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Hebdomadaire fondé en 1924 par Paul Lévy, le Journal littéraire connaîtra une assez courte existence, d’avril 1924 à janvier 1926. Ayant pour objectif de parler de littérature au

135 Ce jugement de l’artiste mènera d’ailleurs les surréalistes à prendre clairement position pour Chaplin, dans un

texte manifeste, « Hands off love » (Aragon 1927 (1er octobre)) publié dans La Révolution surréaliste. Nous y

reviendrons dans le chapitre 3 : Les revues culturelles et les revues d’art.

68 plus grand nombre, il accueillera des plumes provenant de tous les horizons137. Certains

membres du groupe surréaliste y écriront (entre mai 1924 et août 1925), parmi lesquels Robert Desnos, Benjamin Péret et Philippe Soupault138.

C’est par l’entremise de ce dernier que Desnos, véritable cinéphile et grand habitué des salles obscures, proposera quelques textes sur le cinéma. Cette collaboration ne constitue pas la première expérience de Desnos en tant que chroniqueur cinématographique – il tiendra en effet la rubrique cinéma durant quelques semaines dans Paris-Journal, en 1923139 –,

puisqu’elle prolonge une expérience d’écriture journalistique sur un sujet qui le passionnera tout au long de sa vie. Desnos doublera cette activité de chroniqueur, qui correspond également à ses débuts en littérature, de l’écriture de différents scénarios140 dont seul L’Étoile

de mer sera réalisé en 1928, par Man Ray.

Pour Desnos, « le spectateur est un voyageur moderne, l’écran un projecteur magique, le film la région miraculeuse de l’émotion humaine » (Egger 2007, p. 297). Cette manière d’appréhender le cinéma, sous-jacente à ses différents textes, lui permettra de mêler amour du septième art, rêve et attirance pour une sorte de mystère érotique associé à l’écran. Parmi les différentes contributions de Desnos publiées dans le Journal littéraire, nous retrouvons des

137 « Ce journal sera ouvert à tous. […] Aucun éditeur ne pourra se vanter ou de l’inspirer, ou d’y avoir des

intérêts. Il ne sera voué qu’aux Lettres et à notre maître à tous : le grand public qu’il tâchera de renseigner et à qui il s’efforcera de plaire, tout en n’hésitant pas à la [sic] contredire quand il faudra. Nous ne serons inféodés à aucune chapelle, à aucun groupe. Tous ceux qui ont quelque chose à dire pourront, d’où qu’ils viennent, le dire ici pour notre joie et celle de nos lecteurs » (Paul Lévy cité dans Maria 2011, p. 41).

138 La chose peut surprendre, étant donné le fort marquage à l’extrême-droite du journal. Pourtant, « [l]a relative

liberté de ton […] du JL a permis aux surréalistes d’assurer la promotion de leur mouvement. Tribune où la véhémence des propos n’est pas prohibée mais au contraire encouragée, ils ont pu diffuser leurs vues à l’intérieur d’un milieu en partie hostile » (Maria 2011, p. 51).

139 Il sera question des contributions de Robert Desnos à cet hebdomadaire dans le chapitre 3 : Les revues

culturelles et les revues d’art.

140 Parmi ces scénarios, nous citerons Minuit à quatorze heures (1925), Les Récifs de l’amour (1930), les

69 critiques de films141, mais également un certain nombre de textes de réflexion sur le cinéma.

Parmi ces derniers, l’article « Rétrospective Charlot au Vieux Colombier » (Desnos 1925

(10 janvier)), dans lequel l’auteur se penche sur le jeu spécifique d’un acteur et sur la part de

rêve qu’il parvient à exprimer, en relatant la rétrospective de trois films de Chaplin, Charlot

rentre tard (1916), Charlot fait du ciné (1916) et Le Gosse (1921). Dans « René Clair et le

nouveau cinéma » (Desnos 1925 (21 mars)), il s’intéresse cette fois au cinéma français et

focalise son attention sur René Clair, le seul réalisateur, aux yeux de Desnos, « préoccupé d’invention et capable d’inventer » (ibid., p. 60). Cette attention portée à l’inventivité est également abordée dans l’article du 9 mai 1925 (Desnos 1925 (9 mai)), dans lequel Desnos associe cinéma, modernité et mouvement mécanique, trois éléments révélant les profondeurs de l’imagination.

