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La matérialité de la dangerosité

Dans le document Le traitement pénal de la dangerosité (Page 193-200)

L’INSTRUMENTALISATION DE LA DANGEROSITE

Section 1. La conceptualisation de la notion de dangerosité pénale

A. La matérialité de la dangerosité

181. La matérialité de la dangerosité sera analysée par rapport à des actes, un comportement considéré comme dangereux (a), puis à travers le résultat de ces actes (b).

a. Le comportement dangereux

182. Les définitions se référant à la dangerosité sous-entendent systématiquement une simple possibilité, une éventualité1, « en mettant de plus en plus en avant, (…) l’individu dangereux comme virtualité d’actes, est-ce qu’on ne donne pas à la société des droits sur l’individu à partir de ce qu’il est (….) par nature, selon sa constitution, selon ses traits 1 Sous la définition du terme « dangereux », dans le dictionnaire Larousse, on peut lire qu’une personne

dangereuse est une personne qui « peut » nuire, qui expose à un risque, qui est susceptible d’entraîner vers quelque chose de mal, pernicieux.

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caractériels ou ses variables pathologiques ? » indiquait M. Foucault en 19811. La dangerosité ne devrait être envisagée qu’à travers des actes et non sur un simple risque potentiel, c’est la situation d’insécurité qui doit être examinée. Les critères de la responsabilité pénale ont fait place à de nouveaux critères, ceux de la dangerosité. Cependant, parfois la dangerosité peut n’être que passagère ou apparente. Le législateur semble vouloir mêler des critères objectifs et subjectifs pour une meilleure personnalisation des peines. L’article 132-24 du Code pénal, disposait2 que la juridiction pouvait fixer le régime des peines en fonction des circonstances de l'infraction (objectif) et de la personnalité de son auteur (subjectif). L’article disposait également que « la nature, le quantum et le régime des peines prononcées sont fixés de manière à concilier la protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de favoriser l'insertion ou la réinsertion du condamné et de prévenir la commission de nouvelles infractions ». Il arrive régulièrement à la jurisprudence de mettre l’accent sur ces critères mixtes, comme par exemple lorsqu’un magistrat prive sa décision de base légale au regard de l'article 132-24 du Code pénal, la Cour de cassation rappelle qu’il faut « caractériser la nécessité d'une peine d'emprisonnement sans sursis au regard tant de la gravité de l'infraction que de la personnalité de son auteur, le caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction et l'impossibilité d'ordonner une mesure d'aménagement »3 ou bien « en ne s'expliquant pas sur les renseignements de personnalité constatés par l'ordonnance du juge d'instruction »4.

183. Le comportement dangereux doit être envisagé par rapport à l’acte et non à la personnalité de son auteur5. En vertu de l’article 111-1 du Code pénal, « les infractions 1 Foucault M., L’évolution de la notion d’individu dangereux dans la psychiatrie légale, Déviance et Société

1981 ; 5, 4 : 403-422.

2 avant la loi du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions

pénales.

3 Crim. 30 oct. 2013, 12-85.842, Inédit 4 Crim. 11 juin 2013, 13-82.229, Inédit

5 Conte P., in « Les dangerosités, de la criminologie à la psychopathologie, entre justice et psychiatrie », Paris,

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pénales sont classées, suivant leur gravité » et en vertu de l’article 121-1 du Code pénal, « nul n'est responsable pénalement que de son propre fait ». La personne sera donc jugée de manière objective, elle pourra être déclarée responsable par rapport à ses actes, à la gravité de ses faits. La classification légale des infractions prend en considération « la gravité sociale des actes interdits »1. Le Code pénal a été initialement pensé comme un Code protégeant des valeurs sociales et non « un Code de l’homme criminel »2. Il est important de bien cerner ce qu’est un fait, un fait grave, un fait dangereux. Une infraction est définie généralement comme « une action ou une omission prévue par la loi »3. Un fait, provenant du latin factum, issu du verbe facere, qui signifie « faire », correspond à une action, un évènement qui se produit4, un fait juridique représentant» tout évènement susceptible de produire des effets de droits »5. Un fait se définit donc en référence à un acte, une manifestation concrète de l'activité humaine adaptée à une fin, de caractère volontaire ou involontaire6. Cette notion consiste à la réalisation d'une activité jusque-là restée potentielle selon Aristote. La réalisation d’une activité est produite par un comportement, une manière d'être, d'agir ou de réagir7. Pour ce qui est du comportement dangereux, il est fait régulièrement référence à un trouble qui renvoi à un défaut manifeste d'adaptation à la vie sociale. Les experts constatent généralement des « difficultés comportementales de nature à créer un danger tant pour la patiente que pour autrui dans la gestion de son quotidien »8. La dangerosité est alors prise en compte dans une optique de protection tant de la personne que d’autrui, elle relève une situation d’insécurité. Un comportement dangereux peut constituer une infraction de commission, qui se révèle par un comportement positif, ou bien, une infraction d’omission ; lorsqu’au contraire, le 1 Bernardini R., Droit criminel volume II, p.9

