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Chapitre I : Identité ; d’un état à un processus

Chapitre 2 : Les apprentissages : de la théorie à la forme

3- L’apprentissage en termes de démarches ; le processus

Les théories de l’apprentissage sont multiples et ont été progressivement complétées au fil du temps. Chaque nouvelle théorie affine la précédente sans en rejeter complétement les fondements.

3-1 Conception traditionnelle de l’empreinte.

Il y a un simple transfert de l’émetteur vers le récepteur comme une sorte de copier – coller. Cette conception n’est pas négligeable et nous pouvons la retrouver au quotidien. Philippe Meirieu (Meirieu, 2009) parle de « transmission par imprégnation » lorsqu’il aborde « les liens intrafamiliaux et intergénérationnels où les apprentissages se font sans action ordonnée ni systématisée ». Ainsi, des contacts répétés où l’on voit le même comportement, où l’on entend la même information finissent par imprégner les personnes exposées. Cette conception est proche de ce que Schugurensky (2007) appelle la socialisation avec des contenus d’apprentissage qui sont involontaires et non conscients.

Dans le cadre des personnes atteintes de diabète, nous entrevoyons les différents apprentissages de ce type, soit au contact de membres de la famille soit des proches malades. 3-2 L’approche béhavioriste

L’apprentissage se fait par stimuli-comportement développé notamment par Pavlov (conditionnement classique répondant), Watson et Skinner (conditionnement opérant). L’apprenant est ainsi soumis à des stimuli jusqu’à ce qu’il acquiert le comportement attendu pour une tâche donnée. Pour simplifier la tâche, celle-ci est divisée en sous tâche. Or, en

termes d’apprentissage, comme le disait Aristote « La totalité est plus que la somme de ces parties ». En effet, le tout, c'est-à-dire la situation complexe est composée des parties et aussi des liens entre ces différentes parties, du contexte dans laquelle elle se déroule. Si la personne n’a pas une vision globale de son action, elle risque de connaitre toutes les parties, sans faire le lien entre elles, et ne pourra pas donner de sens à ce qu’elle réalise.

-Pour les personnes atteintes de diabète, apprendre à se servir de son appareil de mesure glycémique est un acte important mais qui perd de sa valeur si elle n’analyse pas le résultat obtenu.

3-3 Le constructivisme

Bien que notre domaine soit l’apprentissage chez la personne atteinte de diabète adulte, il est tout de même important de revenir sur quelques notions développées par Piaget et Vygotski. Selon Piaget, l’apprentissage va suivre le développement sensorimoteur de l’enfant. C'est-à- dire que des structures permettant l’apprentissage vont se mettre en place au fur et à mesure de l’avancée en âge de l’enfant. Cette structure de base s’affine par maturité anatomo- physiologique et également suite aux exercices et aux expériences qui permettent de reconnaitre les propriétés de l’objet de contact qui en retour développent la structure de base. Par son activité, le tout jeune enfant a « appris » à connaître et reconnaître l’objet dans ses particularités et à transformer le fonctionnement de ses structures de préhension par l’exercice. Ce qui veut dire qu’il a construit et reconstruit sans cesse l’organisation de sa conduite de saisie non seulement par l’exercice, mais aussi par les significations qu’il lui a données (Dolle, 2013, p 21).

Selon l’objet en question et en fonction des interactions, la personne mobilise différents schèmes pour structurer son action. Le schème est pris dans la définition qu’en donne Dolle (Ibid., p 21) « Un schème est ce qui dans une action est invariable, se répète comme tel d’un objet à un autre ou d’une situation à une autre ». Face à une situation, l'individu perçoit un objet (qui peut être physique ou une idée), il essaie de l'assimiler, c'est-à-dire l'intégrer à un schème psychologique préexistant. Si cela n’est pas possible, il va s’accommoder et modifier un schème existant pour intégrer ce nouvel objet ou une nouvelle situation. Ce sont les déséquilibres qui permettent de passer d’un stade à un autre. Selon cette théorie, le schème évolue en fonction du contexte et il n’y a donc pas de possibilité de confusion ou d’utilisation du schème primitif.

