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P ARTIE III

LA LOI SUR L ’ IMMIGRATION DE 1976

En 1976, le législateur fédéral adopte une nouvelle loi sur l’immi-gration ; il s’agit de la mise en œuvre juridique des changements entrepris depuis 1962. Cette loi entérine la modernisation du sys-tème de sélection des travailleurs qualifiés. Elle vise notamment à soutenir le développement démographique du Canada, à faciliter le regroupement familial et à favoriser l’intégration des nouveaux arrivants. La loi établit trois catégories d’immigrants : 1) la catégo-rie du regroupement familial; 2) la catégocatégo-rie des immigrants pour motifs humanitaires; 3) la catégorie des immigrants indépendants, dont fait partie la catégorie des travailleurs qualifiés. Précisons que la suite de notre propos portera exclusivement sur cette dernière catégorie d’immigrants. Cette loi répond à deux objectifs. Un pre-mier, à long terme, est d’accroître la population canadienne en gé-néral et un deuxième, à court terme, est de répondre à des besoins ponctuels du marché du travail (Green et Green, 1999).

Cette loi permet, par règlement, l’élaboration d’une grille de points pour sélectionner les travailleurs qualifiés. Les critères sont semblables à ceux qui sont contenus dans le règlement de 1967.

Le Canada connaît le début d’une période de récession en 1978.

La demande de main-d’œuvre est en baisse au pays. En 1978, le Parlement adopte la politique « Canadian First » : un employeur canadien souhaitant embaucher un étranger doit démontrer qu’au-cun citoyen ou résident permanent n’est disponible pour occuper le poste. L’employeur doit fournir une offre d’emploi ferme au candidat afin que ce dernier puisse faire une demande de résidence permanente. En 1982, cette politique devient encore plus restric-tive : pour déposer une demande comme travailleur qualifié, un candidat doit avoir une offre d’emploi validée pour laquelle aucun Canadien ou résident permanent n’est disponible (Kelley et Tre-bilcock, 2010). Cette crise économique entraîne la baisse du nombre d’immigrants au Canada, et ce, principalement dans la ca-tégorie de l’immigration économique. Durant ces années où le

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nada vit une situation économique difficile, on constate que le mo-dèle d’immigration basé sur le capital humain est délaissé. La po-litique « Canada First » est clairement orientée vers les besoins spé-cifiques du marché du travail et vers la protection de la main-d’œuvre nationale (Kelley et Trebilcock, 2010).

Vers le milieu des années 1980, la situation économique s’est améliorée. En 1986, on retire l’obligation d’obtenir une offre d’emploi préarrangée pour pouvoir présenter une demande comme travailleur qualifié. L’immigration est à nouveau vue comme un moyen de pallier les difficultés démographiques du pays. De 1986 à 1993, on assiste à une lente évolution vers un modèle de sélection des immigrants économiques basé sur le ca-pital humain. Lors de la sélection, on recherche des candidats qui ont un bon niveau d’éducation, de l’expérience professionnelle et une bonne connaissance de l’anglais ou du français. Des points supplémentaires sont également accordés pour l’adaptabilité22 des candidats, après une entrevue avec un agent d’immigration. On considère que ce système permet de sélectionner des candidats ayant le potentiel de s’intégrer à la société canadienne.

Durant cette période, on assiste à des changements des princi-paux pays sources des nouveaux arrivants. Effectivement, avant 1961, près de 90 % de l’ensemble des migrants qui s’établissaient au Canada étaient originaires de l’Europe et environ 3 % de l’Asie.

En 1990, la réalité a complètement changé : 25 % des nouveaux arrivants sont originaires de l’Europe et plus de 50 %, de l’Asie et du Moyen-Orient (Kelley et Trebilcock, 2010). Parallèlement à cela, les études démontrent que les nouveaux arrivants ont plus de difficulté que la population native à intégrer le marché du travail.

En effet, malgré le fait que les nouveaux arrivants soient davantage

22 Par exemple, des points supplémentaires seront accordés aux candidats qui ont de la famille au Canada, qui ont déjà travaillé, étudié ou voyagé au Ca-nada.

éduqués et plus qualifiés que les cohortes précédentes, ils se trou-vent dans des situations économiques plus difficiles (O’Shea, 2009).

Face à ces difficultés, le gouvernement entreprend des consul-tations publiques en 1998, qui mèneront à la publication d’un livre blanc intitulé De solides assises pour le 21e siècle - Nouvelles orientations pour la politique et la législation relatives aux immigrants et aux réfugiés. Le gouvernement y affirme son intention de poursuivre un virage vers un système de sélection basé sur le capital humain afin de répondre aux nouveaux besoins de l’économie canadienne :

Les immigrants indépendants sont sélectionnés sur la base de leur aptitude à s’établir et à contribuer à la société et à l’économie canadiennes. Toutefois, le mode de sélection actuel date d’une époque où les gouvernements cherchaient à assortir les compétences des immigrants à des pénuries précises sur le marché du travail.

Le système de sélection canadien doit miser sur la polyva-lence et la flexibilité plutôt que sur des critères stricts de réussite. […]

Les faits tendent à démontrer que les travailleurs qualifiés ont bien réussi et ont apporté une contribution positive au Canada. Mais les recherches récentes indiquent qu’ils réus-sissent moins bien depuis une dizaine d’années. Il semble que les nouveaux immigrants partent de plus loin que leurs prédécesseurs et sont plus lents à rattraper leur retard. Le mode de sélection actuel des immigrants qualifiés, utilisé depuis 1967 avec seulement quelques retouches, fait partie du problème. Il vise des objectifs quantitatifs pour des oc-cupations précises au lieu de la polyvalence et de la flexibi-lité requises dans une société et une économie en mutation.

L’avenir d’une économie axée sur le savoir, comme celle du Canada, dépend de son potentiel humain. Le mode de sélection des travailleurs qualifiés doit tendre à augmenter le capital humain. (C’est nous qui soulignons) (Citoyenneté et Immigration Canada [CIC], 1998)

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Les auteurs du livre blanc concluent que le gouvernement doit cesser d’intervenir directement dans le marché du travail lors de la sélection de travailleurs permanents. Ils soulèvent également le fait que la liste des professions recherchées peut décevoir les candi-dats, qui finalement ne trouvent pas d’emploi dans leur domaine après leur arrivée au Canada. Cette liste n’est pas un reflet fidèle de la situation du marché du travail au moment où le candidat s’installera au Canada, mais plutôt un reflet de cette situation au moment où il dépose sa demande de résidence permanente. Le livre blanc met en évidence les difficultés rencontrées par les nou-veaux arrivants avec les procédures de reconnaissance des compé-tences, des diplômes et de l’expérience de travail. Il déplore aussi le manque d’information donnée aux candidats avant leur arrivée au Canada sur les obstacles prévisibles qu’ils rencontreront lors de leur intégration au marché du travail. Les orientations politiques établies par ce livre blanc sont les fondements de la nouvelle loi sur l’immigration qui sera adoptée quelques années plus tard. Il est intéressant de souligner qu’en 2018, vingt ans après la publication de ce livre blanc, et ce malgré plusieurs changements des poli-tiques d’immigration, bon nombre de nouveaux arrivants rencon-trent les mêmes difficultés lorsqu’ils tentent d’intégrer le marché du travail (Uppal et LaRochelle-Côté, 2014 et Statistiques Canada, 2018).

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ISE EN ŒUVRE JURIDIQUE À LA SUITE DES