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Deleuze définissait le « goût » comme l’accord de deux désirs, de deux puissances, c’est-à-dire comme la capacité de l’individu à être touché par ce qui sera bon pour lui, une double faculté de saisir et d’être saisi, de capter et d’être capté-capturé, captivé.

Marielle Macé92

La lecture des entretiens nous donne des indications sur ce qui est dit par les enseignants d’une part et par les artistes d’autre part, mais aussi les enfants sur le projet Théa et sur les interactions entre eux.

1. Du coté des enseignants

1.1 La découverte d’un genre littéraire

Prosaïquement le projet Théa permet l’entrée dans un univers littéraire quasi inconnu, celui du théâtre pour la jeunesse.

« Déjà rien que par le texte parce que je n’avais jamais travaillé sur des textes de théâtre pour enfants. Théa ça m’a fait vraiment découvrir ça, une banque de textes, d’œuvres qui sont vraiment chouettes, dans lesquelles je me reconnais bien. » (Coralie)

1.2 Le regard porté sur l’autre

Les enseignants racontent que cela les aide à avoir un autre regard sur un enfant, ou les enfants entre eux.

« Théa c’est aussi un moment pour se faire du bien, et quand je dis que je découvre les enfants autrement, c’est ça aussi, de leur dire « Bon… », voilà aucun n’apprend le texte, on pause les programmes et voilà. Et du coup, le temps que je prends pour le théâtre, j’estime que c’est légitime. », sur les enfants, sur la classe, que cela les sort de la classe et modifie les relations. » (Sandrine)

« Il y a vraiment chaque année des élèves qui se révèlent dans l’activité théâtre et ça a des répercussions, des conséquences sur le travail dans le quotidien de la classe, dans l’autonomie dans le regard que les autres peuvent avoir sur l’enfant ». (Coralie)

92. Macé, M. (2011). Façons de lire, manières d’être. Nrf essai, Gallimard. (p.77)

« Et l’artiste qui vient pour une heure de temps en temps, il va avoir un autre regard un peu décalé, des fois plus de bienveillance, des fois moins, parce qu’il sait pas certaines choses, c’est aussi un autre regard sur le gamin qui est intéressant. » (Nathan)

Synthèse

En quelque sorte, l’activité théâtre, car c’est souvent comme cela qu’elle est nommée, reste l’occasion de voir certains élèves autrement, de voir des enfants que les enseignants n’entendent jamais prendre la parole, avoir des attitudes, des postures nouvelles. Plusieurs enseignants en témoignent, nommant aussi le changement que cela est pour les élèves ne plus être derrière un bureau, ainsi que pour eux de sortir de l’espace qu’est la classe.

Ils notent également le regard différent que l’artiste porte sur l’enfant par rapport à leur propre regard qui est pris dans un quotidien et par une déformation professionnelle comme le dit Nathan.

1.3 Le travail avec un artiste

Ils ajoutent aussi que pour ce type de projet, travailler avec un artiste est fondamental, que cela rend le projet vivant artistiquement.

« Ben, non tu m’aurais posé la question de but en blanc, est-ce que les artistes sont vraiment nécessaires à la mise en place de Théa ? Je t’aurais dit et honnêtement et peut-être que tu l’as senti des fois, je t’aurais dit « moi je pense qu’on n’a pas autant besoin que ça, je pense que toi [elle s’adresse ici à l’animatrice OCCE] tu peux faire plein de choses dans les classes, et en fait non. » (Sonia)

« Voilà ce partenariat qui existe, on n’est pas seule pour monter un projet qui seule, n’aboutirait pas, ou alors c’est des petites choses après, on peut faire du théâtre seule mais ça n’ira jamais aussi loin. » (Sandrine)

Seul Gaëtan n’a pas trouvé l’équilibre dans le travail avec l’artiste et explique pourquoi.

« En tous cas tu vois, je m’aperçois que dans la démarche, il a manqué une étape importante, je crois, c’est une conversation entre l’enseignant et l’artiste vraiment, qu’on n’a pas eu. » Nathan dit « qu’il va simplement chercher des compétences qu’il n’a pas. »

Sandrine parle d’un « coté professionnel » qu’elle n’a pas, entendu dans le domaine artistique.

Coralie y trouve elle un équilibre ; « Du coup pour les artistes c’est que du plus, c’est que du plus, il n’y a pas de moins. »

Synthèse

Clairement pour les enseignants les artistes amènent des savoir-faire, des compétences qu’ils n’ont pas ou ne pensent pas avoir, à l’exception de Coralie qui parle elle d’une complémentarité.

Certains vont un peu plus loin en parlant de la place de l’artiste, « je place l’artiste au dessus de tout », mais ne nomme pas ce que l’artiste amène avec lui, et qui pourrait être son univers artistique !