Pour Vygotski, l’apprentissage est avant tout favorisé par les activités sociales et affectives. C’est grâce aux « outils » que l’individu trouve dans ses rapports aux autres et le sens qu’il leur donne qu’il apprend et évolue. Tout seul face au monde, l’apprenant risque d’être débordé voire submergé et ne pas savoir quoi ni comment utiliser les différents outils. Ainsi, lorsqu’il atteint ses limites, l’aide d’autrui lui permet d’avancer, c’est ce que la théorie vygotskienne nomme la « zone proximale de développement » (Bourgeois, 2003, p 38). Lorsque cette limite est atteinte, une personne plus experte peut par son accompagnement favoriser de nouveaux apprentissages. Nous voyons ici l’importance de la vie en société qui favorise les échanges entre les individus. Pour Bachelard il existe également une zone où « l’esprit pense en hésitant, où il risque hors de sa propre expérience, où il s’offre avec une tranquille imprudence à toutes les polémiques » (Bachelard, 1940 ; p 93). Cette zone est également un moment où la personne est à la limite de ce qu’elle connait déjà. L’existence de cette spécificité est prise en compte dans les apprentissages utilisant les pédagogies différenciées et le tutorat. Dans le tutorat, les connaissances des deux sujets ne doivent pas être trop éloignées l’une de l’autre (Baudrit, 2007, p12). Pour qu’il puisse y avoir une dynamique interactive (échange de points de vue, contradiction), la distance cognitive entre les deux acteurs ne doit pas être trop importante. Les travaux de Vygotski reposent sur le constat fondamental que « les fonctions mentales supérieures, fonctions spécifiquement humaines, sont les produits de l’activité sociale de l’homme » (Bulle, 2009). Vygotski insiste sur la distinction de deux lignes de développement, « celle des fonctions élémentaires d’origine biologique et celle des fonctions mentales supérieures d’origine sociale » (Bulle, 2009). Ces deux fonctions interagissent entre elles2.

La première théorie (Piaget) se base sur des déterminants internes dits biologiques et la deuxième (Vygotski) sur des déterminants externes dits sociaux. Dans ces deux théories le développement se fait d’un stade simple vers un autre plus évolué. Pour Bachelard, on ne passe pas d’un stade à un autre. Le stade précédent persiste et l’apprenant doit constamment lutter pour voir le réel autrement. L’apprenant va toujours vers la voie la plus facile et tente de rentrer cette problématique dans un schème qu’il connait déjà en faisant des analogies. L’être

2 Les processus de nature biologique régulent la croissance des fonctions mentales élémentaires, la mémoire, la

perception et certaines formes d’intelligence pratique dont l’origine s’inscrit en continuité avec l’intelligence animale. Les processus sociaux et culturels régulent, quant à eux, l’acquisition du langage et d’autres systèmes de signes, ainsi que le développement des fonctions mentales supérieures, comme l’attention volontaire, la généralisation, l’abstraction etc. Les différences entre les fonctions mentales élémentaires et les fonctions mentales supérieures reposent sur la notion centrale de médiation. En effet, l’élaboration d’outils cognitifs médiateurs conditionne le processus d’intellectualisation de la pensée à l’origine de l’activité mentale proprement humaine.

humain choisi le chemin qui lui parait le plus court et le moins onéreux sur le plan cognitif. Pour cela, lorsqu’une personne est confrontée à une situation, elle cherche des similitudes avec une situation déjà vécue et réagit comme à l’habitude sans chercher de nouvelles solutions. Tout se passe comme si la personne regardait l’apparence, la forme des situations et non le fond. Ainsi, nous nous comportons au quotidien comme si nous voulions « faire du même avec ce qui est autre » (Pépin, 1994, p 66). Cette aptitude à incorporer l’information extérieure à des éléments conceptuels déjà connus est dénommée par le terme « assimilation » (Buron, Unger, & Van Damme, 1995, p 20). Au fil du temps, cette capacité permet d’agir rapidement, de manière automatique, réflexe et de répondre adéquatement à des situations quotidiennes comparables. Cette assimilation pourrait nous aider à comprendre le fait que certaines personnes atteintes de diabète n’arrivent pas à adapter leurs comportements en fonction des situations et restent figées sur leurs acquis.

Exemple : Une personne atteinte de diabète adapte sa dose d’insuline uniquement en fonction de la glycémie. Pour elle, le schème d’action pourrait être simplement « ma glycémie est élevée donc j’augmente les doses d’insuline ». Les causes (alimentation, activité physique…) ne sont alors pas analysées et l’action est décidée en se basant sur la forme (variation de la glycémie) de la situation.

En complément de cette assimilation, nous trouvons le phénomène d’accommodation. Nous utilisons le terme complément car nous pensons que ces deux phénomènes coexistent et qu’ils sont utilisés en fonction des situations. L’accommodation « consiste à modifier ses schèmes de pensée en fonction des particularités qui viennent d’être assimilées » (Buron, Unger, & Van Damme, 1995, p 21). A la différence de l’assimilation, l’accommodation entraine une déconstruction et reconstruction des connaissances antérieures pour aboutir à une modification profonde de la personnalité. Cette réflexivité mène à l’acquisition de nouveaux apprentissages sources de changements de comportement.

