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Chapitre 3 : Phénologie et mécanisme de la dynamique de montaison des juvéniles de

5.4 Intérêts de la mise en place de suivis long terme des flux migratoires des

La généralisation du suivi des abondances de larves en dévalaison et de juvéniles arrivant en rivière pourrait permettre de mieux décrire les facteurs biotiques et abiotiques pouvant influencer les populations de Sicydiinae de La Réunion (Figure 25). Les estimations d’abondances de larves en dévalaison pourraient se faire au niveau des embouchures selon les mêmes méthodes que celles décrites dans le chapitre 2. Idéalement plusieurs embouchures des principaux cours d’eau de La Réunion devraient être suivies avec une fréquence mensuelle voire hebdomadaire pendant les mois de janvier et février. Les observations d’abondances de juvéniles arrivant dans les rivières devraient se faire en dénombrant les quantités prélevées par les pêcheurs traditionnels aux embouchures (Bell, 1999). La comparaison des distributions d’abondances de larves en dévalaison et de juvéniles revenant en eau douce (Figure 25-1-2), pourrait permettre de mettre en évidence les sources de mortalités lors du développement larvaire jouant un rôle prépondérant sur les abondances de juvéniles arrivant en rivière. Par exemple, il serait intéressant de vérifier si les larves arrivant en mer lors des périodes de fortes abondances de leurs proies potentielles ont un taux de survie plus élevé et donc participent de manière plus importante aux quantités de juvéniles arrivant en rivière, comme discuté lors du premier paragraphe de la discussion générale. Pour ce faire, il faudrait aussi mettre en place des suivis d’abondances de Chlorophylle a et de proies planctoniques dans les zones côtières de La Réunion. En ce qui

183 concerne l’abondance de Chlorophylle a et la composition du phytoplancton, ces paramètres sont déjà suivis trois fois par an (en juillet/août, novembre/décembre et février/mars) dans le cadre du Réseau Hydrologique Littorale de La Réunion (RHLR, Duval et al. (2015)). Ces suivis pourraient donc aisément être complétés, en profitant des moyens de navigation du RHLR, afin de mieux cibler les zones proches des embouchures des principales rivières. Des campagnes complémentaires pourraient aussi être mises en place en janvier et février afin de décrire plus précisément les fluctuations d’abondances de Chlorophylle a et de composition du phytoplancton pendant la période principale d’arrivée des larves en mer. En ce qui concerne les suivis d’abondances et de composition du zooplancton, des moyens spécifiques seraient à mettre en œuvre (Mackas & Beaugrand, 2010), aucun échantillonnage spécifique du zooplancton n’étant réalisé dans le cadre du RHLR. Ces suivis d’abondances de Chlorophylle a et de proies planctoniques apparaissent particulièrement importants car la synchronicité entre la période d’éclosion des larves de plusieurs espèces de poissons dont les larves se développent en mer et l’abondance de leur proies (phyto et/ou zooplancton) a souvent été reliée à leur taux de survie et, in fine, aux abondances de juvéniles et d’adultes (Cushing, 1990; Fortier et al., 1995; Brander et al., 2001). Cependant à ma connaissance aucune étude n’a démontré ce lien pour des espèces amphidromes tropicales. L’intégration de modèles de courantologie marine (Crochelet et al., 2016) pourrait être une piste complémentaire pour interpréter les éventuels décalages entre les abondances de larves arrivant en mer et celles de juvéniles en eau douce. En effet les courants marins peuvent être une source importante d’expatriation des larves loin de leurs rivières natales, en particulier pour les premières étapes du développement larvaire chez lesquelles les capacités de nage sont très limitées (McDowall, 2010). Ainsi, des changements de courantologie marine pourraient entrainer une absence de relation entre les abondances de larves arrivant en mer et celles de juvéniles arrivant en eau douce alors que la disponibilité des proies pour les larves est optimale.

184 Figure 25 : Préconisations de suivi des flux migratoires des Sicydiinae de La Réunion. 1) Suivi des abondances de larves en dévalaison ; 2) suivi des abondances de juvéniles arrivant aux embouchures et 3) suivi des abondances de juvéniles en migration vers les zones intermédiaire et amont. Le nombre de bassins versants et la localisation des lieux de suivi des abondances de juvéniles en migration vers les zones intermédiaire et amont ne sont présentés qu’à titre illustratif.

