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Chapitre I : Identité ; d’un état à un processus

Chapitre 5 : Choix de la méthode

5- Comment mener l’entretien ?

Nous avons expliqué en amont les raisons du choix de l’étude qualitative et de l’entretien semi-dirigé. Comme son nom l’indique ce dernier est semi-dirigé c’est-à-dire que l’interviewer se donne la possibilité de diriger partiellement l’entretien tout en laissant une marge certaine à l’interviewé dans l’abord de la thématique. En tant qu’interviewer, j’ai construit un guide d’entretien afin de m’y référer lors de l’entrevue. Ces questions, ouvertes, sont en lien avec le cadre théorique décrit plus haut et me servent à collecter des données nécessaires à la mise à l’épreuve de mes hypothèses. Parmi ces questions il y a les consignes qui me permettent d’entamer une thématique (identité, savoirs…) et les questions de compréhension ou d’approfondissement. Ces dernières ne seront posées qui si l’interviewé n’aborde pas spontanément telle ou telle partie de la problématique en question. Cependant je m’autorise à rebondir sur les propos de l’interviewé et ainsi poser des questions non prévues dans le guide d’entretien.

Les entretiens ont été menés sans difficulté et le guide a été modifié pour permettre une implication plus large de l’interviewé dès le début. Les changements possibles du guide d’entretien sont un avantage par rapport au questionnaire. Ce dernier, une fois distribué, n’est plus modifiable car les calculs statistiques ne pourraient pas être validés.

Les questions concernant la description et la réalisation de la mesure de la glycémie par le glucomètre sont posées pour connaitre les différences entre le dire et le faire. Cependant avec du recul je m’aperçois que j’ai découpé la rencontre dédiée à l’entretien de la même manière que ma consultation médicale. Cette dernière est divisée en trois parties :

- l’entretien proprement dit où la personne expose en détail son problème avec mes relances (comme le début de l’entretien de recherche)

- puis c’est l’examen clinique (dans la recherche il s’agit de la réalisation de la mesure de la glycémie)

- puis à nouveau discussion avec le patient sur les concordances et différences entre le discours et l’examen clinique (dans la recherche il s’agit des concordances et différences entre le dire et le faire de la mesure glycémique)

Ceci montre une fois de plus qu’il n’est pas aisé de s’éloigner de notre activité de praticien et que les nombreuses mesures conscientes ne sont pas toujours suffisantes. Je suis moi-même

dans l’assimilation puisque j’ai mobilisé une technique utilisée lors de mes entretiens médicaux pour la mettre à l’œuvre lors de mes entretiens de recherche.

5-1 Quelles questions posées ?

Les questions posées sont en lien avec notre recherche avec une première question permettant de partir de généralités pour ensuite recentrer sur des particularités.

5-1-1 Guide d’entretien

Le guide d’entretien comme son nom l’indique nous a permis de ne pas nous perdre dans les questionnements. Il nous a servi de guide sans nous enfermer dans un listing de questions figées.

5-1-1-1 Les questions et les attentes

Un guide d’entretien est élaboré pour couvrir les différents champs à explorer et pour cela nous prévoyons des questions. Dans les lignes qui suivent nous énumérons les questions ainsi que les raisons qui nous amènent à les poser.

- Première question : Pouvez-vous vous présenter ?

Cette présentation nous permet de voir si la personne va mettre en avant la maladie ou d’autres facettes de son identité. Nous sommes conscients que le contexte n’est pas neutre puisque la personne a été mise au courant qu’il s’agit d’une recherche effectuée auprès des personnes atteintes de diabète (courrier de présentation de l’étude). Cette présentation permettra d’établir des catégories de profils avec des variables tels que l’âge de la personne et l’âge de la maladie au moment des différents apprentissages, le niveau socioprofessionnel, le type de diabète, le nombre d’événements marquants perçus ou non comme tels par l’interviewé…

- Que pouvez-vous dire sur votre diabète ?

