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L’évolution des questions posées à l’expert comme stratégie démonstrative

Dans le document Le traitement pénal de la dangerosité (Page 164-171)

LA DANGEROSITE, LONGTEMPS ENVISAGEE COMME UNE MALADIE A TRAITER

Section 2. La médecine au service de la justice pour diagnostiquer la dangerosité

B. L’évolution des questions posées à l’expert comme stratégie démonstrative

150. L’expertise de dangerosité est une expertise médicale pénale (a) conduisant à un pronostic sur la dangerosité de la personne (b).

a. De l’expertise psychiatrique à l’expertise de dangerosité

151. Le Code de procédure pénale ne donne aucune définition de l'expertise médicale. La mesure peut être confiée à un médecin, sur le fondement de l'article 156 du Code de procédure pénale. La mission confiée au médecin peut alors être vaste et variée. Aucun texte ne donne d'indication quant à la qualification du médecin devant conduire la mesure, ni quant à la mission elle-même. L'article 706-48 de ce Code se contente d’envisager une 1 Gravier B., Lamothe P., Facteurs objectifs de détermination de la responsabilité pénale, In F. Koenraadt and M.

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expertise « médico-psychologique » et l'article 706-47-1 évoque, quant à lui, une « expertise médicale » en vertu de laquelle « l'expert est interrogé sur l'opportunité d'une injonction de soins dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire », rappelant ainsi plus les compétences d'un psychiatre que d'un médecin généraliste. De même, les articles 706-115 et 720-4 alinéa 4 du Code de procédure pénale, faisant référence à une expertise réalisée par un collège de trois experts médicaux inscrits sur la liste des experts agréés près la Cour de cassation qui se prononcent sur l'état de dangerosité du condamné, ne mentionnent pas la spécialité médicale concernée. L'article 706-115 du Code de procédure pénale impose que la personne poursuivie soit soumise à une expertise médicale dont la finalité sera d'évaluer sa responsabilité pénale au moment des faits.

152. L’expertise de dangerosité repose en partie sur la psychiatrie1 mais elle devrait plutôt être nommée « expertise de responsabilité »2. L’expert participe aux décisions du pouvoir, son analyse conditionne parfois une décision politique, comme par exemple, lors d’études d’impacts élaborées dans le cadre de politique de la ville. Dès la révolution de 1789, des savants ont occupé des postes politiques, ils incarnent le triomphe de la philosophie des lumières. L’expert deviendra un auxiliaire du pouvoir. Il s’efforce de classer, hiérarchiser, distinguer la règle de l’exception ; il est amené à nommer et à qualifier, à détacher la part des faits. Il construit un « arbre des causes »3, un moyen d'analyses fines des circonstances et mettre en lumière le rapport entre l’accident et les circonstances. Les expertises visent à résoudre un litige. Le discours expert se veut être un langage de vérité qui s’exprime sur un triple registre selon la « dynamique expertale »4, un 1 L'expertise psychiatrique pénale, sous la direction de J-L. Senon, J-C. Pascal, G. Rossinelli, janv. 2007.

2 Delban°F., Livre 5-Les expertises particulières, titre 51-L'expertise médicale, chapitre 512-Expertise médicale

en matière pénale, SECTION 3-Expertise psychiatrique, paragraphe 512.33-Expertises de responsabilité, Dalloz action.

3 En 1970, l’INRS a développé la méthode de l’arbre des causes. Eude et Lesbats, Analyser les accidents,

méthode de l'arbre des causes, Université de Bordeaux, Département HSE, http://hse.iut.u- bordeaux1.fr/lesbats/H-arbre%20des%20causes/ADC.HTM

