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Chapitre 3 : Phénologie et mécanisme de la dynamique de montaison des juvéniles de

5.2 Les capacités de migration en eau douce de S lagocephalus, un avantage

S. lagocephalus, un avantage compétitif par rapport à

C. acutipinnis ?

Les abondances de S. lagocephalus observées dans les rivières de La Réunion sont beaucoup plus élevées que celles de C. acutipinnis (chapitre 1) ce qui semble indiquer une meilleure adaptation de S. lagocephalus aux conditions biotiques et abiotiques de ces milieux. L’aire de répartition de S. lagocephalus s’étend depuis l’ouest de l’Océan Indien jusqu’à l’est de l’Océan Pacifique (Keith et al., 2005a) alors que C. acutipinnis est endémique des îles Maurice et de La Réunion (Keith et al., 2005b). Le succès de la récente expansion de S. lagocephalus, il y a moins de 3,5 millions d’années, depuis un centre de spéciation situé à l’ouest de l’Océan Pacifique (Keith et al., 2011b) peut en partie être expliqué par la durée élevée de sa période larvaire en mer qui varie de 96 à 296 jours (Hoareau et al., 2007; Teichert et al., 2016b). Cette longue durée de vie en mer contribue probablement à augmenter les capacités de dispersion de l’espèce au stade larvaire et donc la probabilité d’atteindre de nouveaux habitats d’eau douce (Lord et al., 2010). Cependant, la persistance d’une population dans un nouvel habitat est aussi dépendante de la capacité des individus à s’y installer, s’y maintenir, s’y reproduire, puis à y retourner après la phase larvaire en mer (McDowall, 2010). Ces derniers points dépendent fortement des traits d’histoire de vie de l’espèce (Agrawal, 2001; Karjalainen et al., 2016).

Jusqu’à présent, la comparaison des traits d’histoire de vie de S. lagocephalus et de

C. acutipinnis ne permettait pas toujours de mettre en évidence une meilleure adaptation de S. lagocephalus aux conditions locales d’habitat par rapport à C. acutipinnis (Tableau 3). En

173 effet, après leur arrivée en eau douce, les deux espèces présentent une faible sélectivité dans le choix de leur habitat de croissance et peuvent donc s’installer dans la plupart des habitats disponibles dans les cours d’eau (Teichert et al., 2014c). Qui plus est, le régime alimentaire de

C. acutipinnis semble être plus diversifié que celui de S. lagocephalus (L. Faivre, Hydrô Réunion

& G. Gassiole, MicPhyc; données non publiées). Or, la diversité du régime alimentaire peut augmenter la résilience d’une espèce suite aux perturbations d’origines naturelle ou anthropique (Lisi et al., 2018) ce qui devrait donc avantager C. acutipinnis par rapport à S. lagocephalus. De manière similaire, les traits d’histoire de vie concernant la biologie de la reproduction semblent présenter un avantage en faveur de C. acutipinnis : les deux espèces ont des fécondités similaires mais la saison de reproduction de C. acutipinnis, dans une zone donnée, est plus étendue (Teichert et al., 2014b, 2016a) et sa fréquence de ponte probablement plus élevée (Teichert, 2012). Ainsi, dans chaque zone et pendant chaque saison de reproduction, les femelles de

C. acutipinnis devraient produire plus d’œufs et de larves que celles de S. lagocephalus.

Cependant, la taille à première maturité des femelles de S. lagocephalus est supérieure à celle des femelles de C. acutipinnis (Teichert et al., 2014b, 2016a) et leur temps de maturation après leur arrivée en eau douce est plus court (Lagarde et al. soumis, annexe 4). Ceci permet sans doute aux femelles de S. lagocephalus de s’installer plus vite dans les premiers habitats de reproduction disponibles pour lesquels la sélectivité est marquée (Teichert et al., 2013b). Qui plus est, le temps de maturation plus court des femelles de S. lagocephalus après leur arrivée en eau douce peut aussi leur permettre minimiser leur risque de mortalité à chaque génération lié à des évènements catastrophiques comme les crues cycloniques (Lagarde et al. soumis, annexe 4).

174 Tableau 3 : Résumé des traits d’histoire de vie en rivière à La Réunion chez S. lagocephalus et C. acutipinnis issu des études antérieures à mon travail de thèse. Les valeurs en gras sont censées représenter un avantage compétitif d’une espèce par rapport à l’autre.

Traits d’histoire de vie en rivière S. lagocephalus C. acutipinnis

C

roissa

nc

e Selectivité de l’habitat Faible Faible

Régime alimentaire Périphyton Périphyton +

invertébrés ?