Cette question permet de connaitre les vécus, représentations des interviewés sur leur diabète. Il s’agit d’établir un état des lieux de leurs connaissances

- Quelles sont les autres personnes atteintes de diabète que vous connaissez ?

L’importance des pairs est souvent mise en avant dans la littérature et cette question nous ouvre des possibilités d’explorer cette thématique

- Quelles sont les personnes à qui vous avez parlé de votre diabète ?

-ce qui vous a amené à parler de votre diabète à cette personne ? - Quelles sont les personnes à qui vous ne parlez pas de votre diabète ?

-ce qui vous amène à ne pas parler de votre diabète ?

Cette question interroge les relations sociales de l’interviewé, les conditions et besoins de divulgation d’une problématique personnelle….

- Pouvez-vous me décrire des événements liés à votre diabète qui vous ont donné envie de tout laisser tomber?

C’est la recherche d’événements, repérés par l’interviewé, qui l’ont perturbé.

- Que vous manque-t-il (savoir-faire, outillage ou autre chose) pour gérer votre diabète ? C’est un retour vers les connaissances qu’elles soient déclaratives, procédurales ou conditionnelles. Cette question permet également d’aborder les éventuelles aides extérieures humaines, financières, institutionnelles…ou intérieures (SEP, projet…)

- Face à une situation nouvelle que faites-vous ?

- Lors de cette nouvelle situation, qu’avez-vous fait et éventuellement avec quelle aide ? - Dans le cadre de votre diabète, quelles sont les situations où vous avez du réfléchir plus que d’habitude ?

Ces 3 questions servent à obtenir des données sur les processus d’apprentissage, les moments (axe temporel) et le recours à un objet (personne ou non)

- Pourriez-vous dire comment vous vous y prenez pour faire un dextro ?

Cette question permet d’aborder les connaissances théoriques sur une tache, un geste réalisé très souvent par les personnes atteintes de diabète et considéré comme incontournable par les professionnels de santé.

- Puis je vous regarder faire un dextro ? Si la personne accepte alors lui dire « Merci, pouvez-vous tout en réalisant votre dextro décrire chacun de vos gestes »

Les apprentissages informels, sont pour une partie, ni conscient ni intentionnel et conduisent à des savoirs que l’interviewé trouve « naturels » d’où la difficulté d’en expliciter leurs acquisitions. Durant l’entretien, nous introduisons un moment de savoir-faire (connaissances procédurales) vis-à-vis d’un geste quotidien. Vu que le champ de recherche est le diabète, nous avons décidé de prendre comme activité la réalisation d’une mesure de la glycémie par l’intermédiaire du glucometer.

Ce moment est divisé en deux phases. La première phase repose sur le discours c’est-à-dire que la personne va décrire oralement l’activité faite quotidiennement. La seconde phase repose sur la réalisation de cette activité. Les différences relevées entre le discours et l’activité permettent de relever des comportements non conscientisés et de demander à l’interviewé de l’expliciter (en théorie c’est comme cela et dans ma pratique quotidienne c’est..).

- A quelles occasions faites-vous un dextro ?

Cette approche explore l’adaptation (et donc les apprentissages) qui est faite vis-à-vis de l’utilisation de cet appareil. La personne atteinte de diabète utilise t’elle cette technique pour faire plaisir aux professionnels de santé en notant les valeurs sur un carnet ou l’utilise t’elle pour s’interroger sur la gestion de son traitement voir de son diabète ? A la vue du résultat de la mesure de la glycémie, la réponse peut être une modification de la posologie du médicament (notamment l’insuline) ou une modification des habitudes de vie. La personne va- t-elle assimiler, accommoder ou agir sur son environnement ?

- Avez-vous des engagements familiaux, associatifs ou autres ?

Les engagements dans certaines activités sont intéressants à connaitre en ce sens qu’ils permettent des apprentissages qui peuvent être une base, un tremplin pour des apprentissages dans d’autres domaines.