Robert Desnos ne relègue pas son expérience des salles de cinéma à la périphérie. Au contraire, il intègre cette dernière à son propos, comme dans « Zigoto et Charlot pèlerin »

(Desnos 1925 (28 mars)), texte où il décrit les lieux qui accueillent le spectateur, ou encore

dans son article du 25 avril 1925 (Desnos 1925 (25 avril)), dans lequel il parle de cette expérience de la salle, lieu où le spectateur assiste « au miracle de l’écran » (ibid., p. 14). Dans

« Charlot » (Desnos 1925 (13 juin)), il prolonge le récit de l’expérience cinéphile en abordant

le fantasme et la fétichisation associés à la sélection de certains éléments à l’écran, révélateur du génie du septième art.

Les textes de Desnos ne sont jamais, dans l’ensemble, des descriptions précises des films vus ni des analyses sur la puissance technique du cinéma. Ses textes témoignent plutôt

141 Par exemple, sur Entr’acte (1924) en décembre 1924 (Desnos [13 décembre 1924] 1992), sur La Charrette

fantôme (1921) en décembre 1924 (Desnos [27 décembre 1924] 1992) ou encore, La Nuit de la Saint-Sylvestre (1923) en avril 1925 (Desnos [11 avril 1925] 1992).

70 de l’attrait du cinéma pour un jeune poète des années 20 et des réflexions suscitées par cette nouvelle forme d’art, vecteur de rêves et de fantasmes, et écran des émotions humaines.

Aux côtés de la production de Desnos, nous examinerons également un texte de Pierre Mac Orlan, « Le Cinéma révélateur » (Mac Orlan 1924 (26 avril)), dans lequel l’écrivain fait état de son scepticisme à l’égard d’un cinéma qui reconduirait des clichés à l’écran et ne saurait pas reproduire la réalité spécifique de son époque. Ce doute ne l’empêche cependant pas d’estimer que le cinéma saura enregistrer et capter le rythme du monde moderne et qu’il demeurera « l’art d’expression de [son] époque » (ibid., p. 13).

Déjà, dans l’enquête que René Clair avait menée en mars 1923 pour Théâtre et

Comœdia illustré, Mac Orlan avait fait l’éloge du cinéma :

À mon goût, le cinéma est un art admirable : c’est même le seul art qui puisse rendre notre époque littéralement dans la forme expressionniste et simultanéiste, avec tous ses rythmes secrets que la musique a déjà saisis et que l’art d’écrire ne peut rendre car la langue impose un cadre rigide qu’on ne peut disloquer. Dans le cas, l’outil exagère sa personnalité devant la création. Le ciné permet de traduire fidèlement la psychologie de notre temps. On pourrait même dire que l’art cinématographique a été trouvé par instinct, afin de doter l’époque de son unique moyen d’expression (Pierre Mac Orlan cité dans Clair 1970, p. 41).

Ainsi, tout en révélant la profondeur d’une époque, le cinéma permet à l’imagination d’échapper au cadre, sans pour autant remplacer la littérature. Comme l’expliquera Nino Frank,

ce n’est pas au cinéma lui-même, précisément, que Mac Orlan s’attache, mais à ce qui du cinéma est susceptible de déborder dans la littérature, à un « fantastique social » des lumières et des ombres que le film préfigure et qui pourrait « compléter » la littérature (Frank 1982).

Mais au-delà du cinéma, c’est plutôt l’image – cinématographique et photographique142 – qui

142 Pierre Mac Orlan a écrit de nombreux textes sur la photographie dans lesquels il explore les relations de cette

71 intéresse Mac Orlan et lui permet de penser le fantastique social143. Cette réflexion,

contemporaine de son expérience de scénariste pour le film L’Inhumaine de Marcel L’Herbier (1923), lui sera inspirée par la puissance des images en noir et blanc, et par les atmosphères brumeuses et vaporeuses des films expressionnistes allemands. Elle s’incrustera dans son univers romanesque, parfois adapté au cinéma144, et travaillera son écriture145.