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Sans être d’authentiques biographies derrière lesquelles s’effaceraient complètement leurs auteurs, les livres traités dans cette section ont pour ambition de faire l’éloge de la figure dominant le monde du cinéma de l’entre-deux-guerres : Charlie Chaplin360. Faisant

directement appel aux souvenirs de leurs auteurs, ces livres sont généralement empreints d’une véritable admiration à l’égard du réalisateur britannique. S’y confondent également des remarques sur le personnage de Charlot, sur les films et la vie de Chaplin, sur son approche du cinéma, etc., afin de construire un portrait liant intimement l’œuvre à la vie de Chaplin.

359 « […] ce qu’est avant tout Chaplin, ce n’est pas un acteur, c’est un metteur en scène » (Prévost 1927

(17 septembre), p. 8).

360 Nous reviendrons en détail sur la place de la figure de Charlie Chaplin dans la cinéologie de

168

1. Charlot

361

(1921, Louis Delluc)

Deuxième ouvrage publié aux éditions M. de Brunhoff par Louis Delluc, Charlot

(Delluc 1921) est présenté, dans la presse spécialisée de cinéma de l’époque, comme le

premier ouvrage sur le célèbre personnage créé par Charlie Chaplin en 1914. Le numéro de

Cinéa du 23 septembre 1921 présente ainsi un encart publicitaire annonçant la sortie du

nouveau livre de Delluc : « Le premier livre sur ‘‘Charlot’’ par Louis Delluc. Charlie Chaplin, sa vie, ses aventures, ses habitudes, ses films, ses idées, ses projets, etc., avec les meilleures photos de ses productions, de sa vie privée et de son travail ». Quelques années plus tard, le livre de Delluc figurera dans le « Répertoire du cinéphile » proposé dans Ciné pour tous362 et

il fera évidemment partie de la « Bibliothèque cinégraphique » proposée par Léon Moussinac dans Naissance du cinéma (Moussinac [1925] 1983).

Publié en 1921, au moment où Chaplin entame une tournée européenne pour la présentation de son premier long métrage, Le Gosse (1921), le livre de Delluc dresse un portrait biographique et artistique de Chaplin et de Charlot. Structuré en sept parties (la dernière se résumant en une phrase363), Charlot est composé de différents articles

préalablement écrits par Delluc (publiés dans Paris-Midi, dans Cinéa ou encore, dans

Comœdia illustré) ainsi que de textes originaux rédigés pour l’occasion. Alternant remarques,

critiques sur les films et photographies, Delluc propose un collage de textes dans lesquels est recensée une sélection de films de Chaplin pour la Keystone (1914-1915), la Essanay (1915-1916) et la Mutual (1916-1917). Pour compléter cette description, Delluc convoque les

361 Le titre apparaissant sur l’édition originale du livre de Delluc est Charlie Chaplin. Mais la publicité à son sujet

et les textes y faisant référence le présentent comme Charlot. Nous nous référerons donc à cet ouvrage derrière ce titre.

362 Ciné pour tous (juillet 1923), no 114, p. 18.

169 voix de Max Linder364, Elsie Codd365 et Chaplin lui-même. Il achève de la sorte le portrait

d’un cinéaste au travail en donnant la parole à ceux qui le côtoient de près.

2. Charles Chaplin (1927, Henri Poulaille)

Quelques années après la publication du livre de Louis Delluc sur Charlot, Henri Poulaille proposera à son tour un autre livre biographique s’organisant comme « une vue d’ensemble de l’œuvre et un portrait de l’auteur à travers [son] œuvre » (Poulaille 1927,

p. XVI). Charles Chaplin, « livre dossier » (Morel 1990b, p. 15) publié en 1927 aux éditions

Grasset366 (chez qui Poulaille était directeur de presse), s’inscrit dans ce que Jean-Paul Morel

appelle une campagne de défense de Chaplin367, de l’homme et de l’artiste, faisant suite à un

numéro spécial élaboré fin 1926, par Poulaille pour les Chroniques du jour368.

L’intérêt d’Henry Poulaille pour le cinéma s’est manifesté au début de sa carrière littéraire, vers 1925, et a pris différentes formes, de la réflexion sur le cinéma (par le biais de la critique de films) au livre biographique, en passant par l’écriture d’une dizaine de scénarios

364 Acteur et réalisateur français, Max Linder (1883-1925) a connu une immense carrière internationale, avec par

exemple, la série mettant en vedette son personnage de Max. Il aura une grande influence sur Charlie Chaplin, ce que relaie Delluc dans son livre sur Charlot : « Le premier qui nous conta son labeur fut Max Linder qui passe pour avoir servi de modèle animateur à Chaplin […] » (Delluc 1921, p. 65-66).

