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Un état dangereux évolutif

Dans le document Le traitement pénal de la dangerosité (Page 97-106)

LA DANGEROSITE, LONGTEMPS ENVISAGEE COMME UNE MALADIE A TRAITER

Section 2. L’évolution vers la notion de dangerosité pénale

B. Un état dangereux évolutif

80. L’état dangereux permanent est défini comme une modalité psychologique et morale dont le caractère est d’être antisocial3. L’évolution de l’état dangereux peut être subaigüe (habituelle), l’état dangereux s’installera généralement à l’occasion d’un litige variable (il pourra s’agir d’un conflit de voisinage, de tensions au sein du couple (infidélité), d’un litige professionnel ou d’autres encore), à l’ occasion duquel la tension anxieuse va progressivement s’accumuler et évoluer4. En revanche, lorsque l’évolution est aigüe (accélérée), le parcours peut se trouver abrégé par une libération de violence rapide, parfois quasi immédiate, notamment chez des personnalités plus ou moins pathologiques. La jurisprudence s’articule fréquemment autour des conclusions des expertises psychiatriques diligentées qui font état « d’une personnalité psychopathique et particulièrement inquiétante en terme de réadaptation, compte tenu de sa dangerosité criminologique soulignée »5. Nonobstant, les résultats d’une expertise peuvent parfois révéler des cas complexes, tels que les faux négatifs, considérés comme non dangereux

1 http://www.larousse.fr/encyclopedie/medical/subaigu/16310

2 Rapport final de recherche, réalisée avec le soutien de la Mission de recherche Droit et Justice, sur l’évaluation

transversale de la dangerosité de mars 2012, sous la direction de A. HIRSCHELMANN, Maître de conférences en Psychologie à l’Université Européenne de Bretagne – Rennes 2, page 26

3 Senninger J-L. et Fontaa V., Les unités pour malades difficiles, Broché, Ed. Heures de France, 2001, ISBN-13:

978-2853851558

4 Classiquement en trois phases : tout d’abord, la phase d’assentiment inefficace au passage à l’acte, pendant

laquelle l’individu se pose la question d’une éventuelle vengeance ; ensuite, la phase d’assentiment tacite où la personne répond à la question de la vengeance par l’affirmative ; enfin, le passage à l’acte qui peut être immédiat ou différé.

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sur le plan criminologique mais qui pourtant vont récidiver après la libération et les faux positifs, qui reflètent une dangerosité anormalement exagérée1.

81. Dans la définition de l’aliénation2, le déséquilibre mental se décompose en deux éléments, un élément actif, nommé « la poussée », provoquant des violences dangereuses et en contrepartie, un élément passif ressenti comme un relâchement entraînant un sentiment de conflit interne. Des violences dangereuses peuvent être engendrées sous l’effet de la psychose alors même que le patient est inconscient du caractère pathologique de ses troubles. Traditionnellement, plusieurs types de facteurs individuels de l’état dangereux3, qui seraient criminogènes, peuvent être distingués4. Premièrement, les personnalités dyssociales sont analysées à travers la froideur affective (insensibilité, inémotivité) ; l’égocentrisme (un défaut d’altérité qui fait que l’égoïste ne perçoit pas les autres comme des êtres humains, la personne n’existe pas) ; l’impulsivité ou la faible capacité à mentaliser les situations conflictuelles et frustrantes ce qui encourage des réponses brutales ; la mauvaise tolérance aux contraintes ; l’appétence pour les toxiques comme souffrance psychique (alcool et drogue) ; et enfin, le défaut d’intégration des interdits souvent lié à une carence d’autorité et conséquence de ceci, un sentiment de toute-puissance5. Deuxièmement, on retrouve les facteurs psychiatriques correspondant plutôt à une forme de déviance6. Par exemple, pour les délinquants sexuels et notamment 1 Landreville P., Petrunik M., Le « délinquant dangereux » dans les législations nord-américaines, in

« Dangerosité et justice pénale. Ambiguïté d'une pratique », C. Debuyst (dir.), Genève, Médecine et Hygiène, Masson, 1981, p.213.

2 Simon T.et Binet A., Définition de l'aliénation, L'année psychologique, 1910, Volume 17, Numéro 17, p.301-

350

3 Tribolet S. et Desous G. M., Droit et psychiatrie : guide pratique, Collection Réflexes (Thoiry), Éd. Heures de

France, 1995, p.189-190

4 Loudet O., Le diagnostic de l'état dangereux. Méthodologie, Actes du IIe Congrès international de

criminologie, Paris, P.U.F., VI. 1950, p.449-462

5 Morin D.-C., La force injuste de la loi, Antisociaux, Déviants et Indésirables, in « L'évolution psychiatrique »,

Volume 68, n° 4, 2003, pages 591-600 Doi : 10.1016/j.evopsy.2002.10.003

6 Le problème de l'état dangereux : Deuxième cours international de criminologie, organisé par la Société

internationale de criminologie, en liaison avec le Conseil des organisations internationales des sciences médicales et le Centre international de l'enfance, Paris, 1953, p.169 et s.

