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La taille des champs récepteurs des neurones varie dramatiquement tout au long de la voie visuelle ventrale. De 4°x4° dans V4, elle passe à 16°x16° dans PIT pour atteindre 150°x150°

dans AIT (Rolls, 1992; Tanaka, 1996)10. La taille des champs récepteurs est directement corrélée à l'invariance de la sélectivité des neurones par rapport à la position des objets présentés. La sélectivité des neurones au sein de cette voie semble également suivre la même logique, les neurones dans V4 étant sélectifs à des objets de complexité intermédiaire - formes géométriques simples, yeux... - et les neurones de IT à des stimulus plus complexes comme nous allons le voir.

9 IP dans la nomenclature que j'ai utilisée mais on trouve également le terme PG.

10 A 1 mètre de distance, cela correspond respectivement à un écran de 7 cm2, 28 cm2 et 2 m2.

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On a tout d'abord montré que les neurones dans IT étaient sélectifs aux parties du corps11. Ils peuvent ainsi répondre sélectivement aux mains (Gross, 1972), aux visages (Gross, 1972;

Perrett et Rolls, 1982) et à diverses parties du corps (Wachsmuth et al. 1994). D'autres neurones dans IT sont également sélectifs à différents objets naturels et artificiels (Tanaka, 1996; Booth et Rolls, 1998; Vogels, 1999). Il est généralement admis que les neurones dans IT sont sélectifs à tous les types d'objets que l'on peut rencontrer. Vogels (1999) a par exemple observé des neurones sélectifs aux arbres dans ces aires neuronales. Récemment Booth et Rolls (1998) ont montré qu'après un contact prolongé avec des jouets en plastique de diverses formes et de différentes couleurs, une fraction des neurones de IT répondaient de manière sélective à ces objets. Les neurones de IT répondent également très fortement sur des formes abstraites (Tanaka, 1996) : Tanaka et ses collaborateurs ont en effet enregistré les réponses des cellules suite à différentes transformations d'un stimulus élaboré12. Le stimulus était progressivement dégradé jusqu'à obtenir le stimulus minimum sur lequel le neurone déchargeait. 2 % des neurones dans V4 répondent sélectivement sur des stimuli élaborés, 9 % dans PIT et 45 % dans AIT. L'équipe de Tanaka a également montré que la sélectivité des neurones à travers les couches neuronales (de 2 à 6) était plus ou moins invariante au stimulus présenté (Fujita et al, 1992), de la même façon que dans V1, les neurones d'une colonne corticale sont sélectifs à la même orientation.

La sélectivité des neurones d'IT est extrêmement résistante aux variations des caractéristiques des objets. Les réponses de ces neurones ne semblent pas dépendre du fait que l'objet soit partiellement caché ou que ses contours soient uniquement définis par un mouvement relatif ou par une texture complexe (Vogels et Orban, 1996). Les neurones de IT répondent également de façon similaire sur un objet, que cet objet soit présenté en photo, sous forme de dessins au trait ou suggéré par un jeu d'ombre (Chadaide et al, 1999). Enfin leurs réponses sur un objet ne semblent pas dépendre de la taille de l'objet ni de sa position dans le champ visuel (Rolls, 1992; Ito et al, 1995; Vogels, 1999). Il faut cependant modérer ces affirmations car même si l'on admet généralement que la sélectivité des neurones de IT ne dépend pas de la taille du stimulus, il semble que cela soit vrai uniquement pour 21 % des neurones qui répondent à des variations de tailles jusqu'à 4 octaves. En fait 43 % des neurones de IT ne répondent pas à des variations de taille de 2 octaves (Ito et al, 1995). L'invariance à la position semble cependant mieux préservée (Ito et al, 1995).

La sélectivité des neurones dans IT à un objet peut être plus ou moins élevée. Concernant

11 Cf. Rolls (1992), Tanaka (1996) et Logothetis et Sheinberg (1996) pour une revue sur le sujet.

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la sélectivité aux visages, certaines cellules peuvent ne répondre qu'à certaines des vues du visage d'une seule personne, parmi l'éventail des individus présentés. En ce sens, elles pourraient coder l'identité de l'individu. D'autres sont beaucoup moins sélectives et répondent à plusieurs des individus testés (Perrett et Rolls, 1982; Baylis et al, 1985; Perret et al, 1991).