2 ibid p.36 3 ibid p.35

4 Définition Larousse « fait »

5 Lexique des termes juridiques « fait juridique » 6 Définition Larousse « acte »

7 Définition Larousse « comportement » 8 Civ 1re, 4 mai 2012, n°11-13894

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comportement incriminé est passif. Les comportements intentionnels sont considérés comme plus graves et donc sanctionnés plus sévèrement. Historiquement, l’abstention n’était pas sanctionnée car il semblait difficile d’évoquer sa matérialité et de considérer une personne passive comme dangereuse1. Par exemple, l’abus de confiance était défini comme un détournement, donc un acte positif. L’alinéa 4 de l’article 121-3 du Code pénal, issu de la loi du 10 juillet 2000, prévoit également de sanctionner les auteurs indirects, qui ont « créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter ». Le comportement dangereux s’entend donc de façon très extensive, le législateur incriminant indistinctement l’abstention et l’action. Le fait de priver une personne de nourriture au risque d’altérer gravement sa santé n’équivaut-il pas à de la violence et donc un acte positif ?2

184. Le comportement individuel n'est pas prédéterminé. Les « lois du comportement » ne font que préciser des appétences et des motivations qui sont à l'œuvre chez un sujet donné dans une situation donnée3. Le comportement, en dehors de certains troubles mentaux, résulte d’une prise de décision. Cependant, l’état dangereux a une influence non négligeable sur le contrôle des actes de l’individu concerné. Un complexe de conditions est souvent à l’origine d’un passage à l’acte. Pour déterminer l’état dangereux d’une personne, les experts distinguent, l’état dangereux dit permanent (stable) et l’état dangereux évolutif qui peut être latent et survenir brusquement, de manière temporaire, lié au contexte, ou bien qui peut correspondre à une libération de violence rapide, spontanée.

1 Dreyer E., Droit penal general, manuel, LexisNexis, 2em edition, 2012

2 Ce qui n’est pas sans rappeler l’affaire de la “séquestrée de Poitiers”, Poitiers, 20 nov. 1901, D.1902, 2, 81 note

G. Le Poittevin. L’auteur avait été acquitté bien que les juges de première instance aient essayé de l’incriminer sous l’infraction de voie de fait, car le législateur n’avait pas encore prévu le délit de non-assistance à personne en danger qui n’interviendra qu’en 1941.

3 La modification du comportement: théorie, pratique, éthique, X. Seron, J-L. Lambert, M. Van der Linden, Ed.

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Selon la définition du Professeur M. Bénézech1, la dangerosité correspondrait à un « état, situation ou action dans lesquels une personne ou un groupe de personnes font courir à autrui ou aux biens un risque important de violence, de dommage ou de destruction ». La dangerosité peut être « évolutive, transitoire ou durable, imminente parfois, fluctuant fréquemment avec le temps et les circonstances »2. Un auteur distingue ainsi cinq trajectoires criminelles pathologiques, le sujet « dangereux précoce » qui inaugure ses troubles psychiques par un acte violent ; le sujet « dangereux tardif » passant à l’acte après une longue maturation de ses troubles ; le sujet « dangereux par intermittence » dont la dangerosité suit l’évolution discontinue de la maladie ; le sujet « dangereux aigu » passant à l’acte de façon brutale et imprévisible dans un contexte qui n’est pas forcément celui d’une pathologie aiguë et le sujet « dangereux chronique » qui correspond au déséquilibre psychopathique dont la violence semble être une nécessité vitale impérieuse.