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les pédophiles, leur déviance résulte le plus souvent d’un traumatisme sexuel précoce subi dans l’enfance. Elle peut revêtir une dangerosité plus accentuée lorsqu’elle s’associe à une autre déviance sexuelle, notamment le sadisme. Elle doit être distinguée de ce que l’on appelle un aménagement pervers, c’est-à-dire une déviance pédophile inhabituelle de la libido liée à des facteurs circonstanciels et donc plus accessibles aux soins. Troisièmement, en ce qui concerne les facteurs sociologiques, ils se révèlent principalement à travers la délinquance au quotidien. Les sociologues, en particulier Durkheim, proposent plusieurs paramètres1. L’anomie qui peut être décrite comme l’effacement des normes sociales, de l’autorité comme de nature à libérer l’agressivité ; la disqualification des images parentales mal insérées au profit des mythes ambiants (Caïdat, bandit de grand chemin…) ; la dynamique psychologique de groupe avec la nécessaire appartenance à la bande (leader et suiveur) ; le rôle surajouté des addictions (alcool, drogue), non pas comme symptôme d’une souffrance psychique, mais, comme phénomène identitaire, signant l’appartenance à la bande ; l’oisiveté ambiante par déscolarisation précoce, par désinsertion professionnelle (chômage) qui encourage dans la banlieue une économie souterraine illicite (une économie de survie) ; et enfin, la ségrégation ou le défaut d’intégration sociale à l’origine de réactions collectives caractérielles et la révolte des banlieues. Il existe également des personnalités abandonniques ou limites. Il s’agit d’individus traumatisés pour avoir été dans leur prime enfance délaissés, ce qui les rend intolérant aux situations de rupture parce que celles-ci réactivent ce passé douloureux engendrant des violences massives à l’encontre de celui ou celle qui les abandonne de nouveau.

82. La notion de perversion et surtout de perversion sexuelle2 se rapproche progressivement de la notion de dangerosité, notion qui permettra de justifier une nouvelle 1 Durkheim E., Le Suicide, étude de sociologie, 1897, Ed. F. Alcan

2 Trimaille G., L’expertise médico-légale face aux perversions : instrument ou argument de la justice ?, Droit et

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fois l’intervention croissante des autorités médicales au sein de la justice1. La perversion induit souvent des perversités parfois inapparentes2. Pour le pervers, le sexe féminin n’existe pas. Le fait que la structure perverse repose sur un déni, il ne s’agit pas d’un simple déni de signification mais d’un déni de perception conjoint portant sur le sexe de la femme. La victime est placée au cœur d’un scénario violent érotisé destiné tout autant à utiliser l’objet en question qu’à s’en différencier. Le recours à la violence est parfois plus fondamental que la dimension purement sexuelle, qui peut n’exister qu’en tant que moyen de plus grande violence. Le pervers n’éprouve pas ou peu de culpabilité . La nécessité de contrôle sur sa propre existence facilite alors le recours à la violence.

83. La psychopathie est une représentation symptomatique caractérisée par une tendance forte au passage à l’acte face à la frustration, dans des conduites asociales prenant souvent une tonalité délictueuse3. Les psychopathes ne sont pas tous des délinquants, certains harmonisent leur structure psychique avec la société dans laquelle ils vivent. Cependant, ils n’expriment aucun remords sincère, ni honte après un acte de délinquance. Le mécanisme de défense que constitue la projection est pleinement opérant. Le psychopathe se vit comme victime de la société. Ce syndrome révèle, dans chacune de ses composantes, le recours possible à la violence en tant que mode relationnel. Il en résulte une existence faite de ruptures, d’inadaptations et d’échecs. De manière plus stable, le psychopathe peut réorganiser son fonctionnement psychique sur un mode pervers ou psychotique et imprimer une orientation particulière à sa dynamique de dangerosité. La violence du psychopathe n’est que rarement incohérente ou déconnectée de la réalité. Souvent elle se veut une réponse à une agression physique ou psychologique. Le psychopathe est particulièrement intolérant à la frustration et globalement à la 1 Foucault M., L’évolution de la notion « d’individu dangereux » dans la psychiatrie légale du XIXe siècle, in

« Dits et écrits », Paris : Gallimard, 1994, v. 3, p.443-464.

2 Tribolet S., Paradas C., Guide pratique de psychiatrie, Collection Réflexes, éd. Heures de France, 2000, p.169

et s.

