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CHAPITRE 3 – LES FEMMES ET LEURS STATUTS EN INDE : IMPACT SUR LA

3.1 Les modèles de parenté en Inde et le statut de la femme selon les cycles de vie

3.1.2 Mariage et résidence maritale

Contrairement à l’image que l’on a en Occident du mariage, en Asie du Sud, il ne signifie pas l’union de deux individus, mais plutôt celle de deux familles. Bien que les « love marriages »

35 Par exemple, chez les Nayars du Kerala pratiquant la matrilocalité, c’est la fille, à condition qu’elle demeure dans la maison familiale, qui hérite de la propriété de ses parents (Gough 1959), alors que chez les Khasi du Meghalaya, c’est la cadette qui hérite de la plus importante part de la propriété ancestrale ainsi que de la responsabilité de ses parents (Nongbri 1988).

36 Le Dowry Probihition Act, 1961 interdit le don et l’acceptation d’une dot.

37 La dot a parfois été décrite comme un cadeau, une compensation pour la belle-famille pour le fardeau que la nouvelle épouse représente ou comme le stridhan qui représente dans le Dharmashastra l’héritage pré-mortem de la fille, reflétant son droit à la propriété familiale (Narayan 1997).

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existent, la majorité des unions sont encore des mariages arrangés, non seulement en milieu rural, mais aussi en milieu urbain (Grover 2011; 2017). D’une grande importance religieuse et sociale, le mariage est l’évènement le plus important dans la vie d’une femme, car c’est à travers lui qu’elle obtient un statut et une sécurité sociale.

La distance entre le lieu où la femme vit et celui où vit sa famille d’origine a un impact important sur ses conditions de vie (Agarwal 1994). Dans le nord-ouest de l’Inde, les femmes se marient en dehors de leur village natal et souvent à une grande distance de celui-ci. L’endogamie de village, où les deux parties s’unissent au sein de leur village, est interdite dans cette région chez toutes les castes, mais plus fortement chez les hautes castes (Agarwal 1994, 328). Cependant, dans le sud et dans le nord-est, il y a une préférence marquée pour les mariages à l’intérieur du village ou dans un village à proximité et l’endogamie de village n’est pas condamnée (Dumont 1975 ; Daniel 1987). Dans les communautés du nord-est telles que chez les Khasi, une société matrilinéaire, c’est le mari qui va vivre avec la famille de sa femme et non l’inverse (Nongbri 1988 ; 2000). Dans les régions centrales de l’est et de l’ouest, comme dans l’état du Maharashtra, les pratiques concernant la résidence post-maritale sont mélangées. Les basses castes autorisent généralement l’endogamie de village, alors que les hautes castes l’interdisent (Agarwal 1994). Ainsi, en dehors des régions du sud et du nord-est, les femmes en Inde se déplacent généralement vers d’autres villages pour se marier. Ils sont parfois à proximité, mais souvent, surtout dans le nord-ouest, ils sont éloignés38 (Agarwal 1994, 331). De plus, avec les changements économiques des dernières décennies, la résidence néolocale, nouveau type de résidence post-maritale, se développe en milieu urbain auprès des jeunes femmes professionnelles et éduquées (Vatuk 1972 : Chakrabortty 2002 ; Grover 2011). En effet, la migration économique vers les villes a modifié les pratiques traditionnelles concernant l’établissement de la résidence maritale.

Le mariage peut représenter une rupture émotionnelle importante pour la femme. Le transfert de résidence, comme le souligne Neera Desai, peut être vécu comme une expérience émotionnelle forte par la nouvelle épouse (2001). Dans les régions où les femmes sont mariées

à des inconnus à de plus grandes distances39, elles se retrouvent dans une certaine situation d’insécurité et de vulnérabilité puisqu’elles ne peuvent pas bénéficier du soutien de leur famille (Agarwal 1994). En plus d’être déracinées de leur famille māykā, elles se marient traditionnellement en bas âge40 afin d’être plus facilement assimilées à leur nouvelle famille

sasurāl41 et de transmettre les connaissances et traditions de leur famille affinale à leurs enfants (Desai et Khrisnaraj 1987).

Toutefois, ce ne sont pas toutes les femmes qui se marient à une grande distance de leur famille d’origine. Dans le sud et le nord-est de l’Inde ainsi qu’au Sri Lanka où la femme se marie généralement à l’intérieur de sa communauté, le mariage la place dans une moins grande situation de vulnérabilité qu’au nord. La formation d’alliances de proximité encourage les contacts constants entre les familles de l’époux et de l’épouse (Agarwal 1994 ; Daniel 1987). Mariée au sein de sa parenté, la femme peut plus facilement réclamer de l’aide (Agarwal 1994). Elle peut, par exemple, compter sur l’aide de ses parents en cas de conflits avec son mari. Le contexte urbain favorise aussi cette proximité entre les familles. Par exemple, dans son ethnographie sur le mariage dans le quartier de Mohini Nagar à Delhi, Malini Grover constate que malgré le fait qu’on se retrouve dans un contexte patrilinéaire et patrilocal, les femmes ne sont pas complètement isolées de leur famille natale, mais plutôt le contraire puisque la plupart de ses répondantes visitent fréquemment leur famille natale (2011). Elle explique ce constat par le fait que les familles urbaines préfèrent marier leurs filles en ville comme celles-ci ne connaissent pas la vie rurale. Reproduisant à plus petite

39 Dans son ethnographie sur la communauté patriarcale et virilocale des Pandits du Cachemire, T. N. Madan observe qu’alors que les familles préfèrent donner leurs filles dans des villages à proximité du leur, elles préfèrent toutefois une belle-fille qui vient d’un village lointain pour éviter les interférences de la famille de la nouvelle épouse (1965, 97). De plus, la coutume du kanyadan interdit aux parents et frères plus âgés de la nouvelle d’épouse d’accepter quoi que ce soit de la maison de la belle-famille et limite les visites aux occasions spéciales et à certains rituels isolant davantage la femme (Madan 1965).

40 Selon les chiffres du dernier recensement de 2011, l’âge médian est de 20,8, faible augmentation par rapport à 2001 (20 ans). On constate une croissance importante au niveau de l’âge moyen des femmes lors du mariage passant de 13 ans en 1901 à 20 ans en 2001(IIPS 2016, 5). Cependant, la pression pour se marier jeune continue dans la société indienne. Cette étude du IIPS l’explique notamment par la hausse de la pratique de la dot ainsi que le peu d’amélioration au niveau du statut socio-économique des femmes, car bien que le niveau d’alphabétisme ait augmenté chez les femmes, le niveau d’éducation et la participation économique des femmes demeurent bas. Ainsi, se marier tôt demeure une option intéressante pour assurer la sécurité économique (IIPS 2016, 16).

41 Le terme sasurāl fait référence à la famille du mari. Il s’oppose au terme māykā qui fait référence à la famille natale.

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échelle cette pratique de l’exogamie de village, ils tentent, par exemple, de marier leurs filles à des familles qui ne vivent pas dans le même quartier qu’eux (Grover 2011).