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La simulation d'un neurone cortical unique est effectuée à l'aide du simulateur NEURON (Hines, 1989). Le neurone modélisé est un neurone pyramidal à un seul compartiment. Cela signifie que la propagation du potentiel au sein de l’arbre dendritique n’est pas prise en compte. Un modèle très détaillé de neurones corticaux montre en effet que les stimulations reçues par l'arbre dendritique ont approximativement le même effet au niveau du soma (Jaffe et Carnevale, 1999), indépendamment de la position des synapses. La modélisation d'un neurone à un seul compartiment reste donc relativement acceptable du point de vue de la biologie.

Cette simulation est basée sur un ensemble de paramètres déterminés à partir de l'enregistrement de neurones réels (tableau 1.1). Le soma contient des canaux

voltage-Tableau 1.1 : paramètres du modèle HH (Hodgkin-Huxley) à simple compartiment.

Les valeurs utilisées ici ont été adaptées à partir de divers modèles (Suarez et al, 1995; Destexhe, 1997; Carandini et al, 1997a; Mell et al, 1998; Propatias et al, 1999), en particulier pour que la fuite du neurone (τ=9,5 ms) et son impédance d'entrée (35 MΩ) restent réalistes.

Paramètre Valeur

Surface 15000 µm2

Rm 4 kΩcm2

Cm 1.0 µF/cm2

Vrest -70 mV

gNa, ENa 180 mS/cm2, 50 mV

gK, EK 30 mS/cm2, -90 mV

τAMPA, Erev-AMPA 5 ms, 0 mV τGABAA, Erev-GABAA 10 ms, -70 mV

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dépendants Na+ et K+ de type Hodgkin-Huxley (HH). L'activation provenant du LGN stimule l'activité de synapses excitatrices AMPA du neurone cible. Les canaux NMDA, dont la dynamique est très lente, ne sont pas pris en compte car la simulation se restreint aux quelques dizaines de millisecondes qui suivent la présentation du stimulus.

Un stimulus consiste en une image contenant un grating1, à une orientation et un contraste donné2. Préalablement à la propagation, le stimulus est filtré par des filtres de contrastes centre-ON et centre-OFF3. Les valeurs d'activation résultantes sont ensuite utilisées pour

1 Barres orientées dans une direction donnée. Les barres sont suggérées par une variation continue de luminance.

Pour construire cette image, une fonction gaussienne bidimensionnelle (σ=2.3) est multipliée par une fonction sinus de période φ=25, l'unité étant le pixel.

2 La taille de l'image est de 17x17 pixels. L'orientation varie par pas de 5° pour couvrir les 360° du cercle trigonométrique. Le contraste varie de 100 % - ce qui correspond à l'ensemble des niveaux de gris - à 1.5 %.

3 Implémentée par une classique différence de gaussienne, la gaussienne la plus grande ayant une déviation standard correspond à 1/3 de la gaussienne centrale de signe opposé. Cette différence est normalisée afin que l'intégrale de la fonction résultante soit 0. Les contrastes centre-ON sont obtenus en appliquant directement le filtre sur l'image et les contrastes centre-OFF en appliquant le filtre sur l'image dont les pixels sont inversés.

Figure 1.1 : A, image initiale contenant le stimulus, transformation en contrastes centre-ON et centre-OFF et projection en direction du neurone de V1. Pour les cellules centre-ON et centre-OFF, les niveaux de gris représentent la latence de décharge des neurones et les pixels en noir représentent les neurones non activés. La valeur des poids synaptiques est indiquée en dégradé de niveaux de gris, le gris moyen correspondant à des valeurs proches de 0, le gris clair à des poids synaptiques excitateurs AMPA et les points noirs à des poids synaptiques inhibiteurs GABAA. B, latence de décharge des neurones centre-ON pour l'ensemble des 72 orientations des stimuli d'entrée à 100 % de contraste et à 1,5 % de contraste (pas de temps de 2 ms). La distribution pour les cellules centre-OFF est identique, au bruit près.

A

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calculer les latences de décharge des cellules ON et OFF en chaque point à l'aide d'un neurone intégrateur à fuite bruité4. Les latences de décharge les plus courtes correspondent donc aux zones de fort contraste – positif pour les ON et négatif pour les OFF - alors que les latences plus tardives correspondent à des niveaux de contraste moins élevés5.