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souffrance. Ayant vécu au cours de son enfance, de façon fantasmée ou plus souvent réelle, des carences affectives graves, son existence est dès lors jalonnée par la répétition de ces expériences. Il provoque inconsciemment et sans cesse les ruptures qui réactualisent ce qu’il a subi enfant. C’est en ce sens que le psychopathe est l’archétype de la dangerosité en tant qu’expression de la violence primitive de l’abandon. Le passage à l’acte violent du psychotique est sous-tendu par une dynamique agressive résultant du lien perverti entre la libido et la violence fondamentale originaire, car c’est la libido qui vient érotiser une pulsionnalité violente normale à l’origine. Dans la psychose, la cible de l’acte violent est souvent désignée de manière assez précise, par le biais de la projection. Ainsi le psychotique n’attaque pas seulement pour faire cesser le malaise (comme dans la dynamique limite) mais aussi pour faire taire celui qui génère le malaise et lui fait payer le prix de son attaque supposée. La plupart des actes homicides surviennent quand la projection ne permet plus de maintenir à distance la désorganisation par la désignation agressive, dans un scénario délirant d’un ou plusieurs responsables.

84. La schizophrénie correspond à une atteinte polymorphe de l’ensemble des systèmes ou fonctions psychiques, ce qui peut générer plusieurs types de passage à l’acte, en fonction de la présence ou non d’une crise1. Le fonctionnement psychotique correspond à une organisation des courants violents et libidinaux sous l’égide d’une violence pervertie en agressivité. L’agressivité du schizophrène s’exprime dans des délits dont aucun n’est spécifique à la maladie. Il peut commettre des actes violents, des agressions en toute lucidité, sans lien avec sa pathologie, dans un but purement utilitaire. Un acte peut également avoir une motivation psychologique pure, sans lien avec la schizophrénie. Il peut également conserver une parcelle de liberté dans ses actes violents, alors même que la dynamique de ceux-ci est infiltrée de ses troubles psychotiques. Enfin les actes violents peuvent émaner exclusivement du processus psychopathologique de sa maladie et les caractéristiques classique de l’acte schizophrénique s’en dégage alors facilement. Il n’a 1 ibid p.121 et s.

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pas de mobile cohérent. Le passage à l’acte paraît immotivé et incompréhensible et succède immédiatement à la prise de décision de le commettre, sans pour autant atteindre l’impulsivité du caractériel. Le schizophrène donne là l’impression de ne pouvoir résister à une force instinctive inflexible. Après l’acte, il ne se culpabilise pas, gardant son indifférence et sa froideur affective habituelles. Il conserve pourtant un souvenir exact du déroulement de l’agression. La victime est indistinctement visée, pourtant, à côté de la victime fortuite, le schizophrène agresse avec une forte propension quelqu’un de son entourage et particulièrement un proche auquel il est lié affectivement. Ce paradoxe renvoie aux caractéristiques de l’ambivalence affective primordiale du schizophrène. Trois formes distinctes d’agressions pathologiques commises par le schizophrène ont été mises en évidence : premièrement, l’agression froide et immotivée ayant les caractéristiques classiques de la violence du schizophrène ; deuxièmement, l’agression en réponse à des idées délirantes ou à des hallucinations et troisièmement, l’agression d’un proche lié affectivement aux schizophrènes.

85. Pour permettre une approche globale des malades, l'approche devrait ainsi être multiaxiale. Il est important de noter que les psychiatres de tradition française organo- dynamique, initiée par Henri Ey1, sont opposés à la vision réductrice du Manuel DSM qui tend à esquiver toute réflexion tirée d'une clinique et d'une psychopathologie élaborée2. La santé mentale relève d’un « état de complet bien-être physique, mental et social, et [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité », selon la définition établie par l’OMS. Ainsi, la santé mentale englobe la prévention des troubles mentaux, le traitement et la réadaptation des personnes atteintes de ces troubles3. La notion de 1 « On ne peut pas tenir ces énumérations (qui gagneraient à s'en tenir à un ordre alphabétique) pour le moindre

essai sérieux de classification. Il s'agit d'un "pot-pourri" inextricable de "items" en nombres presque infini, destiné, nous dit-on, à mettre de l'ordre dans les statistiques; elles constituent un labyrinthe bien plus propre à fausser les problèmes qu'à les résoudre. On ne saurait "classer" sans idée directrice du genre et des espèces » in « Manuel de psychiatrie », 6e éd.: Masson 2010, ISBN 2294711580, partie 3 in limine.

2 Coudurier J-F., À propos du DSM, Essaim 2/2005 (n°15), p.21-33. Consultable sur www.cairn.info/revue-

essaim-2005-2-page-21.htm. DOI : 10.3917/ess.015.0021.