185. L’article 122-1 du Code pénal prévoit deux distinctions, d’une part, entre l’abolition et l’entrave, d’autre part, il convient d’analyser les conséquences du trouble sur le discernement indépendamment du contrôle des actes. Au regard de la classification des

infractions en lien avec un trouble mental du Professeur M. Bénézech3, on peut noter une entrave ou une abolition du contrôle de ses actes lors de certains homicides spécifiques4, tels que, par exemple, l’homicide impulsif « souvent commis en état d’ivresse avec colère pathologique lors d’un conflit, d’une frustration ou d’une crise » ; l’homicide passionnel entraîné par une « souffrance intolérable à l’origine d’un processus émotionnel et dépressif » ; l’homicide psychotique non délirant où la motivation est d’ordre intellectuel plus qu’émotionnel et le crime se produit parfois pour des « causes 1 Bénézech M. Introduction à l’étude de la dangerosité, Rapport pour les 13es rencontres nationales des services

médico-psychologiques régionaux et unités pour malades difficiles ayant pour thème ² Les dangerosités ². Centre Chaillot-Galliera, Paris, 19 nov. 2001

2 Bénézech M., Le Bihan P.et Bourgeois ML., Criminologie et psychiatrie, Encycl Méd Chir, Editions

Scientifiques et Médicales, Elsevier SAS, Paris, Psychiatrie, 37-906-A-10, 2002, p.4

3 Bénézech M. Classification des homicides volontaires et psychiatrie. Ann Méd Psychol 1996 ; 154 : 161-173 4 Bénézech M., Le Bihan P.et Bourgeois ML., Criminologie et psychiatrie, Encycl Méd Chir, Editions

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insignifiantes dans un contexte de réaction impulsive brutale échappant à tout contrôle » ; l’homicide psychotique délirant impliquant que l’auteur soit atteint d’un état émotionnel intense, d’un niveau de conscience abaissé et d’une désorganisation de la personnalité « provoquant une altération importante des rapports avec la réalité » ; l’homicide de cause organique, l’auteur agit avec une perception erronée de l’environnement parce qu’il est soit sous l’emprise d’un ou plusieurs toxiques, soit porteur d’une « pathologie somatique susceptible de provoquer des perturbations émotionnelles criminogènes ». De même, la pyromanie entrainant un incendie volontaire, infraction grave et fréquente, est considérée comme un trouble du contrôle des impulsions. L’agent est souvent sans antécédent psychiatrique ni judiciaire, ses motivations sont principalement la pulsion et l'attirance par le feu. Dans l’ouvrage Criminologie et Psychiatrie1, la première question abordée est « Comment comprendre la séquence de dangerosité ? ». Cette question est envisagée dans une première partie à travers, d’une part, la violence ; d’autre part, l'agressivité. Dans une deuxième partie, trois axes sont présentés, à savoir le crime, l’auteur et la criminogénèse. La troisième partie attrait aux préjudices et reste centrée sur les victimes alors que la quatrième et dernière partie traite de la responsabilité pénale vue et les réponses sociales. Il semble nécessaire de prendre en considération les différentes représentations sociales de la dangerosité pour mieux appréhender ce concept et y répondre de manière adaptée2. La dangerosité peut être exprimée à travers la violence et l’agressivité3, « l’anxiété pousse à l’agressivité et l’agressivité pousse à la violence »4. L’Organisation Mondiale de la Santé définit la violence comme « l’usage délibéré ou la menace d’usage délibéré de la force physique ou de la puissance contre soi-même, contre une autre personne ou contre un groupe ou une communauté, qui entraîne ou risque fort d’entraîner un traumatisme, un 1 Albernhe T., Criminologie et psychiatrie, Ellipses, Hors collection, 1997, 752 pages

2 Przygodzki-Lionet N., Entre risque objectif et risque perçu : de la nécessaire prise en considération des

représentations sociales de la dangerosité pour une optimisation de son évaluation, Revue Psychiatrie et violence, Volume 9, numéro 1, 2009

3 Le mot violence est issu du latin violentus, violentia et signifie force en référence à l’agressivité. Dictionnaire

Larousse

4 Fidelle C., La criminalité des malades mentaux, Mémoire de Master II de droit pénal et sciences pénales, 2010,

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décès, un dommage moral ou une carence »1. Le terme délibéré insiste sur le caractère déterminé de l’acte. L’état dangereux est donc transitoire. Le passage à l’acte est influencé par plusieurs facteurs, certains sont à potentiel criminogène plus élevé, mais qui ne suffisent pas, à eux seuls, à expliquer la genèse de l’acte.