4 Villerbu L. M., Lameyre X., La co-construction expertale. Déconstruction d’une relation paradoxale, Rapport

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aspect scientifique, une dimension sociale et un langage juridique ou normatif. La sociologie de l’expertise1 s’intéresse à la professionnalisation de l’expert en ce qu’elle permet de caractériser, un groupe social, « on ne peut faire abstraction du cadre social dans lequel elle s’inscrit »2. L’expert est considéré comme celui qui peut apporter plus que le professionnel classique, en médecine il existe des conférences de consensus qui permettent de formaliser des règles. « L’évaluation de la dangerosité ne relève pas de l’expérimentation, action reproductible à loisir, sans risque pour l’expérimentateur et transmissible. Elle ne peut être que le résultat de l’expérience, acte à risque, non reproductible et intransmissible »3. Le rôle des experts a évolué, il leur est demandé d’évaluer une dangerosité le plus souvent criminologique, c’est-à-dire concernant des dimensions individuelle, situationnelle et environnementale. Or, un concept aussi incertain n’est pas réellement de leur ressort. L’expert est désormais tenu de préciser si le sujet est dangereux4, de quelle manière la société pourrait s’en protéger et quelles seraient les thérapies qui permettraient de modifier cet état dangereux et dans le meilleur des cas, le soigner.

b. Du diagnostic au pronostic

153. La notion de dangerosité mérite un examen critique approfondi car elle peut conduire à des conséquences lourdes pour la personne concernée qui sera alors stigmatisée5. L’évaluation de la dangerosité est une des missions les plus délicates qui 1 Delmas C., Sociologie politique de l’expertise, Paris, La Découverte « Repères », 2011, 128 pages

2 Quemin A., Analyse des propos de J-Y. Trépos sur « La sociologie de l'expertise », Revue française de

sociologie, 1997, vol. 38, n° 1, pp.168-169.

3 Pouget R., La dangerosité, In Criminologie et Psychiatrie, Ellipse, 1997, p.64-73.

4 « Il arrive souvent, dit M. Gall, que ces imbéciles sont très dangereux, surtout s’ils ont à un haut degré le

penchant vers le sexe et celui à tuer, de manière que la cause la plus légère mette ces penchants en action » in E.Georget, Examen médical des procès criminels suivis de quelques considérations médico-légales sur la liberté morale, Paris, 1825, 132 p.; p.112.

5 Un stigmate, mot provenant du latin stigmata signifiant marques faites au fer, se définit au sens littéraire

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puisse être confiée à un expert judiciaire en raison des potentielles conséquences individuelles et sociales de cette évaluation. Une grande confusion persiste concernant le niveau d’intervention de l’expert, on n’attend plus du médecin qu’il émette un diagnostic, qui se définit généralement comme un « acte médical permettant d'identifier la nature et la cause de l'affection dont un patient est atteint » 1, cette identification se fait par l'interprétation de signes extérieurs, mais qu’il soit capable d’établir un pronostic, qui correspond plutôt à une « prévision faite par le médecin sur l'évolution et l'aboutissement d'une maladie » 2.

154. Progressivement les questions posées à l’expert dans la phase pré-sentencielle ont évolué vers deux grands axes. D’une part, un axe rétrospectif invite l’expert à se positionner dans la période des faits pour évaluer le caractère pathologique ou non du comportement infractionnel. D’autre part, un axe prospectif invite l’expert à évaluer la dangerosité de l’individu, son accessibilité à la sanction pénale, sa curabilité, sa réadaptabilité et enfin proposer éventuellement une injonction de soins. Pour apprécier la dangerosité d’une personne, le législateur a multiplié les recours possibles aux expertises et autres constatations techniques3. Le recours à l’expertise en principe est facultatif. L’emploi du verbe pouvoir à l’article 156 de Code de procédure pénale met en exergue cette faculté. Le magistrat apprécie souverainement le recours à une mesure d'expertise4. D’autres textes confirment ce principe, comme par exemple, l'article 712-16 de ce Code relatif aux juridictions de l'application des peines, ou les articles 706-47 et 706-48 du même Code, relatifs à la procédure applicable aux infractions de nature sexuelle et de la protection des mineurs victimes. Le pouvoir du magistrat de décider de l’opportunité d’une expertise relève de son pouvoir souverain et non pas d'un pouvoir discrétionnaire. 1 Définition du diagnostic. Dictionnaire Larousse