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dangerosité est présente depuis de nombreuses années dans notre système juridique, de façon latente, à travers d’autre notion telle que la démence ou le trouble psychique ou neuropsychique. Les nombreux et complexes facteurs du trouble mental associés à des facteurs auxiliaires tels que l'abus de substances ou le stress, induisent que la dangerosité ne peut pas être considérée uniquement sous l’angle du trouble mental. Le contenu juridique de la dangerosité doit être orienté vers une dangerosité objective caractérisée et non une simple probabilité subjective.

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CONCLUSION DU CHAPITRE 1

86. Pour apprécier la dangerosité les criminologues utilisent des données provenant de sciences spécifiques. Les recommandations sur l’évaluation de la dangerosité dans l’expertise ont défini la dangerosité psychiatrique comme une « manifestation symptomatique liée à l’expression directe de la maladie mentale » et la dangerosité criminologique comme « prenant en compte l’ensemble des facteurs environnementaux et situationnels susceptibles de favoriser l’émergence du passage à l’acte ». Cette distinction complète les définitions en rajoutant que la dangerosité psychiatrique est caractérisée à travers l’état dangereux alors que la dangerosité criminologique se définit en absorbant le délinquant, la victime, l’acte et la situation1. Toute dangerosité psychiatrique appelle un internement en milieu spécialisé, ce qui a conduit à une institutionnalisation de la psychiatrie médicolégale à travers l’établissement de critères scientifiques plus ou moins précis afin d’éclairer les magistrats dans leur devoir. Pour les psychiatres2, l’état dangereux est défini en référence au danger que fait encourir la nature des troubles mentaux dont le malade est atteint, en fonction du péril qu’ils font encourir. La psychiatrie française s’est intéressée à la notion de dangerosité à travers les notions d’aliénation mentale puis de démence, ce qui a conduit à la mise en place d’un régime juridique spécifique d’enfermement axé sur l’état psychique des personnes. L’étude du comportement infractionnel a pris de plus en plus d’importance. La criminologie permet de comprendre l’enchaînement des circonstances qui ont provoqué la conduite délictueuse d’un individu. L’analyse de l’action criminelle passe essentiellement dans la connaissance des facteurs qui poussent à la criminalité. L’état mental étant complexe, l’influence de facteurs variés doit être prise en compte à travers la découverte de « formules

1 Gassin R., Criminologie, précis Dalloz, 6e éd., 2007, paragraphe 856 page 696.

2 Foucault M., L’évolution de la notion d’individu dangereux dans la psychiatrie légale, in « le dompteur face à

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d’associations différentielles spécifiques de la délinquance »1. La notion de dangerosité psychiatrique, définie par « le risque de passage à l’acte sous l’effet d’un trouble mental », montre un lien possible entre état mental pathologique et acte antisocial2. L’opposition entre dangerosité psychiatrique et criminologique ne peut être maintenue en tant que telle3, tant le champ pénal a été bouleversé. En effet, les limites aux capacités prédictives du psychiatre ne cessent d’être mises en avant4. Les facteurs générateurs de dangerosité psychiatrique sont intégrés à ceux proprement criminogènes (dangerosité criminologique)5. Les initiatives visant à doter les cliniciens d’un instrument d’aide à la décision se confrontent régulièrement dans l’opposition déclarée entre approches actuarielles et approches cliniques6. Reste à caractériser précisément cette notion pluridisciplinaire afin qu’elle devienne un outil juridique efficace.

1 Association Européenne des Jeunes Chercheurs en Psychopathologie et Psychanalyse, Article sur la

criminologie, issus de l’Encyclopédie Universalis, disponible en ligne sur le site : http://aejcpp.free.fr/articles/criminologie.htm

2 Rapport de l’académie nationale de médecine en partenariat avec le Conseil National des Compagnies

d’Experts de Justice, suite à la lecture du projet de loi à l’origine des articles 8 et 9 de la loi N° 2012-409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l’exécution des peines, sur l’évaluation de la dangerosité psychiatrique et criminologique, texte adopté le 6 nov. 2012.

3 Gravier B., Comment évaluer la dangerosité dans le cadre de l’expertise psychiatrique et quelles sont les

difficultés et les pièges de cette évaluation ?, in « L'expertise psychiatrique pénale », Colloque organisé par la Fédération française de psychiatrie, sous la direction de J-L. Senon, J-C. Pascal, G. Rossinelli, janv. 2007

4 Monahan J., Predicting violent behavior : an assessment of clinical techniques, Beverly Hills, CA : Sage 1981 5 Bénézech M., Les dangerosités, de la criminologie à la psychopathologie, entre justice et psychiatrie, Paris,

John Libbey Eurotext, 2004.

6 Litwack T. R., Actuarial versus clinical assessments of dangerousness, Psychology Public Policy, and Law

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