La mise en place de suivis des abondances de juvéniles en montaison au niveau de quelques passes à poissons pilotes réparties parmi différents bassins versants pourraient permettre de confirmer la robustesse des résultats présentés au chapitre 3 (Figure 25-3). Idéalement, ces suivis devraient se faire à partir de piégeage d’individus ou de suivis vidéos (Boussarie et al., 2016). Cependant la faible taille des juvéniles de Sicydiinae implique que les mailles des pièges doivent être très fines (i.e, de l’ordre du mm) et le colmatage de ces derniers impose une fréquence de relève élevée (L. Faivre, Hydrô Réunion, données non publiées). Les moyens humains à mettre en place seraient donc importants. Les suivi vidéos peuvent se faire à faibles moyens humains, cependant, à l’heure actuelle l’identification de l’espèce à partir de vidéos reste impossible pour les juvéniles de Sicydiinae (G. Boussarie, Ecole Normale Supérieure de Lyon, données non publiées). La méthode d’estimation des abondances de juvéniles de Sicydiinae dans une passe à poissons décrite dans le chapitre 3 présente une alternative intéressante pour évaluer ces abondances de manière plus ponctuelle. La fréquence de mise en place de ces suivis de passes à poissons devrait être à minima mensuelle. La comparaison des distributions d’abondances de

185 juvéniles arrivant en rivière et celles observées en migration vers les zones intermédiaire et amont quelques mois plus tard pourrait en particulier permettre de mieux décrire le rôle des fluctuations du régime hydrologique dans la dynamique de montaison des juvéniles de Sicydiinae.

Sur le long terme, la mise en place de tous ces suivis devrait aussi permettre de décrire les effets potentiels du réchauffement climatique sur les populations des Sicydiinae. La poursuite de l’augmentation de un à deux degrés de la température du sud-ouest de l’Océan Indien observée entre 1960 et 2010 et liée au réchauffement climatique (Alory et al., 2007; Dong & McPhaden, 2016) pourrait avoir des impacts contrastés sur le développement larvaire et les taux de mortalités à ce stade. Par exemple, Teichert et al. (2016b) ont décrit une augmentation des taux de croissance en mer des larves de S. lagocephalus d’environ 0.07 mm.jour-1 et une diminution de leurs durées de vie en mer d’environ 70 jours lorsque la température moyenne rencontrée pendant l’ensemble de la phase larvaire augmentait de 24 à 28°C. L’augmentation des taux de croissance en mer et la diminution de la durée de la phase larvaire marine liées à l’augmentation des températures pourrait réduire leur risque de mortalité pendant ce stade. En effet, les taux de mortalité des larves de poissons se développant en mer sont en général plus faibles lorsque leur croissance est élevée et bien que ces taux diminuent avec l’âge des larves ils restent généralement non nuls pendant l’ensemble de la phase larvaire (Houde, 1989). Des études pluriannuelles de durées de vie et de la croissance en mer des larves, basées sur l’interprétation des microstructures des otolithes, en relation avec les abondances de juvéniles arrivant en eau douce pourraient permettre de confirmer ou au contraire d’infirmer cette hypothèse. Cependant, l’augmentation de la température des océans pourrait aussi diminuer les taux de survie des larves au début de leur développement en mer. En effet les températures des océans plus élevées peuvent réduire la durée de la phase critique pendant laquelle les larves doivent trouver une source de nourriture exogène. Le réchauffement de un à deux degré des températures moyennes de l’air observé depuis 1960 à La Réunion (Vincent et al., 2011) pourrait se traduire par une augmentation de la température des cours d’eau. Cette augmentation de la température des cours d’eau pourrait avoir un effet direct sur la biologie de la reproduction des Sicydiinae. Les individus devraient ainsi trouver des conditions favorables à la reproduction dans la zone intermédiaire une majeure partie de l’année (Teichert et al., 2014b, 2016a). Cette extension de la saison de reproduction dans la zone intermédiaire pourrait entrainer une modification des dynamiques de dévalaison des larves. Les proportions de larves dévalant avant et après les mois de janvier et février dans les zones intermédiaire et aval seraient sans doute plus élevées. Enfin, Webster et al. (2005) ont observé que le nombre de cyclones d’intensité forte et très forte (i.e, catégories 4 et 5) avait doublé dans

186 le sud-ouest de l’Océan Indien entre les années 1975-1989 et 1990-2005 ce qui devrait accroitre le risque de crues exceptionnelles lié au réchauffement climatique à La Réunion. Vincent et al. (2011) ont quant à eux décrit une augmentation du nombre maximum de jours consécutifs sans précipitation de deux jours par décade sur certaines stations météorologiques de La Réunion entre 1961 et 2008 ce qui peut se traduire par des d’étiages plus marqués. L’augmentation de la fréquence et de l’intensité des crues et des étiages pourrait affecter les dynamiques de dévalaison des larves et de montaison des juvéniles vers les zones intermédiaire et amont. Toutes ces hypothèses ne pourront être confirmées que si les changements de température et du régime hydrologique des cours d’eau, induits par le réchauffement climatique, peuvent être mis en relation avec les dynamiques de migration des Sicydiinae sur plusieurs années voire dizaines d’années.