• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3. Radiomarquage de macro-biomolécules

3. Marquage de macro-biomolécules au fluor-18

3.2. Marquage direct

Le marquage direct, souvent appelé « late stage labeling» permet d’introduire le fluor-18 en une seule étape contrairement à la stratégie prosthétique qui nécessite au moins deux étapes, à savoir la préparation du groupe prosthétique puis sa conjugaison à la macro-biomolécule. Cette approche de marquage direct présente deux avantages majeurs :

• Gain de temps au regard de la demi vie du fluor-18,

• Simplification du procédé de radiomarquage pouvant potentiellement permettre une simplification de l’automatisation.

Dans l’approche prosthétique, la fluoration du groupe prosthétique se fait principalement sur un atome de carbone par voie nucléophile. Mais d’autres atomes peuvent être utilisés pour le radiomarquage direct de macro-biomolécules afin de former une liaison stable pour limiter le risque de défluoration. Pour répondre à ces critères, l’atome en question doit posséder dans ce cas une énergie de dissociation élevée (Bond Dissociation Energy, BDE) pour la liaison avec le fluor et une faible énergie d’activation pour effectuer la liaison dans des conditions douces (température faible, pH neutre, utilisation limitée de solvants organiques) afin de ne pas dénaturer la macro-biomolécule (Tableau 6).

Liaison BDE (kJ.mol-1)

C-F 536

Si-F 540

B-F 766

Al-F 664

Tableau 6. Constantes de dissociation des liaisons avec le fluor65,66

Les énergies d’activation pour les liaisons silicium-fluor et bore-fluor sont aussi plus faibles que celles avec le carbone; la formation de ces dernières sera donc plus facile et pourra s’effectuer dans des conditions plus douces. Le fluor, par ailleurs, forme des complexes avec certains métaux. L’aluminium est, par exemple, l’un des métaux qui forme l’une des liaisons les plus fortes avec le fluor.

Deux voies peuvent être utilisées pour le marquage direct de macro-biomolécules : la formation d’une liaison carbone-fluor (C-18F) dans des conditions spécifiques ou la formation d’une liaison non carbonée-fluor (Y-18F) en utilisant le silicium, le bore ou l’aluminium, le tout en une seule étape de synthèse.

a) Formation d’une liaison carbone-fluor

La substitution nucléophile est la méthode de radiofluoration la plus utilisée, mais les ions fluorures sont des nucléophiles faibles, ce qui demande donc des conditions réactionnelles drastiques. Ces conditions ne sont pas compatibles avec le radiomarquage direct des macro-biomolécules. Une méthode d’ouverture d’hétérocycles contraints, dont l’énergie d’activation est plus faible, a été développée afin de pallier ces problèmes. Les premiers résultats ont été décrits par le groupe d’Ametamey en 2009 en fonctionnalisant les peptides par un cycle aziridine.67 Les ions [18F]fluorures permettent ensuite, par réaction nucléophile, l’ouverture du cycle en une seule étape. L’équipe d’Ametamey a appliqué cette méthode sur deux peptides et un dérivé de thymidine permettant d’obtenir les composés radiomarqués [18F]-L26, [18F]-L27 et [18F]-L28 en utilisant des ions [18F]fluorures, du Kryptofix K222, et du Cs2CO3 dans le DMSO à 70 ou 90 °C avec des rendements radiochimiques allant de 7 à 87 % selon la fragilité plus ou moins importante du peptide (Figure 27). Cette approche, qui permet une relative modération de la température, nécessite néanmoins l’emploi de solvants organiques, ce qui n’est pas compatible avec tout type de peptides ou d’autres macro-biomolécules.

Figure 27. Méthode de marquage direct par ouverture de cycle d’aziridine

Le groupe de Schirrmacher, en 2011, se basant sur l’idée de cycles contraints a développé une approche utilisant un dérivé comprenant un époxyde.68 Un dérivé de l’octréotide a été fonctionnalisé par formation d’une oxime, avec un aldéhyde présentant un motif oxirane. Le radiomarquage direct n’a pas permis d’obtenir le composé souhaité. En revanche, l’ouverture de l’oxirane par des ions [18F]fluorures dans des conditions standards de radiofluration a permis de préparer un nouveau groupe prosthétique qui a ensuite été couplé par formation d’oxime dans une approche prosthétique classique avec un rendement global variant de 28 à 32 %.

