• Aucun résultat trouvé

« Nous avons démarré dans la misère de nos classes, avec des directeurs et des collègues qui nous tenaient pour fous et illuminés quand ils nous voyaient brûler ostensiblement tout ce qu’ils adoraient, avec des inspecteurs qui se demandaient – et un peu avec raison, reconnaissons-le – s’ils avaient le droit de nous laisser faire « nos folies » dans nos classes publiques, avec des parents qui n’avaient pas même idée que l’école puisse être critiquée et améliorée, et qui tenaient pour suspectes toutes nos nouveautés. » Célestin Freinet90

1. Le choix de cette théorie

Mireille Cifali est professeure honoraire à l’université de Genève, dans le domaine des sciences de l’éducation tout en étant historienne et psychanalyste. Elle a suivi un grand nombre d’étudiants menant des thèses.

Le mot accompagnement n’est pas naturel à Mireille Cifali, il n’appartient au vocabulaire universitaire. Pour elle, il relève d’action d’ordre privé, par exemple, accompagner un enfant à la piscine ou un parent dans une promenade.

Dans le cadre universitaire, notamment celui des cours qu’elle menait, elle utilise largement l’expression « démarche clinique », tout en précisant que « accompagnement », « démarche clinique », « approche systémique » sont différentes appellations proches mais non dénuées de différences que nous pouvons les nommer, que l’expression « démarche clinique » relève d’un vocabulaire médical, mais n’appartient pas seulement à cette discipline, que pour elle, c’est un art de la recherche et de l’intervention qui vise un changement. Elle utilise donc cette terminologie tout au long de son ouvrage.

Nous décidons que dans le cadre de ce travail, nous prenons cette expression comme transposable à notre travail de formatrice, d’enseignante mais aussi à celui des enseignants et des artistes.

2. La notion d’engagement

Dans l’avant-propos de son livre Mireille Cifali, nous explique que si « le substantif « engagement » et le verbe « engager » se sont imposés jusque dans le titre et les sous-titres de l’ouvrage paru en 2018, cela fut une surprise, ils n’appartiennent pas en règle générale au vocabulaire scientifique et pas non plus aux vocabulaires des formateurs universitaires. Ce vocabulaire est celui de la militance, et lorsque l’on veut faire sérieux, théoriquement parlant, on évite de le prononcer. Ce mot est pourchassé dans les thèses des étudiants. »

90. Naissance d’une pédagogie populaire, Elise Freinet, CEL, 1949 (introduction)

Nous pouvons de même élargir son propos au milieu de l’éducation en général, il est relativement rare d’entendre un enseignant utiliser ce mot, ni pour parler de son métier, ni pour parler ce qu’il se passe dans sa classe avec les élèves. D’ailleurs dans l’ensemble des entretiens que nous avons réalisés, aucune des personnes n’utilise ce mot.

Dans le monde de l’éducation, il est utilisé pour parler d’un syndicat, d’un mouvement pédagogique mais jamais ou alors très rarement pour parler du métier d’enseignant.

Que Mireille Cifali en parle et ce après un long chemin de réflexion n’est pas anodin.

En effet associer engagement et accompagnement relève presque d’un vocabulaire interdit, mais elle ose les associer tout au long de son ouvrage.

Il nous semble intéressant de formuler la question : qu’en est-il des enseignants que nous avons interrogés ?

« L’engagement est un mot où le corps n’est pas absent » (Cifali, 2018), voici peut-être une piste de réflexion sur l’utilisation minorée de ce mot par les enseignants.

Dans le dossier « Que fait le corps à l’école ?91 », nous pouvons lire « Corps des élèves et corps des enseignants sont pourtant indissociables des personnes qu’ils incarnent : les

« esprits » de se promènent pas tous seuls dans la cour de récréation ni dans la salle des professeurs. Pourquoi dès lors, le corps, malgré toutes évidences, ne semble-t-il pas plus central dans les préoccupations scolaires et didactiques ? » (Gaussel, 2018)

Car tel est bien le cas, Mireille Cifali parle du monde de l’université mais le constat est le même dans les écoles françaises (premier et second degré), le corps n’est pas dans les préoccupations principales alors que l’idée d’accompagnement ne fait pas l’impasse de celui-ci.

3. Accompagnement

Le principe d’accompagnement n’est pas inné pour Mireille Cifali, elle parle de présence et de travail dans cette idée d’accompagnement, et que nous pouvons considérer le mot comme positif, il y a en effet dans ce terme, l’idée d’aller avec. Elle nous dit qu’en accompagnant, nous convoquons un rapport spécifique au savoir, une mobilisation particulière de la théorie, mais dans la façon dont nous les mobilisons, en alliant intelligemment les sciences humaines et les sciences relationnelles, nous faisons le lien entre connaissances et actions. Cependant cela comporte des risques, cela modifie notre rapport à autrui, qu’en conséquence celui-ci doit être pensé

Les métiers de formateurs et d’enseignants sont des métiers de pouvoir, l’état de dépendance de l’étudiant et de l’élève est source d’angoisse, en effet apprendre rend fragile.

À travers l’accès aux connaissances, nous construisons des qualités humaines.

La pédagogie doit être consciente, c’est à dire adaptée à l’occasion, et dans ce cas nous pouvons peut-être parler d’une pédagogie de la rencontre, une pédagogie d’une présence.

L’accompagnement convoque sans nul doute une sagesse et une éthique particulières.

4. Engagement formatif

Mireille Cifali nous parle du commencement, dans le sens où dans tous actes nous vivons un éternel recommencement, où qu’en tous cas, il est important de penser le faire

91. Gaussel, M. (2018). Que fait le corps à l’école ? Lyon, ENS de Lyon. Dossier de veille de l’IFE, n°216, novembre.

comme un éternel recommencement. Il faut resituer ses propos dans le champ qui est celui des formateurs, elle nous dit qu’une prise de risque est nécessaire, qu’elle génère une inventivité face à ce qui arrive. Il existe une tension entre nos habitudes relationnelles, notre sensibilité propre aux émotions et notre engagement corporel. La conscience de cette tension et que cette permanence nous aide à nous renouveler dans nos actes professionnels, à ne répéter les actes comme une machine à répétition.

Cependant plus nous engrangeons du savoir et donc de l’expérience, plus nous sommes enclins à prendre des risques. Mireille Cifali nous parle « d’une philosophie du geste adressé une attention à garder les qualités d’une première fois avec une adresse sensible, une intelligence située. »

Tout acte de formation a à conserver cette philosophie du commencement, à renouer avec la philosophie du geste relationnel, inviter l’art et les artistes pour oser le corps et le processus de création.