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Je ne souhaite pas traiter le problème des codes neuronaux qui seraient basés sur les décharges multiples d'un même neurone, la date exacte de ses décharges, les unes par rapport aux autres, encodant une partie de l'information. Des analyses de résultats expérimentaux assez convaincants ont en effet montré que l'occurrence de triplets de décharge était corrélée avec celle de doublets (Lestienne et Strehler, 1988), et pouvaient donc difficilement constituer un code neuronal. De plus, il est possible d'expliquer les intervalles de décharge, ainsi que l'occurrence de doublets et de triplets dans le LGN et dans V1, sur la seule base de la fréquence de décharge d'un neurone (Oram et al, 1999).

Je souhaite plutôt me pencher sur la synchronie des décharges qui est le code couramment accepté dans le domaine des neurosciences computationnelles. Un nombre impressionnant de résultats expérimentaux concernent la synchronisation des réponses neuronales qui interviendrait dans le regroupement à la fois des contours d'un même stimulus (Gray et al, 1989) et des différentes caractéristiques d'un stimulus comme son mouvement et son contour (Engel et al, 1991)21. L'équipe de Singer dont sont issues les deux publications précédentes est pionnière dans ce domaine et montre que si deux neurones dans des aires corticales proches ou éloignées déchargent en même temps, c'est qu'ils traitent du même objet. De nombreux modèles utilisent effectivement ces propriétés dans des réseaux de reconnaissance d'objets (Hummel et Biederman, 1992; Hummel et Stankiewicz, 1996; Opara et al, 1996).

Sans entrer dans le détail de cette théorie et de ces modèles, je souhaite indiquer pourquoi les résultats expérimentaux ne s'opposent pas à un codage par latence ou par ordre. En fait la synchronie des décharges de deux neurones n'est jamais parfaite. Il existe toujours quelques millisecondes de décalage entre ces deux décharges (Alonso et al, 1996; Engel et al, 1991;

Gray et al, 1989). Cependant, l'interprétation en termes de bruit dans la synchronisation des décharges n'est pas la seule possible. Avant les travaux de Singer, cette différence était interprétée en termes de connectivité et de distance, la synchronie diminuant avec la distance et les neurones activés tardivement recevant des entrées des neurones activés de façon précoce

21 Ces premières expériences ont été réalisées chez le chat anesthésié. Il y a cependant des raisons de croire que l'anesthésique provoque des oscillations en lui-même. Cependant certains de ces résultats ont été reproduits chez le singe vigile et sont donc plus convaincants.

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(Arnett, 1975). Une autre interprétation serait que ces faibles déviations implémentent un codage par ordre ou par latence. La déviation standard du déphasage entre deux décharges synchrones est d'environ 10 ms22 (Aiple et Krüger, 1988) et parfaitement compatible avec de tels codes.

Le codage par synchronie est également très controversé. Bien que le débat soit toujours très vif, il a été montré que les synchronisations dépendent de la fréquence de décharge (Aiple et Krüger, 1988; Ghose et Freeman, 1992). Si les auteurs s'efforcent toujours de chercher des synchronisations qui ne seraient pas liées à la fréquence de décharge des neurones, le fait est que la plupart d'entre elles le sont. A ce propos, une expérience très connue de Rielhe et al (Riehle et al, 1997), semble montrer que la synchronisation de neurones dans le cortex moteur dépendrait du comportement du singe, il s'agit pourtant d'un exemple typique d'une possible interprétation erronée des résultats expérimentaux23. Les résultats obtenus avec d'autres espèces que les primates vont également à contresens d'un codage par synchronie. Par exemple, la complexité des oscillations de décharges neuronales chez les pigeons, loin de se simplifier, augmente en présence d'un stimulus visuel (Neuenschwander et al, 1993).

