partir de la comparaison de la structure des peuplements d’espèces de niveau trophique faible (i.e. les consommateurs primaires) et d’espèces à niveau trophique élevé (i.e. les prédateurs) le long des gradients de facteurs abiotiques et mis en relation avec la population de l’espèce exotique la plus commune sur chacune des îles. Enfin des unités de gestion homogènes seront proposées au sein de chacune des îles en fonction de ces résultats.