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Revue dominant la vie littéraire du début du XXe siècle – mais qui sera rapidement

concurrencée par La Nouvelle Revue française –, le Mercure de France, fondé en 1890 par Alfred Valette, aura comme objectif de « publier des œuvres purement artistiques et des conceptions assez hétérodoxes pour n’être point accueillies des feuilles qui comptent avec la clientèle […] » (Vallette [1889] 1890 (1er janvier), p. 4). En 1894, la revue se doublera d’une

maison d’édition qui sera animée du même désir de liberté et qui s’ouvrira à une grande diversité de plumes. Les pages du Mercure de France et le fonds de la maison d’édition rassembleront des auteurs aussi variés que Guillaume Apollinaire, Francis Carco, Paul Claudel ou Georges Duhamel. Ce dernier prendra d’ailleurs la direction de la revue et de la maison d’édition à la mort de Valette en 1935, jusqu’en 1938.

56 Le Mercure de France est recensé en 1921 comme une publication disposant d’une rubrique régulière de cinéma97. Elle est une des premières revues littéraires à avoir créé une

rubrique sur le sujet. Léon Moussinac en sera le responsable et signera de nombreux textes entre 1920 et 1926 sous le titre « Cinématographie ». La rubrique ne survivra pas à son départ, mais le cinéma fera néanmoins partie des sujets traités occasionnellement par la revue98.

Léon Moussinac est, avec Louis Delluc, une des personnalités phares du monde du cinéma de l’entre-deux-guerres. Les deux hommes se connaissent d’ailleurs depuis leurs jeunes années et s’influenceront l’un et l’autre dans différentes sphères artistiques99.

Moussinac, comme Delluc, s’essaiera à la littérature, avec la publication de quelques recueils de poèmes100 et tentera sa chance au théâtre, en 1920, avec une adaptation du Val de l'Évêque

d'Abel Ruffenach. Il publiera ses premiers textes sur le cinéma en 1919 et deviendra le chroniqueur attitré du Mercure de France (1920-1926), pour ensuite devenir celui du journal

L’Humanité de 1923 à 1933. Ardent défenseur de l’indépendance de la critique101, Moussinac

97 Voir « Périodiques consacrés à l’Art Muet » (s.a. 1921 (10 juin)).

98 Nous retrouverons, par exemple, les textes « L'avenir du film silencieux » de Germaine Maillet (Maillet 1929

(1er octobre)), « Avenir du cinéma » de J.-C. Privé (Privé 1930 (1er septembre)), « Le parlant » de Gaston Pagès

(Pagès 1933 (15 janvier)) ou encore, « État du cinéma » de Charensol (Charensol 1937 (1er mai)).

99 « La fréquentation puis l’amitié profonde d’un camarade venu je crois en 1904 du lycée de Bordeaux, allait

contribuer à modifier peu à peu mon orientation […]. Il s’agit de Louis Delluc. Il s’essayait à écrire des poèmes, et je l’imitai. Il fréquentait le théâtre plus qu’il n’est coutume à cet âge, encouragé par sa mère. […] Je fus moi aussi entraîné à l’Odéon, au Français puis aux concerts Colonne […]. Je commençais à écrire des pièces en vers, à la manière des auteurs du XVIIe siècle, seul ou en collaboration avec Delluc, des drames romantiques aussi,

selon la formule de Hugo […]. Nous ne pouvions nous passer l’un de l’autre » (Léon Moussinac cité dans Lherminier 2008, p. 24).

100 L'Ardente solitude (1915), L'Écharpe dénouée (1919), Le Festin sacré (1920), Les Reflets du bonheur (1920),

Dialogues passionnés (1920), Dernière heure (1923).

101 Jean Sapène, directeur de la Société des Ciné-Romans et distributeur du film Jim le Harponneur, intentera un

procès à Léon Moussinac, suite à sa critique du film de Millard Webb, publiée le 15 octobre 1926 dans L’Humanité. Ce procès, qui occupera le paysage critique français de 1926 à 1930, mènera à la création de l'Association amicale de la critique cinématographique afin « [...] que soit confirmé le droit absolu de tout critique cinématographique, au même titre que tout critique littéraire, théâtral ou musical, de juger en toute indépendance les œuvres qui sont représentées en public, donc, de ce fait même, relèvent du jugement de la critique » (Motion du 18 octobre 1928, Association Amicale de la Critique Cinématographique cité dans Jeancolas 1991, p. 117).

57 sera également un important animateur de ciné-clubs. Il fondera, en 1928, les Amis de Spartacus, par le biais duquel il introduira en France les films de Sergueï Eisenstein102.

Moussinac adhérera au Parti communiste français en 1924 et demeurera militant jusqu’à la fin de sa vie, en 1964. Cet engagement marquera non seulement son regard sur le cinéma, mais aussi son discours, tourné vers la formation des spectateurs, la critique d’un système qui fait une large place aux « Marchands du Temple »103 et la contestation de l’hégémonie américaine.

« L’éveil du cinéma français » (Moussinac 1920 (15 mai)) est le premier article de

Moussinac pour la rubrique « Cinématographie » du Mercure de France. Nous y retrouvons les éléments qui seront au cœur de son travail dans la revue de Valette : convertir les intellectuels au cinéma, les impliquer dans son développement et les convier à s’emparer de ce nouveau langage pour réaliser des films français de qualité. Moussinac s’adresse ici à un public cultivé, qui a tendance à bouder le cinéma; sa rubrique au Mercure de France aura d’ailleurs comme ambition de guider ses lecteurs cultivés vers une fréquentation régulière des salles afin de former leur sensibilité et d’être en mesure de réfléchir à ce nouveau langage.

Dans ce premier article, Moussinac rappelle que, malgré l’hostilité de certains intellectuels, le cinéma est une nouvelle forme de représentation qui existe et qui n’a pas l’intention de disparaître. Selon lui, certains films américains en témoignent, comme, par exemple, Forfaiture (1915), David Garrick (1916), Intolerance (1916), ou encore certains films de Douglas Fairbanks ou certains Charlot. Moussinac remarque également qu’à côté de ces exemples américains, le cinéma français piétine et peine à s’affirmer. Certains films

102 Ce ciné-club peut être considéré, comme l’indiquent Christophe Gauthier, Tangui Perron et Dimitri

Vezyroglou, dans leur article « Histoire et cinéma : 1928, année politique », « comme une pièce maîtresse de la stratégie communiste visant à faire pénétrer en France ‘‘le cinéma-Potemkine’’ » (Gauthier et al. 2001, p. 198).

103 « L’œuvre des marchands avilit l’œuvre éternelle. Les mains, ni les yeux des marchands n’ont fait la lumière,

en aucun temps, sur le monde. C’est pourquoi il convient que l’Esprit chasse les Marchands du Temple » (Moussinac 1920 (15 juillet), p. 532).

58 français annoncent cependant un renouveau (par exemple, Le Carnaval des Vérités (1920) et

La Fête espagnole (1919)104) et montrent la voie à adopter pour imposer le cinéma français

aux côtés des grandes cinématographies mondiales.