- Si des personnes atteintes récemment de diabète venaient vous voir pour vous demander des conseils vis à vis du diabète que leurs diriez-vous ?

A travers cette question, nous cherchons ce qui est important pour l’interviewé et qu’il transmet aux autres. Cet aspect nous intéresse sur le contenu (des savoirs théoriques, savoirs faire, savoirs être) et sur la forme (va-t-il prendre le temps d’exposer les situations dans lesquelles les apprentissages ont eu lieu ?). Une liste, des différents savoirs décrits par l’interviewé et les situations d’apprentissage possibles, sera établie et explorée dans un travail ultérieur et pourrait être le départ d’un travail de type quantitatif avec questionnaire. 5-1-1-2 Modification du guide d’entretien

L’écoute et la retranscription des différentes données (au fur et à mesure des entretiens) nous ont amenés à modifier certaines questions. Nous avons changé les indications initiales données à l’interviewé pour débuter l’entretien qui étaient de ne dire ni son nom ni son prénom. Cette indication gênait d’emblée la mise en discours « il est difficile de se présenter sans dire son nom », « comme je ne peux pas dire mon nom je ne sais pas par quoi commencer ». Nous décidions de débuter avec la même question « pouvez-vous vous présenter » en avertissant l’interviewé que l’entretien sera anonymisé et que la confidentialité sera préservée. Ainsi si la personne cite ses nom et prénom, la retranscription permettra un respect de l’anonymat.

De même le moment dédié à la réalisation du dextro a été supprimé car tous les interviewés la décrivent de la même manière et réalisent la même technique. Le temps gagné, par cette modification, sert à approfondir d’autres thèmes.

Une autre modification a été apportée au guide d’entretien, il s’agissait de celle concernant la première question. Au début de notre recherche la question initiale était « que pouvez-vous me dire sur votre diabète ?». Cette question trop directe nous amputait de l’abord identitaire de la question en ce sens où l’interviewé abordait le diabète sans se situer lui-même. Cette question initiale a été remplacée par la suivante « pouvez-vous vous présenter ? ». La personne avait ainsi la possibilité de se présenter autrement que par son diabète et nous apporter des renseignements en termes de positionnement vis-à-vis de la maladie.

5-1-2 questions hors guide d’entretien

En dehors de ces questions potentielles, nous utilisions d’autres moyens afin de favoriser ou clarifier le discours. Parmi eux il y a :

- La relance : nous reprenions une partie du discours de l’interviewé et l’incitions à continuer sur cette thématique. Elle permet d’approfondir ou de faire expliciter une partie du discours

- La reformulation : nous reprenions une partie du discours de l’interviewé et lui redisions avec nos mots puis nous demandions à l’interviewé si nous avions bien compris ce qu’il nous disait.

- La contradiction, qui est une intervention s’opposant au point de vue développé précédemment par l’interviewé ne fait pas partie de nos outils. Cette technique nécessite de donner son avis propre sur telle ou telle opinion or nous voulions garder de la distance. Par contre dès que le discours contient des contradictions, nous demandions à l'interviewé de nous en expliquer les raisons.

5-2 Quand poser les questions ?

La rencontre avec l’interviewé ne commençait pas le jour du rendez-vous puisqu’il y avait au moins un contact auparavant. Lors du rendez-vous, la première question est posée après une explication concernant notre travail de recherche, l’assurance de la confidentialité, de l’utilisation des données uniquement pour la recherche et de la vérification de la disponibilité de la personne.

Cette première question, qui en fait suit celle de la demande d’enregistrer, aborde un aspect large puisqu’elle interroge la personne sur son identité.

Les autres questions sont posées en fonction du discours de l’interviewé. Si ce dernier aborde spontanément une thématique prévue par une question du guide alors celle-ci n’est pas posée. Par contre en cas de silence il est posé soit une question du guide sur un nouveau thème soit une question à partir des propos tenus par l’interviewé (voir paragraphe « questions hors guide d’entretien »).