2. Du coté des artistes

A propos de Théa et des enseignants

Les artistes quant à eux, parlent du projet comme cela ; Nadège nous raconte en s’adressant à l’enquêtrice – animatrice OCCE - que « […] en fait, on a à s’apporter mutuellement, et je trouve que Théa, ça amène ça, particulièrement comme toi, tu le fais, et dans la présentation, et dans les courriers, les mails qu’on reçoit, et dans la journée de formation, et quand tu vas dans les classes. Quand tu vas dans les classes en fait, les enseignants, ils nous renvoient « ah, on a fait ça avec Emmanuelle, etc. », donc en fait il y a un lien constant. Tous ensemble, on est tout le temps en lien et ça, c’est vraiment chouette.

Et ça c’est… je dois reconnaître que seule, si on était livré à nous même, on ne serait pas dans cette même démarche, ça ne marcherait pas. »

Élise, elle, dit : « l’idée c’est que je ne sois pas une prestataire de services qui vient faire de la mise en scène, mais que c’est bien un projet de classe, je me mets au service de ce projet de classe, avec mes compétences, et ça peut se faire qu’en lien étroit avec l’enseignant puisque j’interviens pas beaucoup, en tous cas, six fois une heure, dans le Rhône, c’est six fois une heure. »

Bambou dit « Qu’il y est une vraie triangulation pour moi c’est une expérience qui est bien réussie. »

Mais chacune nuance cela, en évoquant les situations où les enfants ne savent pas qui elles sont, ou quand elles ne sont pas reçues ou que l’enseignant crie (Bambou), Nadège reprend cela, les deux avouent s’être retrouvées déstabilisées à plusieurs reprises mais ajoutent que

« cela reste exceptionnel ».

Elise en parlant de ses interventions dans les classes ; « là aussi c’est dans l’idée de leur donner de l’autonomie, et l’appropriation, c’est que je sois pas la seule référente théâtre, mais ils peuvent faire du théâtre sans moi, y compris ceux qui n’ont jamais fait de théâtre. » Elle parle aussi « du lâcher-prise nécessaire dans l’artistique et que c’est souvent difficile pour les enseignants qui ont besoin de certitudes », elle leur amène cela.

Synthèse

Les artistes évoquent aisément les rapports avec les enseignants, quand cela fonctionne ou l’inverse. Elles ont conscience d’amener une autre manière de travailler qui peut être déstabilisante pour les enseignants.

Bambou parle de la « triangulation artiste/enseignant/enfants », c’est la seule.

Les trois sont unanimes, dans un projet comme Théa, le travail avec les trois parties fonctionnent parce qu’il est défini en amont, elles ajoutent que dans d’autres projets c’est quelquefois plus difficile.

3. Du coté des enfants

Les enfants interrogés la première fois, racontent le projet à leur manière, Corentin dit « Ben on s’entraîne plusieurs fois, y’a des personnes qui s’y connaissent bien qui viennent nous aider, du coup, on fait ça plein de fois, elles viennent nous aider trois fois chacune, quand on est prêt, y’a Emmanuelle qui vient regarder, heu on va aussi s’entraîner dans le gymnase pour heu, ben vu que c’est plus grand, il faut plus parler plus fort, pour mieux que tout le monde nous entende. On le fait devant toutes les classes, et en juin, on le fait devant d’autres classes qui se sont entraînées comme nous. »

Lila : « Ben que c’est un peu du théâtre mais que c’est nous qui faisons les objets, et du coup, la pièce elle est un peu plus bizarre. Des fois c’est un peu dur, à deviner, ce que c’est. » Lenny le dit à sa manière « Ben on va faire une scène, au début y’a la scène un, on est tous en flaque en rond, après il y en qui parle, après on dit « Kady est taré », on forme les arbres, et après voilà on parle… ».

Chacun saisit dans Théa des points d’accroches différents.

Ils apprécient Théa comme projet de théâtre au même titre que le sport (la sortie en course d’orientation par exemple), les projets en art visuel (Calder), ou la sortie de fin d’année (à Lyon). Nous pouvons y comprendre qu’ils ont une appréciation différente et positive de tous les projets qui leur permettent de sortir de la classe, tous évoquent le lieu où ils font Théa, mais aussi tout ce qui n’est pas intégré dans les matières scolaires : mathématiques et français.

Et ils sont unanimes « le théâtre ce n’est pas du travail » ! 4. Conclusion

A propos du triangle cité ci-dessus, Coralie dit « je pense que mes élèves, ça marche très très bien dans le triangle et ils ont la place qu’il faut parce que justement aussi, c’est ces artistes-là, parce que l’équilibre, il est entre nous trois, l’enfant au milieu de ça, à partir du moment où il y a un équilibre, tout de suite il prend sa place et il n’y a pas de soucis. » Cette notion d’équilibre semble primordiale, pour les artistes cela semble fonctionner la majorité du temps, mais pour les enseignants il est intéressant de se poser la question.

Coralie parle de cet équilibre, mais est la seule.

Comment trouver cet équilibre ? Parallèlement existe t-il un déséquilibre ?

Pour y répondre, il nous semble intéressant de confronter ces questions au travail de Mireille Cifali.