Pour chaque position "rétinienne" un stimulus ne peut induire qu'une seule décharge en provenance soit d'une cellule centre-ON, soit d'une cellule centre-OFF. Dans ces conditions, un code conventionnel basé sur la fréquence de décharge est totalement inopérant.

Chacun des neurones du LGN6 est connecté par une seule synapse au soma du neurone cible. La répartition des poids synaptiques est déterminée à l'aide de la fonction suivante pour un neurone sélectif à des stimuli d'orientation 0° :

Wi = sin(A.d(ri,n))e

−d(ri,n)2 2

+

+B

où Wi est le poids synaptique entre le neurone ri centre-ON du LGNet le neurone n de V1 et d(rj,n) est la distance cartésienne séparant ces deux neurones7. Le paramètre B8 a été ajouté pour vérifier que la sélectivité du neurone ne pouvait pas être due à l'activation d'une sous-population des synapses du neurone n.

Les neurones inhibiteurs ne sont pas modélisés explicitement. J'ai considéré ces neurones comme intégrant des informations à partir du LGN de façon suffisamment rapide pour que les IPSPs arrivent sur le neurone cortical avec un retard d'environ 2 à 5 ms par rapport aux EPSPs (Ferster et Jagadeesh, 1992; Hirsch et al, 1998). Cela correspond à peu près au temps que met un EPSP pour atteindre le soma, les IPSPs arrivant pour la plupart directement sur le soma ou sur la dendrite principale. Par souci de simplicité, dans le modèle, la date d'arrivée des IPSPs

4 Le courant de fuite est fixé à 20 ms et Ll courant d'entrée dépend linéairement de la valeur d'activation résultant de l'application du filtre. Rapport signal sur bruit fixé à 1 pour le contraste le plus faible. Le bruit introduit correspond à une déviation standard de la latence des décharges des neurones de 3.6 ms au contraste le plus élevé et 12.6 ms au contraste le plus faible.

5 Les latences des neurones sont générées à l'aide de SpikeNET (cf. annexe 2).

6 222 neurones, 11x11 centre-ON et 11x11 centre-OFF neurones en excluant les bords.

7 A=0.75; B=0.1; σ=2.5, l'unité étant toujours le pixel

8 Le paramètre B contribue pour la moitié du total des poids synaptiques du neurone cible.

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correspond à celle d'arrivée des EPSPs sur le neurone cible. Un champ récepteur de synapses GABAA de répartition gaussienne a donc été défini9 (figure 1.1).

1.2 - Résultats

Pour un niveau donné d'inhibition, les poids synaptiques excitateurs sont optimisés de telle façon que les orientations pour lesquelles le neurone décharge s'étendent sur 65° à 100 % de contraste10.

Même en l’absence de shunting inhibition, le courant de fuite du neurone - reflet de sa

9 A la fois pour les synapses excitatrices et les synapses inhibitrices, les délais de propagation synaptique ne sont pas pris en compte et la variation de la conductance est modélisée à l'aide d'une simple décroissance exponentielle.

10 Du fait de la distribution des poids synaptiques, l'étendue de la décharge du neurone est centrée sur 0°.

Figure 1.2 : orientations pour lesquelles le neurone décharge en fonction du contraste et de la shunting inhibition. Les surfaces en niveaux de seulement dans la moitié des cas (en fonction du bruit). Les déviations standards pour ces points ne sont pas indiquées par souci de clarté (elles restent très faibles, de l'ordre de quelques degrés). Le niveau d'excitation du neurone est ajusté afin que la largeur de la courbe de sélectivité soit de 65° à 100 % de contraste. Sans inhibition (surface en noir), même dans le cas d'un stimulus à 50 % de contraste, le neurone n'est plus capable de décharger. Dans le cas de l'inhibition la plus forte, même avec 3 % de contraste résiduel, la largeur de la courbe de sélectivité du neurone est pratiquement identique à celle visible

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constante de temps membranaire11 - lui permet d'être sélectif à l'orientation. Les EPSPs les plus amples doivent arriver suffisamment groupés pour que la décharge du neurone ne soit pas inhibée par le courant de fuite. En fixant les poids synaptiques à une valeur donnée, le neurone peut alors devenir sélectif à l'orientation sur une étendue de 65°. Cependant ce type de sélectivité est extrêmement fragile, car si le contraste du stimulus baisse, ne serait-ce que de moitié, les latences des neurones en entrée deviennent plus étalées et le neurone ne décharge plus (figure 1.2).

