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CHAPITRE 5 DISCUSSION

5.6. Qu’en est-il de l’engagement effectif des élèves?

5.6.3. Et les mathématiques? Engagement des élèves d’un point de vue mathématique

Considérant les buts de formation influençant le processus motivationnel des élèves (Gurtner et al., 2001), il est possible de croire que les élèves qui sont les plus susceptibles de s’engager mathématiquement dans la classe sont ceux qui poursuivent un but d’apprentissage. Cela est dû au fait que ces derniers doivent sentir qu’ils peuvent développer leurs connaissances à travers l’activité présentée. Ils ont ainsi à identifier les concepts en jeu

et à se questionner sur leur utilité. Cela les mène à combiner ce qu’ils savent pour trouver une réponse réaliste, dont ils sont portés à interroger la pertinence et le sens. Ces actions sont posées dans le but de développer une compréhension relationnelle des concepts à l’étude. La valorisation du développement d’une telle compréhension est supposée favoriser l’engagement des élèves en profondeur (Proulx, 2005).

Dans le cas de la présente SP, s’engager mathématiquement signifiait s’approprier le problème à la manière d’un scénographe. Cela impliquait de prendre en compte, sans que cela ne soit imposé par l’enseignante, des contraintes telles que les dimensions de la scène et le choix d’éléments de décor permettant de créer l’effet recherché chez le spectateur (percevoir Jack tout petit). S’engager dans la présente situation impliquait la recherche d’informations qui ne sont pas données dans l’énoncé du problème et qui pouvaient demeurer opaques à l’élève si celui-ci ne prenait pas conscience de ce qui précède pour colorer les raisonnements mathématiques qu’il mobilisait. Puis, pour tout élément de décor envisagé, il était espéré que l’élève réfléchisse à la facilité de construction, mais aussi aux possibles embuches créées pour le travail des comédiens41. Il importe également de considérer

qu’usuellement, dans les problèmes proposés en classe, la recherche d’un seul rapport de proportionnalité est nécessaire et consiste à comparer deux grandeurs de même nature. Or, dans la présente situation, il ne s’agissait pas uniquement d’établir un rapport, mais bien deux. Le premier est celui qui compare les mesures des grandeurs des objets du décor (ex.: une table) à leurs mesures usuelles. Ce rapport, qui a été reconnu par tous les élèves comme étant supérieur à un, permettait de donner l’illusion que les comédiens étaient plus petits que nature. Il fallait cependant que ce rapport ne soit pas trop grand afin de permettre aux spectateurs de deviner les objets qui composent le décor. En effet, un pied de chaise réalisé à partir d’un cylindre pourrait être considéré comme tel, uniquement si le spectateur

41À titre d’exemple, une équipe proposait de créer du gazon. Elle décide alors que ce dernier doit respecter un rapport 1 :40 soit qu’un brin de gazon de hauteur 1cm devrait être 40 fois plus grand pour que le comédien ait ainsi l’air de marcher dans de l’herbe qui lui irait à la taille (pour un comédien de 1,6 mètres). Outre le matériel à utiliser pour construire ce tapis de gazon arrive rapidement le défi d’envisager comment les comédiens pourront marcher aisément dans celui-ci.

a aussi la chance d’avoir devant lui le siège de celle-ci, voir même une partie de son dossier. D’un autre côté, réaliser une représentation en tridimensionnelle de ce décor par ordinateur impliquait la recherche d’un deuxième rapport (une échelle) facilitant le passage entre les mesures de la maquette et les mesures réelles du décor pour les ouvriers. Cette fois-ci, le rapport retenu devait être inférieur à un.

Globalement, il est possible de considérer que toutes les équipes se sont approprié ce mandat. La recherche des rapports de proportionnalité ne s’est toutefois pas exprimée de la même manière. Tel qu’exposé dans le précédent chapitre, certains élèves ont raisonné d’une manière qui a été qualifiée de qualitative au sens où, sans définir de valeur numérique précise, un ordre de grandeur a été retenu de manière à s’assurer que visuellement, le décor conçu pourrait bien correspondre au thème de Jack et le haricot magique.

Dans le cas particulier d’Anna, elle semble avoir été en recherche de procédures à appliquer tout au long de l’expérimentation. Or, les nombreux éléments à prendre en compte pour résoudre le problème nécessitaient la mise en relation de différents concepts et l’élaboration d’une démarche nouvelle. Le fait qu’elle ait pu identifier, dans l’entretien post- expérimentation, une procédure correcte pour valider si le décor entrait dans l’auditorium, montre qu’Anna semble à l’aise avec les procédures à appliquer lorsqu’il est question de l’aire des différentes figures. Cela n’était cependant pas suffisant pour résoudre le problème proposé; les différentes dimensions à prendre en compte pour respecter l’univers du scénographe ont compliqué la tâche. Les élèves de l’équipe d’Anna ont donc plutôt procédé par une évaluation qualitative des dimensions des décors par rapport à l’espace disponible. Bien que cette façon de faire ne soit pas erronée, la recherche d’un facteur de proportionnalité permettant de jongler entre une représentation à petite échelle du décor et les dimensions réelles de celui-ci n’a jamais été effectuée. S’il est possible de croire que le scénographe procède parfois de façon qualitative pour déterminer les grandeurs relatives des différents éléments de décor, nul doute ne plane quant au fait que les mesures ainsi déterminées soient réfléchies. Elles doivent en effet respecter l’espace disponible et tenir compte des contraintes

de circulation des comédiens. Ces dernières sont obligatoirement précises et dépassent ainsi l’évaluation qualitative.