Certaines cellules sélectives aux visages ou aux parties du corps le sont aussi à un individu de profil ou de face. En règle générale, on peut dire que les neurones sélectifs aux visages ou à une partie du corps sont sélectifs à la vue, de face ou de côté (Wachsmuth et al, 1994; Farah, 1996) alors que les réponses des neurones sélectifs à des objets artificiels semblent plus ou moins invariantes à la vue présentée (Booth et Rolls, 1998). Cet effet semble dépendre de la familiarité du stimulus. Suite à la présentation d'un stimulus, les neurones apparaissent tout d'abord sélectifs à la vue présentée puis se dégagent de cette contrainte au fur et à mesure que les objets deviennent familiers (Logothetis et al, 1995). Récemment Wang et al (1996) ont mis au point une technique consistant à filmer avec une caméra très sensible la surface du cortex pour détecter les zones de plus forte activité. Bien que la résolution temporelle de ce type de technique soit très mauvaise13, ils montrent que les zones d'activité correspondent à des décharges neuronales. On constate alors qu'un stimulus active plusieurs groupes de neurones et que ces zones se superposent souvent pour différents stimulus (figure 2.4).

En présence d'images naturelles, c'est-à-dire de photographies, qui sont a priori plus

12 Le stimulus est dit élaboré si au moins deux formes sont nécessaires pour activer le neurone.

13 La caméra enregistre les variations de flux sanguin dont la dynamique est bien plus lente que l'activation neuronale.

A

B C

Figure 2.4 : sélectivité des neurones dans IT estimée par optical imaging et enregistrements unitaires. A, la sélectivité de population de neurones varie en fonction de la vue du visage (chaque visage correspond à une couleur, et l'activation neuronale est reportée dans le diagramme à droite).

B, activation distribuée à la surface du cortex pour divers stimulus (chaque couleur correspond à l'un des stimuli). Les stimuli sont représentés sous la carte d'activation.

C, organisation schématique de la sélectivité des neurones dans IT.

Adapté de Wang et al (1996) et Tanaka (1996).

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proches de l'environnement dans lequel évolue l'animal, les réponses des neurones sont faibles à la fois dans V1, V2, V3 (Galant et al, 1996) et IT (Baddeley et al, 1997), mais conserveraient la même sélectivité (DiCarlo et Maunsell, 2000). On peut interpréter cela en termes de contrastes locaux des objets et de compétition entre ces objets. Sans entrer dans des détails qui nous entraîneraient trop loin, la sélectivité des neurones dépend de la forme et de la surface du fond sur lequel l'objet est présenté (Missal et al, 1997). Dans une scène complexe, les réponses des neurones dans IT à un objet sont modulées par les réponses des neurones sélectifs aux autres objets dans la scène visuelle. Cette compétition pourrait être biaisée à la fois par le contraste des objets - les objets de fort contraste ayant tendance à prendre le pas sur les objets de faible contraste - et par l'attention spatiale (Chelazzi et al, 1998). Nous reviendrons sur ces propriétés dans la discussion générale.

Pour résumer les travaux présentés dans cette partie, le système visuel est avant tout organisé de façon hiérarchique. La taille des champs récepteurs des neurones augmente de V1 vers IT : de très locaux, ils finissent par englober tout le champ visuel. La sélectivité des neurones devient également de plus en plus fine, les neurones de V1 étant principalement sélectifs à des barres orientées alors que les neurones d'AIT sont sélectifs à des visages et à des objets complexes. Cependant la sélectivité des neurones dans IT a une limite et il ne semble pas exister de neurones sélectifs à un objet précis. Ce type de comportement semble être un compromis entre un codage hyper spécifique, qui ne serait pas suffisamment souple pour s'adapter à de nouveaux objets et un codage très distribué et grossier, où les interférences entre les neurones seraient trop fortes.

Cette section avait pour but d'appréhender le comportement des neurones dans le système visuel. Comme nous le verrons par la suite, de nombreux travaux s'accordent à dire que ces types de neurones sont responsables à la fois de la décision perceptive et de la perception consciente du sujet (Sheinberg et Logothetis, 1997; Logothetis, 1998). Dans le paragraphe suivant, nous allons nous intéresser à la dynamique de réponses des neurones dans le système visuel.