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1.6 Les deux espèces de Sicydiinae de La Réunion

1.6.3 États des lieux des pressions d’origine anthropique s’exerçant sur

La Réunion

La pêche traditionnelle des gobies amphidromes lors de leur arrivée en rivière est très largement répendue dans leur aire de répartition et a été décrite en Indonésie (Manacop, 1953), aux Philippines, à Hawaii, aux Antilles et Amérique centrale (Bell, 1999) ou encore à Taiwan (Shiao et al., 2015). À La Réunion, les Cabots bouche-ronde, alors appelés bichiques, font l’objet d’une pêcherie traditionnelle (Figure 8) lors de leur arrivée dans les rivières de l’île depuis plus de deux siècles (Vaillant, 1890; Aboussouan, 1969). Originellement, deux méthodes de pêche étaient utilisées : la capture des individus en mer à l’aide de filets fabriqués en toile et trainés par le pêcheur en marchant ou nageant, ou la capture des individus dans les premiers mètres de rivière à l’aide de nasses, ou « vouves », fabriquées à partir de fibres végétales et placées à l’extrémité amont d’un canal façonné par les pêcheurs à l’aide de galets et de plantes (Vaillant, 1890). Les méthodes de pêche ont peu évolué depuis (Barat, 1977; Schübel, 1998). Cependant de nouveaux matériaux ont été intégrés dans la construction des filets, vouves et canaux. Ainsi les filets des pêcheurs en mer sont actuellement fabriqués en filet à moustiquaires et les vouves peuvent être constituées d’une armature métallique recouverte de filet à moustiquaires (Schübel, 1998). Enfin l’intégration de matière plastique pour étanchéifier les canaux est de plus en plus commune (Schübel, 1998). Qui plus est, la mise en place d’équipes de pêche mobiles en mer se déplaçant entre plusieurs sites a été grandement facilitée depuis l’arrivée des téléphones cellulaires qui permettent une circulation rapide des informations concernant les quantités de bichiques au niveau de chaque embouchure (P. Valade ; Ocea consult’, communication personnelle). L’activité de pêche est réglementée par les arrêtés préfectoraux N°1742 du 15 juillet 2008 pour

21 la pêche professionnelle en mer et N°1743 du 15 juillet 2008 pour la pêche amateure en rivière. La pêche en mer ne doit pas se faire au droit de l’embouche et jusqu’à 100 m de part et d’autre des bras de rivières. Les filets utilisés ne doivent pas dépasser une surface de 25 m². En rivière, la pêche ne peut se faire qu’avec des vouves construites en fibres végétales dont le diamètre d’ouverture ne dépasse pas 80 cm. Un canal situé au centre de l’embouchure doit être laissé libre de toute activité de pêche. La pêche est interdite entre la nouvelle et la pleine lune de mars. A l’heure actuelle cette réglementation n’est pas respectée sur la plupart des embouchures de l’île. Qui plus est, l’activité de pêche aux bichiques est partagée entre des pêcheurs professionnels, qui n’ont aucune obligation de déclarer leurs prises, et des pêcheurs « amateurs », qui revendent souvent illégalement les produits de leur pêche. De ce fait, aucune estimation fiable des quantités de bichiques pêchées n’est disponible (Barat, 1977; Hoareau, 2005).

Plus en amont, environ 70 obstacles anthropiques susceptibles d’entraver la migration des Sicydiinae ont été recensés sur les 13 principaux bassins versants de l’île (Figure 8, DEAL, 2011). Cette altération généralisée de la continuité biologique est supposée avoir un impact négatif sur l’abondance des populations d’espèces amphidromes et catadromes y compris celles de Sicydiinae (Mérigoux et al., 2012). Cet impact se traduit principalement par la réduction de l’abondance des Sicydiinae en amont des obstacles du fait des difficultés de leur franchissement. La présence d’obstacles d’origine anthropique est très fréquente au sein des différentes îles où les Sicydiinae sont présents (Benstead et al., 1999; Concepcion & Nelson, 1999; Brasher, 2003; March et al., 2003; Cooney & Kwak, 2013). La plupart des études décrivant l’impact des obstacles d’origine anthropique sur les populations de Sicydiinae ont été orientées sur la comparaison des abondances observées en aval et en amont des barrages. Ainsi, en fonction de la hauteur des ouvrages et de leur mode de gestion, ces derniers peuvent réduire de faiblement jusqu’à quasi-totalement le nombre d’individus accédant aux habitats amont (Holmquist et al., 1998; Cooney & Kwak, 2013). Cependant, pour que la restriction du nombre d’individus accédant aux habitats en amont soit quasi-totale, la dimension des ouvrages doit être très importante (i.e. hauteur supérieure à 30m; Cooney & Kwak, 2013) ou leur mode de gestion doit entrainer une absence chronique de débit de surverse sur le parement de ces derniers (Holmquist et al., 1998). Ces deux conditions ne sont, à l’heure actuelle, rencontrées sur aucun des ouvrages présents à La Réunion (DEAL, 2011).