Nous nous interrogeons sur ces mécanismes, l’assimilation et l’accommodation, qui sont utilisés à une certaine période pour s’adapter à l’environnement et sont ensuite oubliés par la personne atteinte de diabète. Au cours de l’assimilation, c’est un mécanisme analogique qui est utilisé, c'est-à-dire que la personne va chercher dans ses connaissances une situation semblable ou s’en rapprochant et émettre alors le même type de réponse. Ce mécanisme peut être très rapide, à peine perçu par la personne elle-même. Au cours de l’accommodation (lorsque la réponse habituelle n’est plus adaptée ou la situation est inédite), la personne a une réflexion pour adopter un nouveau comportement qui lui-même deviendra à la longue

routinier. La caractéristique de ces mécanismes, surtout l’assimilation, est d’entrainer des habitudes dites réflexes dont la personne n’a plus forcément conscience. Dans ces phénomènes, la personne s’adapte à son environnement sans agir sur ce dernier. Dans le quotidien de la personne atteinte de diabète, il peut arriver qu’elle soit totalement influencée par l’environnement mais cela n’est pas la règle. Nous pensons qu’elle agit sur celui-ci mais qu’elle n’a pas forcément le souvenir de son action. Nous présupposons que d’importantes actions sur l’environnement resteront plus facilement mémorisées que des actions minimes. Ces dernières sont plus faciles à repérer si elles sont réalisées de manière consciente et intentionnelle par la personne atteinte de diabète.

Bien qu’en théorie il semble intéressant et logique d’acquérir de nouveaux apprentissages, encore faut-il en avoir les capacités. Pour résoudre une situation inédite, sur le fond ou la forme, un décalage par rapport aux habitudes s’avère nécessaire et Bachelard parle « d’un véritable travail de deuil : deuil de la facilité, de l’économie mentale » (Astolfi, 2008, p180- 181). Sa réalisation implique un effort particulier qui peut être au-dessus des moyens (physique, psychique…) de la personne. Qu’est ce qui pousserait la personne à modifier ses habitudes et à acquérir de nouveaux comportements ? Ce questionnement est d’autant plus important que les constructivistes développent la notion de « viabilité » (Pépin, 1994; von Glasersfeld, 1994) . Cette notion va se substituer à celle de réalité et va donner une autre valeur à la déconstruction – reconstruction que les personnes font du monde. Ainsi, « Le simple fait qu'elle permette de survivre ou d'atteindre le but visé signifie que la connaissance utilisée est viable, peu importe si, d'un autre point de vue, elle peut paraître erronée. » (Pépin, 1994, p 66).

C’est le cas d’une personne dépendante à l’alcool qui pour éviter les signes de manque persiste dans son action de consommer. Cette solution atteint le but qui est de mettre fin aux signes de manque mais qui par ailleurs aggrave son état de santé et dégrade sa position sociale. Il en est de même pour une personne atteinte de diabète qui reste volontairement en hyperglycémie pour éviter les malaises de l’hypoglycémie. Or rester à des taux anormalement élevés de sucre dans le sang favorise les complications. Qu’est ce qui pourrait pousser une personne à remettre en cause une réponse viable ? C’est d’abord et avant tout l’échec de la solution habituelle qui ne conduit plus au but fixé. Devant ce constat d’échec la personne devrait dire « non » au sens promu par Bachelard pour qui « les connaissances nouvelles se construisent en cherchant dans le réel ce qui contredit des connaissances antérieures » (Bachelard, 1940, p 9). Il y a donc un effort à fournir et

Bachelard précise que « le non signifie dépasser et compléter le savoir antérieur, la philosophie de la connaissance scientifique doit englober les contradictions ». Cependant il est difficile de dépasser la première expérience et « se former contre la nature, contre ce qui est, en nous et hors du nous » (Bachelard, 1938, p 23).Dans le cas contraire, la personne s’obstinera à garder la même réponse, aggraver son état et faire son propre malheur comme nous l’avons souligné antérieurement avec Watzlawick. Or, une personne aborde les situations avec « son propre capital qui est constitué des ressources cognitives, affectives et matérielles » (Kaddouri, 1996). Cette singularité explique la diversité des approches face à une même situation, la remise en cause ou non des connaissances antérieures et de la modification ou non des comportements. Chaque personne va réagir en fonction de son parcours antérieur durant lequel elle a vécu, seule ou accompagnée, différentes situations et expériences qui ont abouties à la prise de décisions. Ce cheminement crée des habitudes de raisonnement qui vont se retrouver dans les décisions ultérieures. Au quotidien ce bagage peut être handicapant en ce sens que la personne atteinte de diabète risque de rester enfermée dans son système de pensée « j’ai toujours fait comme ça… » et avoir des difficultés à faire ce décentrage nécessaire à une nouvelle approche. Cette base de départ sur laquelle va se faire le nouvel apprentissage va être influencée par divers éléments. Parmi ceux-ci, il y a le rapport qu’entretient chaque personne avec le savoir. En effet, Beillerot définit le rapport au savoir comme « un processus par lequel un sujet, à partir de savoirs acquis, produit de nouveaux savoirs singuliers lui permettant de penser, de transformer et de sentir le monde naturel et social » (Beillerot, 2011). Charlot insiste sur le sens et définit le rapport au savoir comme « une relation de sens, et donc de valeur, entre un individu et les processus ou produits du savoir » (Charlot, 1999)