2 Définition du pronostic. Dictionnaire Larousse

3 Coche A., Faut-il supprimer les expertises de dangerosité ?, RSC n°1, 2011, p.21

4 Crim. 25 mars 1971, n°70-90.412 et n°70-90.413, Bull. crim. n°111 ; Crim. 22 mai 1997, n°96-82.080, Bull.

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La conséquence qui en résulte est l'obligation de motivation de la décision. Toutefois, des exceptions sont prévues par le Code de procédure pénale1 et en pratique l’expertise psychiatrique est presque toujours ordonnée par le juge d’instruction dans les affaires criminelles2. La mise en évidence d’une dangerosité psychiatrique doit inciter l’expert désigné par le juge, à proposer inexorablement un internement en milieu spécialisé. Au stade de l’instruction, comme l’ordre du jugement, il appartient à la juridiction concernée de faire procéder à cet internement d’autant plus que cette mesure est associée habituellement à une irresponsabilité pénale au sens de l’alinéa 1 de l’article 122-1 du Code pénal. La mission première de l'expertise est de poser un diagnostic et non de faire un pronostic.

155. Il n’y a en France actuellement que 500 experts actifs pour environ 70 000 personnes placées sous main de justice3. L’article 730-2 du Code de procédure pénale, créé par la loi n°2011-939 du 10 août 2011, dispose en son 2°, « qu'après avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté , rendu à la suite d'une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité réalisée dans un service spécialisé chargé de l'observation des personnes détenues et assortie d'une expertise médicale ; s'il s'agit d'un crime mentionné au même article 706-53-13, cette expertise est réalisée par deux experts et se prononce sur l'opportunité, dans le cadre d'une injonction de soins, du recours à un traitement utilisant des médicaments inhibiteurs de libido, mentionné à l'article L. 3711-3 du Code de la santé publique ». L’expertise médicale vient alors en complément de l’évaluation pluridisciplinaire de dangerosité, afin d’envisager uniquement un éventuel traitement médical. Toutefois, cet article a très vite été modifié par la loi du 27 mars 2012

1 « Le juge d'instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes d'information qu'il juge utiles à la

manifestation de la vérité » en vertu de l’article 81 du C.p.p.

2 L’article 161 de ce Code précise que « le juge d'instruction, au cours de ses opérations, peut toujours, s'il

l'estime utile, se faire assister des experts ».

3 Rapport de l’académie nationale de médecine sur l’évaluation de la dangerosité psychiatrique et

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relative à l'exécution des peines 1, pour préciser que « cette expertise est réalisée soit par deux experts médecins psychiatres, soit par un expert médecin psychiatre et par un expert psychologue titulaire d'un diplôme, certificat ou titre sanctionnant une formation universitaire fondamentale et appliquée en psychopathologie », la résolution du législateur étant de favoriser une analyse globale de la personne. Cette loi est un texte composite dans lequel on retrouve diverses dispositions de l'immobilier pénitentiaire à l'amélioration de l'exécution des peines, en passant par la reconnaissance des condamnations prononcées à l'étranger2. Pour favoriser une prise en charge psychiatrique plus efficace, la loi prévoit, en son article 9, la conclusion de contrats incitatifs pour les internes ayant choisi pour spécialité la psychiatrie. On peut également constater une multiplication des cas légaux d’expertises obligatoires. L’article 720-4, relatif à la fin ou la réduction de la mesure de sûreté concernant un condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, prévoit, depuis la loi n°94-89 du 1 février 1994, qu’un collège de trois experts procède à l'expertise médicale du condamné et se prononce sur son état de dangerosité. Dans cet esprit, l'article 706-47-1 du Code de procédure pénale, créé par la loi n°2003-239 du 18 mars 2003, impose que les personnes poursuivies pour certaines infractions soient soumises, avant tout jugement au fond, à une expertise médicale. De même, la loi n°2005-1549 du 12 décembre 2005, relative au traitement de la récidive des infractions pénales, a imposé une expertise médicale pour constater ou non la dangerosité avant toute décision de placement sous surveillance électronique mobile prise dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire. L'article 706-115 du Code de procédure pénale, créé par la loi n°2007-308 du 5 mars 2007, pose également le principe selon lequel la personne poursuivie doit être soumise avant tout jugement au fond à une expertise médicale afin d'évaluer sa responsabilité pénale au moment des faits. Le caractère obligatoire de cette expertise a cependant été considérablement amoindri par les dispositions réglementaires issues du décret n°2007-