Lorsqu’un prélèvement d’eau est associé au barrage, la structure des peuplements en aval peut aussi s’en trouver modifiée avec notamment une diminution de l’abondance et de la

22 proportion relative de Sicydiinae dans les tronçons de cours d’eau situés en aval des prélèvements d’eau (March et al., 2003). Cette altération de la structure des peuplements en aval des prélèvements d’eau s’explique en partie par la modification des caractéristiques physiques de l’habitat et la réduction de la quantité d’habitat disponible. Dans certain cas, les prélèvements d’eau peuvent aussi contribuer à l’assèchement des tronçons de cours d’eau situés en aval. L’effet des prélèvements d’eau sur la migration de dévalaison des espèces amphidromes n’a été abordé que par Benstead et al. (1999). Cette étude, qui concernait des espèces de crustacés Atyidae et Palaemonidae, a conclu qu’une part importante des larves pouvait être entrainée avec l’eau prélevée. Cette eau étant destinée à des usages domestique et agricole, et aucun rejet dans la rivière n’ayant lieu, la mortalité des larves emportées dans le prélèvement était considérée comme totale. Ces résultats sont probablement extrapolables aux larves de Sicydiinae de la Réunion puisque qu’environ 130.106 m3 d’eau sont prélevés chaque année dans les rivières (OLE,

2017).

Figure 8 : Localisation des principaux prélèvements en cours d’eau et retenues collinaires, d’après ONEMA et BRGM (2015), sur les bassins versants des 13 rivières pérennes de l’île de La Réunion ainsi que des obstacles anthropiques à la migration (obstacles physiques et pêcheries) d’après DEAL (2011). Enfin, plusieurs espèces exotiques ont été introduites volontairement ou accidentellement dans les cours d’eau de La Réunion. Certaines de ces espèces comme le Guppy

23 (Poecilia reticulata, Peters 1859) et le Porte épée (Xiphophorus hellerii, Heckel 1848), sont régulièrement observées dans les zones aval et intermédiaire de la plupart des bassins versants de La Réunion (Ocea Consult’, 2014). D’autres sont observées plus occasionnellement et leur répartition entre et au sein des bassins versants est plus restreinte. C’est le cas notamment des Tilapias (Oreochromis ssp.), du Nigro (Amatitlania nigrofasciata, Günther 1867) ou de la Truite arc en ciel (Oncorhynchus mykiss, Walbaum 1792). Ces espèces exotiques peuvent potentiellement affecter les populations de Sicydiinae via la compétition pour l’accès à l’habitat et aux ressources alimentaires ou la prédation. A l’heure actuelle, aucune étude n’a montré qu’il existait des interactions compétitives ou de prédation entre les Sicydiinae et les espèces exotiques à La Réunion. La compétition entre les Sicydiinae et les espèces exotiques concerne probablement les espèces de petite taille (Guppy et Porte épée) et les stades juvéniles des espèces de plus grande taille. Les Truites arc en ciel et les Tilapias adultes peuvent aussi être des prédateurs potentiels des Sicydiinae. Dans une étude réalisée aux îles Fidji, Jenkins et al. (2010) ont montré que la présence de Tilapia avait un impact négatif sur la diversité d’espèces indigènes amphidromes. Ces auteurs ont principalement attribué cette observation à la prédation des Tilapias sur les individus de petite taille.

1.6.4 Prévision d’évolution de ces pressions dans un contexte