Cependant, si la shunting inhibition rapide est ajoutée au modèle et que les poids synaptiques excitateurs sont réajustés pour que le neurone conserve la même sélectivité, le neurone devient capable de répondre sur une grande plage de contrastes. Cet effet est parfaitement visible dans la figure 1.2, où, pour un niveau d'inhibition atteignant 4 µS12, la sélectivité du neurone est pratiquement constante de 100 % de contraste à un niveau de contraste aussi faible que 3 %. Il est important de noter qu'il existe une relation linéaire13 entre

11 τ=9,5 ms dans notre modèle.

12 Cette valeur représente la somme des conductances maximales de toutes les synapses inhibitrices.

13 R=0.9996.

Figure 1.3 : conductances totales excitatrices (gris clair) et inhibitrices (gris foncé) du modèle d'un neurone de V1 pour trois orientations du grating, 0°, 30° et 180° et deux niveaux de contraste 100 % en haut et 3 % en bas.

La conductance inhibitrice est identique quelle que soit l'orientation pour un niveau de contraste donné. Dans le coin supérieur droit de chaque courbe, le potentiel du neurone est représenté. Le neurone ne décharge que dans le cas de stimuli à 0° et 30° et la latence de la décharge est plus précoce à 0°. Cela signifie que la sélectivité du neurone s'exprime non seulement en termes de décharges – pas de décharge pour une orientation de 180° - mais également en termes de latence de décharge.

0 20 40 60 80 1 0 0

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le total des poids synaptiques excitateurs et inhibiteurs et donc que l'équilibre entre excitation et inhibition est comparable dans tous les cas.

La sélectivité du neurone dépend principalement des latences relatives d'arrivée des entrées excitatrices par rapport à la shunting inhibition rapide. Si les poids synaptiques les plus forts sont activés de façon précoce, le neurone est capable de décharger avant que l'inhibition ne shunte ses entrées excitatrices (figure 1.3). Cependant, si les poids synaptiques activés de façon précoce sont de faible amplitude alors la balance entre l'excitation et l'inhibition jouera en faveur de l'inhibition et le neurone ne déchargera pas.

De plus, comme cela est visible sur la figure 1.3, la latence de décharge du neurone dépend de l'orientation du stimulus. La latence de décharge est plus faible pour l'orientation préférée du neurone et plus tardive pour des orientations voisines (figure 1.4). Ce modèle de neurone de V1 est donc sélectif en termes de latence de décharge. Des études en électrophysiologie ont montré que les neurones dans V1 déchargent de manière tout à fait similaire. Celebrini et al (1993) et Gawne et al (1996) ont tous deux montré une augmentation des latences de décharge des neurones entre leur orientation préférée et une orientation différant de 30° par rapport à celle-ci. Cela signifie également qu’à l'étape suivante du système visuel (V2 dans notre cas) les neurones peuvent également baser leur sélectivité sur la latence de décharge des neurones afférents.

1.3 - Discussion

J'ai proposé ici un modèle hiérarchique à deux niveaux dans lequel les décharges des neurones dans le LGN excitent un neurone de V1. Je me suis focalisé en particulier sur les aspects temporels d'un tel processus - de l'ordre de quelques millisecondes – et sur

Figure 1.4 : latence de décharge du neurone dans V1 en fonction de l'orientation et du contraste du stimulus. L'inhibition est fixée à un niveau intermédiaire (somme des synapses inhibitrices équivalente à 1 µS). La déviation standard des latences de décharge est calculée pour 10 conditions de bruit des neurones centre-ON et centre-OFF. Dans tous les cas, la latence de décharge du neurone contient de l'information sur l'orientation du stimulus.

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l'interaction entre les EPSPs et les IPSPs au sein de ce neurone de V1. J'ai proposé qu'une shunting inhibition rapide rende compte de l'invariance de la sélectivité des neurones de V1 par rapport au contraste du stimulus. Étant donné que l'inhibition dépend du nombre de décharges émises dans le LGN, elle filtre les excitations en fonction de leur ordre d'arrivée.

Ce résultat démontre que, même dans un modèle biologique, la sélectivité à l'ordre des décharges des neurones afférents engendrée par la shunting inhibition fournit un mécanisme plausible de la sélectivité rapide à l'orientation invariante au contraste.