1 Loi n° 2012-409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l'exécution des peines

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1658 du 23 novembre 20071. La loi n° 2008-174 du 25 février 2008, sur la rétention de sûreté, a confirmé cette évolution. Les mesures prévues par ce texte ont rapidement été modifiées par la loi n°2010-242 du 10 mars 2010 et par celle du 5 août 20132.

156. Avec la loi du 27 mars 2012, le législateur a tenté de rendre plus fructueux le dialogue entre magistrats et médecins, l'article 5 de cette loi imposant au juge d'instruction de remettre au médecin ou au psychologue qui doit suivre la personne mise en examen une copie de l'ordonnance de placement sous contrôle judiciaire3. Les rapports des expertises réalisées pendant l'enquête ou l'instruction ou toute autre pièce utile du dossier seront également communiqués au médecin ou au psychologue, à leur demande ou à l'initiative du juge d'instruction. Il en est de même en ce qui concerne le médecin traitant et le juge de l'application des peines. En outre, le médecin suivant un condamné en milieu fermé devra délivrer au juge d'application des peines, au moins une fois par trimestre, par le biais du condamné, des attestations indiquant si le patient respecte de façon régulière le traitement proposé par le juge. A présent, il est demandé à l’expert de se prononcer, à côté des pathologies pleinement psychiatriques, sur un ensemble de catégories de troubles « de la personnalité », de l’ordre de la perversion, de la psychopathie, ou de troubles « limites », ce qui l’expose à des demandes d’évaluation et de prise en charge de ses catégories dans les dispositifs mixtes médico-judiciaires. On pense aujourd’hui pouvoir « soigner le criminel et responsabiliser le fou »4. Une fois posé le principe de recourir à une mesure d’expertise pour répondre à des questions techniques permettant d'apprécier la

1 Décr. n°2007-1658, 23 nov. 2007 relatif à la poursuite, à l'instruction et au jugement des infractions commises

par des majeurs protégés, JO 25 nov., p.19251

2 Loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d'adaptation dans le domaine de la justice en

application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France, JORF n°0181 du 6 août 2013 page 13338 texte n° 4.

3 Article 138 (10°) du C.p.p.

4 Protais C. et Moreau D., L’expertise psychiatrique entre l’évaluation de la responsabilité et de la dangerosité,

entre le médical et le judiciaire. Commentaire du texte de Samuel Lézé, Champ pénal, Vol. VI | 2009, mis en ligne le 03 mars 2009, http://champpenal.revues.org/7557 ; DOI : 10.4000/champpenal.7557

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portée d'un litige, le juge doit alors choisir le technicien auquel il confie la mission qu'il souhaite.

§II. L’expertise, une mission instructive

157. L’expertise de dangerosité est destinée à apporter eu juge des éléments d’information exclusifs de toute considération juridique, cette mesure se caractérise par la mise en œuvre de données scientifique et technique pour atteindre un objectif juridique. L’expert doit réunir certaines qualités professionnelles (A). Pour autant l’expertise est également une œuvre humaine, cette donnée permet de saisir que les opérations d’expertise ne doivent être confiées qu’à des praticiens présentant des qualités morales précises (B).

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