186. La dangerosité pathologique ou psychiatrique serait due au risque de passage à l’acte du fait de l’existence de troubles mentaux2. Elle implique alors trois critères, à savoir l’existence de troubles mentaux avérés, un risque de passage à l’acte violent et un lien de causalité entre les troubles et l’acte. L’imminence d’un passage à l’acte et le rapport avec un trouble mental vont être analysés par les experts. L’état dangereux répond à « un complexe de conditions sous l’action desquelles il est probable qu’un individu commette un acte violent »3. Il est important de rappeler toutefois que la criminalité des malades mentaux ne représente qu’une faible proportion de la criminalité en général. Une personne atteinte de troubles mentaux est une personne avant tout en souffrance. Si le passage à l’acte n’est pas inhérent à un trouble mental, il peut être le fait d’un dysfonctionnement de la personnalité . La « dynamique de dangerosité singulière » repose sur l’impulsivité, une « impulsivité résultante » influencée par de nombreux éléments psychopathologiques sera alors propice au déclenchement du passage à l’acte4. L’état d’esprit de l’auteur au moment de l’action sera pris en compte par les experts. Pour prévenir le passage à l’acte, il est recommandé de « repérer des trajectoires criminelles pathologiques, avec des moments privilégiés de production de la violence dans le parcours

1 Rapport mondial sur la violence et la santé, Organisation mondiale de la Sante, Genève, 2002, Sous la direction

de E.G. Krug, L.L. Dahlberg, J.A. Mercy, A. Zwi et R. Lozano-Ascencio, Bibliothèque de l’OMS http://www.who.int/violence_injury_prevention/violence/world_report/fr/full_fr.pdf

2 Barbier D., « Dangerosité », dans PÉLICIER Y. (sous la direction de), Les objets de la psychiatrie.

Dictionnaire de concepts, Paris, L’Esprit du temps, 1997, p.147-151

3 Fidelle C., La criminalité des malades mentaux, Mémoire de Master II de droit pénal et sciences pénales, 2010,

sous la direction de Jean-Claude Bossard, Université Paris II, p.80

4 Senninger J.-L., « Notion de dangerosité en psychiatrie médico-légale », EMC (Elsevier Masson SA, Paris),

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de la maladie »1. Le passage à l’acte doit être envisagé dans une triangulation où l’on retrouve un sujet (l’auteur), une victime (qui subit un dommage) et une situation donnée. Le danger correspond aux conditions dans lesquelles il se réalise2.

187. Le livre IV du Code de la route envisage l’usage des voies et traite au chapitre III du titre Ier les questions liées à la vitesse. Le comportement dangereux peut être envisagé comme une vitesse inadaptée aux circonstances de la circulation, la jurisprudence ayant

tendance à spécifier que le conducteur doit mener sa voiture avec prudence3 et adapter sa

vitesse aux risques prévisibles. Une vitesse anormale peut correspondre soit à un excès soit à une réduction excessive. Par exemple, l'article R. 413-19 du Code de la route invite les automobilistes à ne pas gêner la marche normale des autres véhicules en circulant à

une vitesse anormalement réduite. L'article R. 413-17 du Code de la route rappelle que les

conditions liées à la vitesse s'entendent dans « des conditions optimales de circulation », c'est-à-dire dans « de bonnes conditions atmosphériques, trafic fluide, véhicule en bon état ». La non maîtrise de sa vitesse par le conducteur correspond à une contravention de quatrième classe. Le conducteur doit « être à même d'arrêter son véhicule devant les

obstacles se découvrant dans la limite de son champ de vision »4. L'article R. 412-6 dudit

Code précise que le conducteur doit « à tout moment, adopter un comportement prudent et respectueux envers les autres usagers des voies ouvertes à la circulation », ce qui n’est pas sans rappeler le comportement normal du bon père de famille. Dernièrement, l'utilisation du téléphone portable lors de la conduite a été évoquée à l’occasion de réponses

ministérielles5, notamment par « la surcharge mentale qu'impose une conversation

1 Senninger J.L., Les trajectoires psychopathologiques de la dangerosité, in Dangerosité et vulnérabilité en

psychocriminologie, Paris, L'Harmattan, coll. « Sciences criminelles », 2003, pages 157 et suivantes

2 CA Douai, 26 oct. 1994 (1re esp.), Bull. inf. C. cass. 1994, n° 1207 ; D. 1995, Jur. p.172, note P.Couvrat et M.

Massé

3 Cass. crim. 18 janv. 1978, JCP 1979. II. 19244 4 Cass. crim. 18 déc. 1984, Bull. crim., n°410 5 Rép.min. n°23015, JO Sénat Q 4 mai 2000, p.1596

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