L'oscillation, c'est-à-dire la synchronisation répétée, ne serait donc pas renforcée par un stimulus visuel. Chez les insectes, des oscillations sont également présentes dans différentes aires perceptives et notamment dans l'aire olfactive. La suppression de ces oscillations par des moyens artificiels n'affecte pas outre mesure la sélectivité des cellules répondant aux odeurs (MacLeod et Laurent, 1996). La synchronisation exacte des neurones ne serait donc pas obligatoirement nécessaire à la reconnaissance des stimuli.

La structure même des neurones ne semble pas en faveur d'un code par synchronie.

Comme le disent si bien Ferster et Spruston (1995), il y a encore peu de raisons de croire que les conductances dendritiques normaliseraient les EPSPs en faveur d'une détection de la synchronie des décharges afférentes.

Enfin, la synchronie semble être liée à l'inhibition et nous allons voir que, loin d'aller dans le sens d'un codage par synchronie, l'inhibition permettrait de fournir une base de temps commune pour les neurones excitateurs. Les oscillations, et par voie de conséquence dans une certaine mesure la synchronie, semblent être contrôlées par l'inhibition. Quand les cellules

22 Elle semble de plus comparable dans toutes les couches neuronales.

23 Les auteurs tentent de normaliser la synchronie par rapport à la décharge moyenne des neurones en estimant la fréquence de décharge des neurones sur une fenêtre temporelle de 50 ms. Il ne leur est donc pas possible de prendre en compte des variations transitoires plus rapides de la fréquence de décharge qui pourrait être à l'origine de la synchronie.

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inhibitrices déchargent de manière synchronisée, les cellules excitatrices sont inhibées. Du fait de l'activation périodique des cellules inhibitrices, les cellules excitatrices présentent donc, elles aussi, une activité rythmique (Chagnac-Amitai et Connors, 1989; Van Vreeswijk et al, 1994). Une suppression de l'inhibition par des moyens pharmacologiques fait disparaître ce phénomène. On peut facilement imaginer que ce type d'inhibition périodique fournirait non seulement une base temporelle au codage par latence ou par ordre, l'inhibition permettant en quelque sorte de réinitialiser une partie du système (Fukai, 1995; Hopfield, 1995; Maass et Natschläger, 1997; Ruf et Schmitt, 1997), mais également un mécanisme de désensibilisation pour le décodage de l'ordre24.

La synchronie des décharges neuronales est le code neuronal le plus couramment accepté et bien que son rôle dans le traitement visuel rapide soit à mon avis discutable, il est à mon avis plus clair dans d'autres phénomènes. La synchronisation des aires corticales pourrait intervenir par exemple dans les phénomènes de mémoire à court terme ou dans la perception consciente (Rodriguez et al, 1999; Tallon-Baudry et Bertrand, 1999).

Ce chapitre compare la plausibilité biologique du codage par rang et celle des autres codes neuronaux et je pense avoir ici démontré qu'il se sort très bien de cette épreuve. Le codage par synchronie, son pire ennemi, est sur le déclin et les expériences à ce sujet ne sont en aucun cas incompatibles avec un codage par ordre. Les bursts sont également un phénomène tout à fait compatible avec le codage par ordre. Enfin le codage par latence ou par phase, ne constitue qu'un cas particulier du codage par ordre il correspond a une absence de shunting inhibition -et c'est en ces termes que je le traiterai par la suite.

Dans le chapitre suivant, en nous basant sur les résultats obtenus avec ce premier modèle, nous allons tenter d'incorporer un mécanisme d'apprentissage. Comme je l'ai déjà indiqué, un nouveau type de plasticité synaptique, qui prend en compte la date de décharge des neurones, a été découvert récemment (Markram et al, 1997). Il nous a donc paru très intéressant de l'incorporer à notre modèle de V1 et d'étudier la dynamique d'un tel réseau.

24 Si les oscillations inhibitrices ne dépendent pas des stimuli en entrée, il y a bien décodage de l'ordre mais ce type de décodage dépend alors du contraste et de la luminance du stimulus.

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Émergence de la sélectivité à