En 2009, en substitution nucléophile aromatique, le groupe d’Ametamey a développé un dérivé benzénique, comportant deux groupements électroattracteurs, permettant d’activer le noyau aromatique afin de diminuer la température de radiofluoration à 50 °C.69 Cette approche est détaillée dans : Introduction Chapitre 2. 1.3. a.

L’approche directe, par formation de liaisons C-F, a permis de marquer plusieurs peptides, mais avec de faibles rendements, dus à la dégradation possible des peptides du fait de réactions réalisées à des températures allant de 50 à 70 °C dans des solvants organiques ou organo-aqueux. Ces conditions de radiomarquage sont encore trop drastiques (température trop élevée, solvant organique) pour permettre d’obtenir une méthode générale de radiomarquage de macro-biomolécules. D’autres méthodes de radiofluoration directes basées sur la formation de liaisons Si-F, B-F ou encore Al-F ont été développées, permettant d’obtenir des liaisons fortes formées dans des conditions douces.

b) Formation d’une liaison hétéroatome-fluor

✓ Liaison silicium-fluor

L’énergie de dissociation élevée (540 kJ.mol-1)70 et la faible énergie d’activation permettent une formation rapide de la liaison silicium-fluor. La formation de la liaison silicium-[18F]fluor a été rapportée pour la première fois en 1958 afin d’étudier le radiomarquage par échange isotopique entre des métaux fluorés et le tétrafluorure de silicium.71 Il a été démontré, par la suite, que cette liaison, réputée solide, était instable vis-à-vis de l’hydrolyse, du fait de sa forte polarisation. L’exposition de rats au [18F]fluorure de triméthylsilane (inhalation du gaz radioactif) a permis de démontrer le passage rapide du composé dans le compartiment sanguin mais également de visualiser la rapide accumulation de radioactivité dans le squelette de l’animal signe d’une hydrolyse et de libération d’ions [18F]fluorores ayant un fort tropisme pour le tissu osseux.72 Dans l’objectif d’améliorer la stabilité de tels composés, l’ajout de groupements encombrants sur le silicium a ensuite été étudié. Le groupe de Schirrmacher a développé en 2006 un nouveau concept de « silicon-fluoride acceptor » (SiFa) en synthétisant de nouveaux dérivés de silicium pour le radiomarquage au fluor-18 en ajoutant deux groupements tert-butyles, afin de stabiliser la liaison silicium-fluor dans l’eau (Figure 28).73 Le « SiFa » a ensuite été conjugué à un dérivé de l’octréotide par formation d’une oxime, puis le composé obtenu L29 a été radiomarqué par échange isotopique 19F-18F dans un mélange acétonitrile/eau 9/1 avec un rendement radiochimique moyen compris entre 55 et 65 %.

Figure 28. Radiomarquage d’un dérivé de l’octréotide par formation d’une liaison Si-18F

Cette méthode de marquage est donc intéressante mais la présence des groupements tert-butyles entraine une augmentation de la lipophilie du peptide conjugué. L’impact de cette approche sur la biodistribution de la bombésine a été notoire, entrainant notamment une importante accumulation et métabolisation dans le foie.74 Afin de pallier ce problème, de nombreux groupements hydrophiles ont été introduits tels que des chaines PEG seules75 ou combinées avec des carbohydrates.76,77 Enfin, le radiomarquage étant réalisé par échange isotopique 19F-18F, l’activité molaire reste faible du fait de l’impossibilité de séparer le précurseur du produit radioactif.