Du type de raisonnement qui s’est exprimé, il est nécessaire de passer à l’examen la démarche de résolution que les élèves ont adoptée dans cette situation. Il y a lieu de se demander si celle-ci est flexible ou rigide, car, comme il est spécifié dans le cadre conceptuel, le premier indicateur de l’engagement cognitif des élèves en mathématiques réside dans la façon qu’ils ont de résoudre un problème (Connell, 1990; cité par Kong, Wong et Lam, 2003). Pour résoudre le problème proposé, les élèves devaient adopter une démarche de résolution plus flexible, en ce sens qu’ils ne pouvaient pas se fier à une démarche préétablie et à des étapes précises à suivre. Or, plusieurs élèves ont rencontré des difficultés d’ordre méthodologique et ont avoué ne pas trop savoir par où commencer au début de l’expérimentation. Il est donc possible de croire que ces élèves privilégient habituellement une démarche de résolution rigide. C’est le cas d’Anna, qui le confirme par les propos tenus après l’expérimentation; elle préfère les problèmes avec des étapes claires à suivre.

En considérant les éléments qui précèdent, rien ne permet d’affirmer que l’approche en rôle utilisée conjointement avec un contexte issu d’un métier a permis de favoriser une démarche de résolution flexible. Dans son étude, Saab (1987) n’avait pas non plus été en mesure de constater des changements sur la créativité des élèves. Or, l’un des indicateurs utilisés pour évaluer la créativité des élèves, dans la recherche de Saab (1987), était la flexibilité. Il est indiqué de se demander si l’utilisation plus fréquente de l’approche adoptée dans la présente recherche permettrait le développement d’une flexibilité chez les élèves et les amènerait ainsi à être en contrôle lors de la résolution des problèmes qui leur sont proposés.

Cette question ayant été soulevée, elle amène la réflexion sur le sentiment de contrôle que les élèves ont éprouvé lors de la résolution du problème. Un élève en contrôle, il faut le rappeler, aborde la matière plus en profondeur en mobilisant des stratégies d’apprentissage qui dépassent la mémorisation. Le questionnement sur le sens de la réponse et l’estimation de l’ordre de grandeur de celle-ci sont au nombre de ces stratégies.

Il est difficile d’évaluer l’ensemble du groupe sur cette question. Cependant, du côté d’Anna, les comportements qui se sont manifestés n’ont pas démontré qu’elle était en contrôle. En effet, malgré un effort de l’observatrice pour l’impliquer dans les échanges, cette dernière éprouvait de la difficulté à se questionner sur la grandeur des décors et l’espace disponible dans l’auditorium. Elle disait que le décor entrerait dans l’auditorium, car cette salle est grande. Il est donc possible de penser que cette élève est davantage dans des enjeux de mémorisation des concepts à l’étude et des procédures à appliquer; elle n’est pas portée à se questionner sur le sens des réponses obtenues. Il est ainsi suggéré que cela ait rendu son implication difficile dans la SP.

Le raisonnement mobilisé par Anna, pour évaluer la grandeur relative du décor par rapport à l’auditorium, ne tient pas de l’exception. En effet, plusieurs élèves semblent avoir raisonné ainsi pour résoudre le problème proposé. Plutôt que de procéder en choisissant un rapport de proportion fixe à respecter pour agrandir chaque élément du décor de façon à ce que Jack ait l’air petit, les élèves ont fixé les dimensions de leur décor arbitrairement. Par exemple, les marches d’une équipe mesuraient 75 centimètres pour être plus grandes que la normale, tout en s’assurant que le comédien pourrait grimper dessus. La hauteur des marches n’a donc pas été déterminée en respectant un facteur d’agrandissement de deux ou trois comme cela a pu être le cas pour d’autres éléments du décor. Tel que discuté précédemment, cela montre une volonté de prendre en compte la réalité du scénographe de façon maladroite. Il y a ainsi vacillement entre l’inconfort dû à la nouveauté et le sentiment de contrôle sur la situation. Cela illustre un effort de rapprochement entre les mathématiques scolaires, à travers lesquelles des procédures précises doivent être apprises, et celles de la vie quotidienne, où des raisonnements propres au contexte rencontré sont développés.