Dans les différentes théories que nous venons de voir, la personne atteinte de diabète est vue comme subissant son environnement de diverses manières. Dans la théorie de l’empreinte elle apprend de manière passive sans contrainte ou action directe de personnes extérieures. Par le béhaviorisme, elle va acquérir de nouveaux comportements par l’action, le plus souvent répétitive, d’autrui (personne ou environnement) et non par sa propre volonté. Cette théorie désire montrer que des comportements peuvent être acquis sans qu’il y ait d’analyse cognitive de la part de la personne. La théorie constructiviste va plus loin en ce sens qu’elle accorde un rôle plus actif à la personne qui va intégrer les nouvelles situations soit par assimilation soit par accommodation. Ces théories peuvent expliquer un certain nombre d’apprentissage et de comportements mais ne mettent pas en évidence d’action de la personne

sur son environnement. Pour cette raison nous complétons cette partie par l’apport de la théorie sociale cognitive qui développe un aspect interactif entre l’individu et son environnement.

3-4 La théorie sociale cognitive

Développée par Bandura, la théorie sociale cognitive (TSC) met en avant le rôle actif de l’individu dans ses apprentissages (A Bandura, 1977, 2001, 2004). Pour Bandura, la capacité d’exercer le contrôle sur la nature et la qualité de sa propre vie est l’essence même de l’humain. Il parle d’agentivité (agency) pour exprimer le fait que l’individu peut agir sur son propre fonctionnement et sur son environnement. Cette agentivité repose sur quatre caractéristiques de base de la personne : Intentionnalité, prévoyance (anticipation), auto- réactivité et autoréflexivité (Bandura 2001). Cette théorie va donc au-delà de celle des béhavioristes puisqu’elle inclut le côté actif de l’individu dans la réponse qu’il peut émettre suite à des sollicitations extérieures.

La TSC qui met en valeur des actions réciproques entre les trois parties que sont la personne, le comportement et l’environnement a amené à la construction du modèle de causalité triadique (figure 1) :

Figure 1 : Modèle de causalité triadique réciproque

Personne

Comportement Environnement

« Cette théorie place les individus à la fois comme producteurs et produits de leur environnement » (Carré, 2004). Il y a une interaction réciproque de la personne sur son environnement comme l’a précisé Bandura et également de l’environnement sur la personne. « L’environnement social et organisationnel, les contraintes qu’il impose, les stimulations qu’il offre et les réactions qu’il entraine aux comportements représentent le déterminant environnemental » (Carré, 2004). Ce dernier est défini par le terme « affordance » par Gibson (Gibson, 2014) en précisant « the affordance of the environnement are what it offers the animal, what it provides of furnishes, either for good or ill ». Pour Luyat et Regia-Corte

l’affordance est « la faculté qu’ont les animaux de guider leur comportement en percevant ce que leur environnement leur offre en termes de potentialités d’actions » (Luyat & Regia- Corte, 2009). Si nous nous référons à la définition de Gibson, ces potentialités d’actions vont servir ou desservir la personne. Un objet qu’il soit disposé de telle ou telle manière, ayant tel ou tel design va favoriser ou non son utilisation et la manière dont il doit être utilisé. Il en est de même pour les personnes qui par leurs présences, attitudes peuvent influencer les choix de l’apprenant en dehors de toute intervention directe. L’apprenant peut ou non être conscient de cette influence de l’environnement sur ses apprentissages.

Exemple : Des morceaux de sucre dans une boite fermée sont rangés dans un placard et un paquet de biscuits est posé sur la table. Une personne atteinte de diabète qui fait une hypoglycémie va avoir un accès direct aux biscuits et s’en servir pour remonter sa glycémie et si cela fonctionne, elle répétera cette solution. Nous émettons l’hypothèse que l’environnement aura plus d’impact sur la personne atteinte de diabète si cette dernière est peu active et que l’affordance de la situation est importante. Au contraire l’environnement aura peu d’impact sur la personne atteinte de diabète si celle-ci est active dans une situation présentant une faible propension à favoriser sa propre utilisation

Au-delà de ces théories nous nous interrogeons sur ce qui peut amener la personne atteinte de diabète à apprendre. Y a-t-il des facteurs qui favorisent ou freinent les apprentissages ?