365 Elsie Codd sera l’agente publicitaire britannique de Charlie Chaplin et écrira de nombreux articles pour des

journaux de cinéma anglais et américains.

366 Cette maison, qui avait publié en 1919 le premier livre de cinéma de Louis Delluc, Cinéma et Cie –

Confidences d’un spectateur, faisait partie des grandes maisons d’édition françaises de l’entre-deux-guerres, adoptant une stratégie publicitaire agressive, lui assurant une visibilité majeure.

367 Jean-Paul Morel, pour qui Henri Poulaille est un « cinégraphe d’intervention » (Morel 1990b, p. 13), identifie

trois grandes campagnes de défense du cinéma entreprises par l’écrivain : une première de défense de Chaplin, une deuxième contestant l’interdiction en France du film de Serguei M. Eisenstein, Le Cuirassé Potemkine (1925), et une dernière à la gloire de l’actrice et réalisatrice allemande, Henny Porten. Voir Morel 1990b.

368 Les Chroniques du jour (31 décembre 1926), nos 7-8. Participeront notamment à ce numéro double, Alexandre

Arnoux, Blaise Cendrars, Léon Moussinac et Lucien Wahl. En 1926, Henri Poulaille organise ce numéro spécial sur Chaplin afin de le défendre des attaques personnelles dont il est la cible dans la presse. Nous reviendrons sur ce sujet dans le chapitre 11 : Charlie Chaplin.

170 jamais tournés369. Les propos sur le cinéma de Poulaille, écrivain s’inscrivant directement dans

le sillage de la littérature prolétarienne, dont il a été, en France, l’un des principaux artisans (avec, entre autres, Tristan Rémy)370, seront teintés idéologiquement, ce qui rapprochera sa

réflexion des positions de Léon Moussinac. En effet, pour Poulaille, le cinéma, cet art neuf, possède une valeur sociale et, à ce titre, doit impérativement s’adresser à tous et communiquer avec le plus grand nombre. Ainsi est relayé en périphérie – sans être rejeté – le cinéma d’avant-garde, divertissement élitiste, éloigné de la juste expression de la vie.

Le livre qu’il consacre à Chaplin en 1927 se place dans une lignée d’ouvrages entre biographie et fiction sur Charlot et son mythe371. Précédé d’une préface rédigée par Paul

Morand et publiée en primeur dans Les Nouvelles littéraires de juillet 1927372, Charles

Chaplin de Poulaille se présente comme un livre de quatorze chapitres. Il réunit des réflexions

sur la création du personnage de Charlot, sur l’œuvre de Chaplin, sur la réception de ses films en France et sur ses imitateurs, ainsi que des références sur les publications diffusées en France ayant comme sujet Charlot-Chaplin. L’ouvrage de Poulaille inscrit également son propos dans l’ensemble des réflexions de l’époque sur le cinéma en faisant abondamment référence à des textes et des articles de ses contemporains373. À ce portrait de l’artiste se

superpose une réflexion sur l’état et l’avenir du cinéma qu’il importe encore et toujours de

369 Voir la bibliofilmographie établie par Jean-Paul Morel et Patrick Ramseyer (Morel 1990a).

370 Il élabore, dans le livre-manifeste Nouvel Âge littéraire (1930), les prémisses de la doctrine de la littérature

prolétarienne. Voir Ambroise 2001.

371 En 1928, René Schwob publiera Une Mélodie silencieuse, en 1931, Philippe Soupault proposera sa biographie

imaginaire du personnage de Charlot dans un livre éponyme, et en 1935, Pierre Leprohon écrira à son tour un livre sur le mythe de Charlot, Charlot ou la naissance d’un mythe.

372 « Une soirée avec Charlot à New York », publié dans le numéro 246 des Nouvelles littéraires (2 juillet 1927)

se termine d’ailleurs par l’annonce de l’ouvrage de Poulaille à venir.

373 Citons parmi eux, Jean Cocteau, Louis Delluc, Jean Epstein, Lucien Fabre, Léon Moussinac, ou encore André

171 défendre. Mais, pour Poulaille, à l’aune des bouleversements que provoquera bientôt le cinéma parlant, les seules réalisations de Chaplin sont porteuses d’espoir et ne doivent en aucun cas faire douter de l’avenir du septième art374.