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Le codage par ordre a avant tout une inspiration biologique. J'ai déjà passé en revue la majorité des raisons pour lesquelles une shunting inhibition rapide, provoquée par l'apparition d'un stimulus, est très plausible du point de vue électrophysiologique. J'ai également présenté dans la première partie, les données expérimentales en faveur d'un tel type de codage : la rapidité du traitement visuel est telle qu'à chaque étape du système visuel, chaque neurone n'a a priori pas le temps de décharger plus d'une fois.

Concernant l'aspect computationnel, le codage par ordre présente nombre de propriétés qui en font l'attrait (Thorpe, 1990; Thorpe et Gautrais, 1998). Un premier avantage est que, à la différence d'un code basé uniquement sur la latence de décharge des neurones (Hopfield, 1995), le codage par ordre fournit une normalisation automatique de l'activation des neurones.

Seul l'ordre d'activation des afférents est pris en compte, de sorte que leur latence absolue est sans importance. Bien que des modifications d'intensité ou de contraste du stimulus provoquent des changements radicaux dans la latence de décharge des neurones, l'ordre dans lequel les neurones déchargent est très robuste à de telles variations.

Le second avantage du codage par ordre est qu'il est très facile de rendre un neurone sélectif à l'ordre dans lequel ses afférents déchargent. En principe, il est seulement nécessaire

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d'introduire un mécanisme de désensibilisation qui réduit la sensibilité du neurone à chaque fois qu'il est excité par un autre neurone. C'est donc uniquement dans le cas où ses neurones afférents déchargent dans l'ordre des poids synaptiques que le neurone cible est activé de façon maximale (figure 1.5).

Plus précisément soit A = { a1 , a2 , a3 ... am-1 , am } l'ensemble des afférents du neurone i, avec W = { w1,i , w2,i , w3,i ... wm-1,i , wm,i } les poids synaptiques correspondant aux m neurones afférents et soit f une fonction arbitraire décroissante. Le niveau d'activation du neurone i au temps t est donné par

Activation i,t

( )

= f (ordre(ai)) wj, i

j∈1,m

[ ]

où ordre(aj) est l'ordre de décharge du neurone aj au sein de l'ensemble A15. Le neurone i déchargera au temps t si son niveau d'activation dépasse un certain seuil. L'analyse d'images naturelles a montré que la fonction f qui permettait de récupérer une partie des informations de contraste - à un ordre moyen, on peut assigner un contraste moyen - était une fonction logarithmique16. Dans les simulations qui suivront j'ai cependant préféré utiliser une fonction puissance du fait de ses propriétés algorithmiques17. De plus, une fonction logarithmique est relativement cohérente du point de vue de l'hypothèse de la shunting inhibition. Suite à une stimulation, la distribution de l'activation des neurones dans le LGN est décroissante de façon

15 f(ordre(aj)) = 0 si le neurone aj n'a pas encore déchargé au temps t.

16 f(ordre(ai))=1-log(ordre(ai))*B; B étant une constante.

17 Il est en effet possible de calculer une fonction puissance de façon itérative, en multipliant la modulation courante par un facteur de désensibilisation à chaque fois que le neurone est excité par un neurone afférent.

Figure 1.5 : différents types de modulation. En noir, la modulation nécessaire pour récupérer - de façon statistique - les informations de contraste. Un neurone possédant un champ récepteur de taille 11x11 observe les décharges des cellules centre-ON et centre-OFF (filtre de 3x3, différence de gaussienne normalisée à 0). Ce graphique présente les résultats pour la propagation d'environ 1 000 000 d'images naturelles 11x11 tirées de photographies commerciales. L'adéquation avec une courbe logarithmique est très bonne. Dans les simulations qui suivront nous avons préféré une loi puissance, qui reste relativement proche, du fait de la possibilité de calcul itératifs très rapides.

0

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grossièrement exponentielle (i.e. Gazeres et al, 1998). Il est raisonnable de penser que la distribution dans le temps de l'activation des neurones inhibiteurs serait de forme comparable.

Si tel est le cas alors la modulation des neurones excitateurs suivrait une dynamique de type logarithmique. Ceci ne constitue absolument pas une démonstration, mais indique simplement qu'une modulation de type logarithmique s'accorde avec une vue intuitive de la dynamique d'activation des neurones dans le LGN et dans V1. Dans le modèle que j'ai présenté précédemment, l'inhibition était proportionnelle au nombre d'EPSPs sur le neurone cible, ce qui produit une inhibition excessivement forte et donc probablement exagérée. J'ai cependant choisi cette option afin de simplifier le modèle, chaque décharge dans la rétine évoquant à la fois un EPSP et un IPSP.

Malgré les arguments que j'ai pu donner, le codage par ordre est loin d'être accepté par la communauté scientifique. Les détracteurs d'un codage par ordre soutiennent que l'activité des neurones au sein de la population pourrait être utilisée pour calculer un ordre de décharge moyen pour des fenêtres temporelles très petites. Certains ont effectivement choisi cette voie (Gerstner, 2000) mais semblent avoir besoin d'un nombre de neurones redondants très important (Gautrais et Thorpe, 1998). Dans un codage par ordre, il est en effet possible de transmettre de grandes quantités d'informations pour un nombre de neurones réduit : une population de n neurones peut discriminer jusqu'à n! différentes activations en entrée alors que ce chiffre n'est que de n+1 pour un codage en fréquence qui consisterait à compter le nombre de neurones activés. Il est cependant possible, et même probable, que plus tard dans le traitement d'un stimulus flashé, les neurones utilisent effectivement un codage par fréquence. Ces deux codes ne sont en fait pas contradictoires. Un moyen de calculer la fréquence d'un neurone à la suite d'une stimulation est de pondérer la fréquence en fonction du temps, ce qui signifie que l'on attribue plus d'importance aux décharges arrivant quelques millisecondes après la stimulation qu'aux décharges plus tardives (Theunissen et Miller, 1995). Dans le cas d'une population de neurones, il est possible d'appliquer la même technique mais en utilisant des fenêtres temporelles encore plus courtes. Ce type de calcul se rapproche du codage par ordre de décharge. La différence réside dans l'importance donnée aux latences exactes des décharges neuronales plutôt qu'à leur ordre.

Je tiens à souligner ici que les termes de "codage" et "d'information" que j'ai employés ne sont que des raccourcis syntaxiques pour décrire le comportement des neurones et non pas les dogmes associé généralement à ces mots. Comme je l'ai souligné dans l'introduction, les neurones ne seraient pas des unités optimisées pour l'encodage et le décodage de l'information. Ils réagiraient plutôt à leur environnement pour répondre en adéquation avec le

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domaine au sein duquel ils évoluent. On peut cependant penser que la nature, en termes de minimisation de l'énergie produite et consommée, a su privilégier les mécanismes optimaux de ce point de vue. A cet égard, le codage par ordre est très clairement supérieur au codage en fréquence. On pourrait penser que la force du codage en fréquence réside dans sa redondance et sa résistance au bruit mais on verra que le codage par ordre offre également une exceptionnelle résistance au bruit.

Je vais maintenant passer en revue les autres types de codages neuronaux présents dans la littérature et tenter de déterminer leurs relations avec le codage par ordre.