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LES MIGRANTS EN RÉGION SANS PRÉVOIR LE SOUTIEN OFFERT PAR LE MILIEU DE VIE

Nathalie Blais

Le Canada est un pays qui accueille depuis longtemps des migrants sur une base humanitaire. Il a aussi sélectionné activement une immigration économique selon des critères qui ont varié à travers les époques (Houle, Emery, Gayet, 2011; Houle, St-Amour Blais 2019). Cet article s’intéresse à l’intégration des travailleurs qualifiés recrutés par le Canada, plus spécifiquement ceux qui sont sélec-tionnés par le Québec. En effet, par le biais d’un accord adminis-tratif (Accord Canada-Québec, 1991) cette province a un pro-gramme autonome de sélection des immigrants choisis pour leur profil économique. Afin que le lecteur puisse avoir en tête cer-taines proportions, rappelons que le Québec comptait huit lions d’habitants sur une population canadienne totale de 35 mil-lions d’habitants en 2012. La population du Québec représente donc 23% de la population canadienne (Payeur, Girard, pour Ins-titut de la statistique du Québec, 2017). Elle est la deuxième pro-vince la plus populeuse et son immigration reflète grosso modo cette proportion, puisque l’accueil des immigrants au Québec re-présente 20% de la quantité totale d’immigrants acceptés au Ca-nada pour la période 2008 à 2013. C’est 209'000 immigrants qui ont été accueillis au Québec durant cette période, dont 59%

étaient des travailleurs qualifiés choisis pour combler des besoins en main-d’œuvre (Van Huystee, pour Immigration Canada, 2016).

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L’intégration des immigrants est un domaine de recherche as-sez récent chez les juristes québécois. Pendant longtemps, ils ont davantage analysé les procédures de sélection et c’était plutôt les autres disciplines des sciences sociales qui documentaient les pro-cessus d’intégration. Depuis quelques années, de plus en plus de juristes s’intéressent aux enjeux relatifs à l’intégration des migrants sélectionnés par le biais de catégories administratives visant à pro-mouvoir le développement économique du pays. À titre d’exemple, pensons au respect des droits des travailleurs tempo-raires (Bernstein et al. 2015; Gesualdi-Fecteau, 2014, 2015), à la reconnaissance de leurs compétences professionnelles acquises à l’étranger (Houle, Roux, 2012), et au respect des mêmes condi-tions de travail que les natifs, notamment la possibilité d’exercer leur emploi dans un contexte exempt de discrimination (CDPDJ, 2011).

Pendant plusieurs décennies, l’intégration s’est faite de manière informelle souvent soutenue par des membres de la famille déjà installés au Canada, des réseaux de compatriotes ou des institu-tions religieuses. Suite à l’accord administratif Canada-Québec de 1991, le gouvernement du Québec a structuré davantage le réseau d’accueil public. Au début des années 2000, les municipalités ont voulu s’impliquer pour attirer des immigrants dans leur commu-nauté afin de maintenir un bassin de main-d’œuvre qui diminuait, en raison du vieillissement de la population. Les municipalités n’avaient pas de cadre normatif qui leur imposait une procéder à suivre. Elles ont donc entrepris différentes démarches pour y par-venir. Considérant le fait que les municipalités sont des paliers de gouvernance, il est possible d’interpréter ces démarches comme un droit administratif mou, une soft law qui pourra éventuelle-ment se cristalliser par des normes plus contraignantes.

Cet article présente une analyse comparative de deux dé-marches entreprises par la ville de Saint-Hyacinthe et par la ville de Sherbrooke. Dans le cas de Saint-Hyacinthe, il s’agit d’une ins-tance paramunicipale créée pour mettre en œuvre un plan d’action visant l’intégration des immigrants. Dans le cas de Sherbrooke, il s’agit d’une politique d’immigration régionale. Ces deux initiatives

visent à recruter et retenir des migrants qualifiés dans leur milieu.

L’objectif visé par la présente analyse est d’améliorer la connais-sance du contexte formel d’accueil des immigrants par les munici-palités, afin de permettre l’identification de pratiques de l’adminis-tration publique qui soutiennent le processus d’intégration. Cette analyse, tirée de nos recherches doctorales en cours, compare le processus de mise en place des deux initiatives et décrit leur con-tenu. Il ne s’agit donc pas d’une analyse qualitative des données, méthodologie fréquemment employée en sciences sociales, mais d’une analyse comparative de deux sources du droit municipal que l’on pourrait qualifier d’infra droit. Dans un cas comme dans l’autre, ces démarches de formalisation n’imposent pas d’obliga-tions de résultat aux municipalités et n’ouvrent pas la porte à des recours en cas d’inapplication. Elles sont des orientations, des pré-sentations de façons de faire. Néanmoins, elles portent un éclai-rage instructif sur la capacité d’intégration des milieux choisis. Ces politiques se situent dans une position hiérarchiquement basse par rapport à d’autres sources du droit. C’est-à-dire qu’elles doivent respecter des normes plus contraignantes comme les Chartes des droits, les lois et les règlements existants.

Les deux centres urbains régionaux ont été choisis parce qu’ils représentent deux tendances de formalisation d’une normativité municipale naissante de l’intégration. Nous allons présenter la mise en place de ces politiques en décrivant comment ces villes ont structuré leur intervention et quelles démarches elles ont choi-sies pour mener à terme leurs objectifs. Comme nous le verrons, la structuration des démarches est révélatrice des valeurs et des besoins des milieux. Enfin, sans que ces municipalités ne se récla-ment d’un modèle de gestion de la diversité, il est possible d’iden-tifier des parentés idéologiques entre la vision proposée par cha-cune des municipalités et certains modèles de gestion de la diver-sité (multiculturalisme, interculturalisme, convergence culturelle).

Nous en ferons brièvement état pour conclure cette analyse.

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S’

ENRACINER SANS UN ENVIRONNEMENT