5-2-1 Ecouter avant de questionner

Une fois que la première question était posée, les difficultés commençaient. Il nous fallait garder à l’esprit l’objectif de la recherche ainsi que les hypothèses émises pour poser les questions issues du guide. En même temps, nous devions être à l’affut d’informations inédites, d’indices ou de signaux provenant de l’interviewé et les explorer à l’aide de questions non prévues initialement. Pour cela nous prenions une position favorisant l’écoute active en ce sens où il nous fallait être dans et en dehors de la discussion. Etre dans la discussion permettait de comprendre le cheminement de l’interviewé dans le déroulement du discours. Etre en dehors de la discussion évitait de se laisser enfermer dans sa logique, de décontextualiser les propos et de préparer la relance. Notre attitude aussi bien verbale que corporelle jouait un rôle important pour favoriser cette écoute active.

5-2-2 Attitude corporelle.

Nous nous installions de manière à pouvoir nous rapprocher de l’interviewé lorsque nous prenions la parole et nous éloigner lorsque c’était à lui de parler. A l’hôpital, la personne nous accueillait dans sa chambre (sauf pour une personne pour laquelle l’entretien s’est déroulé dans une salle de réunion). Elle était soit assise sur son lit et dans ce cas nous nous mettions sur une chaise de telle façon qu’elle ait une position supérieure à la nôtre et posions le dictaphone sur le côté de la table. Soit elle était assise sur son fauteuil et nous sur une chaise placée de manière à ce que nous ne soyons pas directement en face d’elle et nous ne nous installions pas sur le lit car celui-ci nous donnerait une position plus élevée. Pour les personnes dont nous étions le médecin traitant, nous avons utilisé pour trois d’entre elle une salle neutre qui n’est pas notre cabinet de consultation et qui se trouve dans un immeuble à proximité. Cette salle ne comporte aucun outil « médical » et sert de salle de repos ou de réunion avec un coin cuisine. Nous étions sur des chaises autour d’une table et nous proposions un café, un thé ou un verre d’eau avant de commencer l’entretien avec possibilité de se servir pendant l’entretien. Ces précautions étaient prises pour minimiser l’impact que nous avions en tant que médecin traitant. Pour le 4ème interviewé, une partie de l’entretien s’est faite directement dans notre cabinet de consultation et l’autre partie à son domicile où se trouvait son matériel de mesure de la glycémie. Pour les autres interviewés vus à domicile, les entretiens se sont déroulés autour d’une table, assis sur des chaises (ou fauteuils roulants pour 2 personnes). Le dernier cas de figure est celui des interviewés dont l’entretien s’est déroulé dans le cabinet médical d’un confrère. L’interviewé se mettait automatiquement du côté «

patient » nous laissant de facto la place de son médecin habituel. Nous nous trouvions sur un fauteuil que nous avons placé de manière à ce que l’interviewé n’ait pas à lever son regard pour nous voir et nous l’avons remercié de nous accueillir dans son cadre habituel.

Ces aménagements nous ont permis d’avoir les postures espérées pour favoriser le recueil des informations.

5-2-3 Attitude verbale

Durant l’entretien nous évitions de couper la parole et nous parlions que lorsque la personne marquait un silence. Il nous arrivait de couper spontanément (réflexe) l’interviewé lorsque nous ne comprenions pas un mot ou une expression. Nous avons utilisé un vocabulaire au plus proche de celui de l’interviewé afin d’éviter les malentendus ou les incompréhensions.

Pour ne pas influencer ni interrompre l’interview et ne pas prendre la parole, nous nous contentions de l’onomatopée « huhum » qui nous semblait plus neutre que « d’accord ». Nous l’utilisions pour signifier que nous avions suivi le raisonnement ou entendu les explications afin de favoriser la poursuite du discours. Cette expression est également utilisée comme relais entre le moment où l’interviewé parlait et le moment où nous prenions la parole pour relancer ou réorienter l’entretien.

6- Recueil des données