R

eprodu

cti

on

Sélectivité de l’habitat Forte Forte ?

Fécondité 13 000 œufs.g-1 15 000 œufs.g-1

Températures permettant le développement

ovarien >19 °C >18 °C

Intervalle minimum entre deux évènements

de ponte Un à deux mois ? < à un mois ?

Taille à première maturité 44 mm 29 mm

Temps passé en eau douce avant

maturation 2,5 à 4,5 mois 3,0 à 4,5 mois

Les différences de performances locomotrices entre les deux espèces, en particulier pour le franchissement d’obstacles (chapitre 3), peuvent aussi être un avantage compétitif de

S. lagocephalus par rapport à C. acutipinnis. Les études du chapitre 3 ont permis de mettre en

évidence des similitudes entre les dynamiques de montaison de S. lagocephalus et de

C. acutipinnis à l’échelle journalière et saisonnière. Cependant, des différences de performances

de franchissement entre les deux espèces ont été observées au laboratoire et en milieu naturel (chapitre 3). Il a ainsi été démontré que S. lagocephalus a des performances de franchissement généralement plus élevées que C. acutipinnis, ce qui peut lui procurer un avantage compétitif marqué. En effet, la colonisation des bassins versants s’effectue à la même saison et au même moment de la journée pour les deux espèces. Les juvéniles des deux espèces se retrouvent donc dans des conditions de température et de débit similaires et les contraintes abiotiques liées au déplacement vers l’amont sont donc semblables pour les deux espèces. De plus, les rivières de La Réunion sont ponctuées de nombreuses chutes d’eau naturelles et/ou d’obstacles anthropiques (DEAL, 2011). Les meilleures performances de franchissement de S. lagocephalus peuvent permettre à une plus grande partie de sa population d’accéder aux habitats de croissance et de reproduction situés immédiatement en amont de ces obstacles par rapport à C. acutipinnis. Même en l’absence d’obstacle à franchir, les vitesses de migration plus élevées des juvéniles de

175 et de reproduction disponibles et de s’y installer avant les juvéniles de C. acutipinnis. Qui plus est, la plus grande taille des juvéniles de S. lagocephalus après leur arrivée en eau douce les rend sans doute plus compétitifs que les juvéniles de C. acutipinnis pour l’accès aux premiers habitats de croissance rencontrés (Teichert, 2012). Si les juvéniles de S. lagocephalus atteignent les premiers habitats de croissance plus rapidement que les juvéniles de C. acutipinnis et sont plus compétitifs une fois installés dans ces habitats (Figure 23a), les juvéniles de C. acutipinnis se retrouvent forcés à migrer plus en amont (Figure 23b). Il ne s’agit que d’hypothèses mais celles- ci pourraient expliquer les abondances plus élevées de juvéniles de C. acutipinnis en migration vers les zones amont et les biomasses plus importantes d’adultes de cette espèce dans ces zones.

176 Figure 23 : Schéma théorique de l’effet de la compétition inter spécifique entre les juvéniles de S. lagocephalus (a) et de C. acutipinnis (b) sur leurs possibilités d’installation dans les habitats disponibles au sein des bassins versants. Les cercles bleus représentent les habitats de croissance déjà occupés par des adultes d’une des deux espèces, les cercles verts les habitats disponibles pour les juvéniles au sein des bassins versants. Les flèches bleues représentent les déplacements de migration, la flèche rouge l’effet de la compétition inter spécifique et les flèches violettes l’accès des juvéniles à leurs habitats de croissance.

177 La survie larvaire, que ce soit en eau douce ou après leur arrivée en mer, pourrait être un autre élément pouvant expliquer les différences d’abondances de juvéniles puis d’adultes des deux espèces de Sicydiinae dans les rivières de La Réunion. Cependant, l’impossibilité d’identifier l’espèce des larves à partir de critères morphologiques (Teichert 2012) et la faible proportion de C. acutipinnis observée lorsque l’identification de l’espèce a été réalisée à partir d’analyses moléculaires n’a pas permis d’étudier d’éventuelles différences inter spécifiques de dynamique de dévalaison (chapitre 2). A l’heure actuelle, seule l’observation d’un temps de survie en eau douce plus faible des larves de C. acutipinnis par rapport à celles de S. lagocephalus dans les mêmes conditions de température permet d’émettre l’hypothèse que la mortalité lors de la dévalaison pourrait être plus faible pour S. lagocephalus (Teichert, 2012). Toutefois, cette observation a été réalisée à partir d’une seule ponte de C. acutipinnis, elle doit donc être considérée avec prudence.

5.3 Vers la mise en place de mesures de gestions adaptées