✓ Liaison bore-fluor

La liaison bore-fluor étant très stable, les aryles trifluoroborates sont couramment utilisés pour former des liaisons C-C par couplage de Suzuki et sont préparés à partir des acides ou esters boroniques correspondants en utilisant du bifluorure de potassium (KHF ).78

L’équipe de Perrin a été la première à développer une méthode de radiomarquage en une seule étape, à partir d’esters phénylboroniques, en utilisant du bi[18F]fluorure de potassium (Figure 29 A).79 Ces travaux ont permis de radiomarquer un dérivé de biotine afin d’étudier ses interactions spécifiques avec l’avidine. La réaction a été effectuée dans un milieu aqueux tamponné mais aucune information n’a permis de conclure sur la stabilité de la liaison B-[18F]F en milieu aqueux. Cette méthode ne permet pas d’obtenir des activités molaires élevées puisqu’un ajout de fluor-19 est nécessaire afin d’augmenter le taux conversion de la réaction. Des dérivés aromatiques, contenant des groupements électroattracteurs tels que des fluors en α- de l’ester boronique, ont ensuite été utilisés afin d’augmenter la déficience électronique du noyau aromatique, ce qui contribue à la stabilité du groupement trifluoroborate.80

En 2014, Perrin et al. ont développé une méthode de marquage par échange isotopique

19F-18F en utilisant un zwitterion d’ammonium méthyltrifluoroborate dans une solution tampon qui a montré une bonne stabilité in vivo (Figure 29 B).81 Des dérivés de peptides contenant le motif RGD et un dérivé de l’octréotide ont ainsi pu être radiomarqués avec des activités molaires élevées (100-150 GBq.µmol-1).

Figure 29. Radiomarquage de macro-biomolécules à partir de dérivés borylés

Ces composés, stables, pourront aussi être modifiés (avec des fonctions permettant des réactions de cycloaddition 1,3 dipolaires ou additions thiol-Michael) et être utilisés, comme groupements prosthétiques, pour un radiomarquage standard en deux temps.

✓ Complexes aluminium-fluor

Les atomes de fluor peuvent être d’excellents ligands de certains métaux et peuvent fournir des complexes très stables, comme c’est le cas par exemple avec l’ion aluminium Al3+. La stratégie repose sur une approche similaire à celle employée lors d’un marquage par coordination. Par conséquent, le composé Al[18F]F2+ est d’abord formé à partir de trichlorure d’aluminium et d’ions fluorures [18F]F- puis complexé, par un agent chélatant bifonctionnel (BFCA), préalablement conjugué à la macro-biomolécule (Figure 30).82

Figure 30. Radiomarquage par coordination du complexe Al[18F]F

L’enjeu de cette réaction est de trouver des agents chélatants qui permettront de conserver une bonne stabilité de la liaison de coordination lors d’applications in vivo. Des travaux publiés par l’équipe de McBride décrivent le radiomarquage des peptides IMP 272 et IMP 449 fonctionnalisés avec deux agents chélatants différents DTPA et NOTA (Figure 31).83

Par la suite, l’équipe de McBride a testé deux autres agents chélatants, le NODA-MPAA et le c-NETA.84 Le composé c-NETA a permis d’obtenir les meilleurs rendements (87 %) à pH 4 à 100 °C en 30 minutes de réaction. Le radiomarquage de macro-biomolécules sensibles, peut aussi être effectué en deux temps, avec la coordination du [18F]fluorure d’aluminium par l’agent chélatant en premier lieu, puis la conjugaison à la macro-biomolécule, afin d’éviter sa dénaturation, selon une approche prosthétique.

Figure 31. Agents chélatants utilisés pour l'introduction du complexe Al[18F]F sur la macro-biomolécule

Cette méthode a été appliquée au radiomarquage d’un dérivé du PSMA, pour l’imagerie du cancer de la prostate, en utilisant le chélatant HBED (Figure 32). La stabilité du complexe HBED-Al[18F]F2+ a par ailleurs été démontrée in vitro.85 La radiofluoration a été réalisée à 35 °C en 15 minutes, incluant la purification via SPE (solid-phase extraction). Le Al[18 F]PSMA-HBED est actuellement utilisé pour des applications précliniques.

Cette dernière application avec un radiomarquage effectué à une température peu élevée (35 °C) permet de conclure sur l’intérêt de cette méthode de marquage direct de macro-biomolécules, bien que pour certains radiomarquages, les conditions de réaction restent encore drastiques.