• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 4 – LE MOUVEMENT DES FEMMES ET LA LUTTE POUR L’ACCÈS À

4.1 De 1970 à aujourd’hui : le mouvement des femmes et les réformes civiles et

4.1.4 Le Protection of Women from Domestic Violence Act, 2005

Face au faible nombre de femmes qui porte plainte pour violence domestique sous la section 498A du Indian Penal Code, à l’absence de protections spécifiques en droit civil sur la question et aux importants délais du système judiciaire indien, les organisations issues du mouvement des femmes s’engagent dans les années 1990 dans une nouvelle lutte juridique. À la suite d’une mobilisation intensive et d’un lobbying actif, entre en vigueur en 2006 une loi qui a pour objectif d’offrir une protection immédiate et un accès rapide à la justice aux femmes en situation de violence domestique, soit le Protection of Women from Domestic

Violence Act (PWDVA), 2005.

Cette réforme est non seulement le résultat d’un activisme du mouvement des femmes en Inde, mais également le résultat d’importants développements en droit international du droit des femmes dans les années 1990. En effet, dans la Recommandation générale no. 19 sur la

violence envers les femmes de 1993, le Comité sur l’élimination de la discrimination à l’égard

des femmes (Comité CÉDEF) reconnait la violence contre les femmes comme une forme de discrimination au sens de l’article 8 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de

discrimination à l’égard des femmes et demande aux États de permettre un accès réel aux

protections civiles et criminelles pour les victimes (Comité CÉDEF 1993). L’État indien, qui a ratifié cette convention à la suite des pressions du mouvement des femmes, met donc sur pied la National Commission for Women (NCW) pour rédiger cette nouvelle loi sur la violence domestique (Jaising 2014).

Pour la première fois, les organisations du mouvement des femmes sont directement impliquées dans le processus législatif. En effet, la NCW mandate, peu de temps après sa création, l’ONG Lawyers Collective Women’s Rights Initiative (LCWRI)65 pour rédiger la nouvelle loi sur la violence domestique (Jaising, 2014). Les chercheuses féministes Gopika Solanki et Geetanjali Gangoli indiquent qu’elle est en partie le résultat d’une approche

65 Le Lawyers Collective (LC) est un regroupement d’avocats engagés dans la promotion et la protection des droits humains qui offre une expertise légale aux groupes marginalisés, tels que les minorités sexuelles (femmes et LGBT), les enfants et les groupes socio-économiquement défavorisés. Fondé en 1981 par Indira Jaising et Anand Grover, le LC a un poids important dans les développements législatifs (Hoeltgen 2009, 117).

98

ascendante (« bottom-up ») utilisant cette loi pour institutionnaliser les expériences de « counselling » des activistes (2016, 53). En effet, les consultations ont permis d’impliquer directement plusieurs organisations du mouvement des femmes dans la rédaction de la loi. Par exemple, comme l’indiquent les travailleuses sociales de la Cellule d’aide et de soutien pour femmes, l’idée des Protection Officers, émerge de l’expérience des activistes de leur organisation. Ces derniers ont pour mandat est de faciliter la liaison entre les femmes et le système juridique et de les assister dans leurs démarches juridiques, médicales et sociales,

Or, cette loi est en partie une vernacularisation du droit international. Fondée sur le modèle du

Plan de loi type des Nations Unies sur la violence dans les relations familiales et interpersonnelles ainsi que sur la Déclaration des Nations Unies pour l’élimination de la violence contre les femmes, cette loi est la première en Inde à reconnaitre la violence

domestique comme une violation des droits humains (Nandy 2013). Construite sur la définition de la violence domestique des Nations unies, celle du PWDVA la comprend comme étant non seulement de nature physique et psychologique, mais aussi de nature émotionnelle, sexuelle et économique. Elle est plus complète que celle du Indian Penal Code qui limite sa définition aux formes physique et psychologique. Cette loi étend également la protection de la violence domestique à l’ensemble des femmes vivant dans la maisonnée, reconnaissant ainsi que ce type de violence, dans le contexte familial indien, dépasse la relation maritale. Toute femme peut ainsi approcher la cour et, ce même si elle n’est pas mariée, même si son mariage n’est pas formellement reconnu66 ou même si elle a obtenu le divorce (Agnes 2011). Dans le but d’accélérer le processus juridique, les cas présentés sous cette loi sont jugés par la Cour magistrale, mais peuvent aussi être entendus par la Cour familiale lorsque les délais sont trop longs dans les premières cours (Jaising 2014).

Parmi les protections auxquelles les survivantes ont droit, on retrouve l’ordonnance de protection qui empêche l’auteur de la violence de pénétrer dans les lieux où vit celle qui a demandé la protection du PWDVA. Les femmes peuvent demander une compensation

66 En Inde, encore aujourd’hui, rares sont les mariages qui sont enregistrés à l’état civil. Ce faisant, ne reconnaitre le droit à la protection contre la violence domestique aux femmes mariées auraient laissé la majorité des femmes sans protection juridique (Jaising 2014).

financière pour leurs besoins de base et une pension alimentaire pour elles et pour leurs enfants. Elles peuvent également demander une ordonnance de garde des enfants et une restriction sur les droits de visite de l’auteur de la violence. La Cour peut aussi ordonner que la propriété de la femme lui revienne et qu’une compensation financière lui soit versée en raison de la cruauté mentale et physique à laquelle elle a été exposée. De plus, une ordonnance pour reconnaitre le droit à la résidence peut être demandée, ce qui protège la femme contre une éviction éventuelle même si cette dernière ne possède pas de titre de propriété sur la maison. Se faire jeter hors de la maison conjugale est une crainte pour de nombreuses femmes vivant de la violence. Ce faisant, selon Malini, cette protection est l’un des aspects les plus importants, sinon le plus important, de cette loi, car bien qu’elle ne crée pas de droit substantif sur la propriété, elle offre une protection contre la dépossession. Or, aucune des protections reconnues sous le PWDVA n’est permanente.

De plus, comme le constatent l’ensemble des rapports Staying Alive du Lawyers Collective et certaines des professionnelles interrogées, le nombre de Protection Officers nommés pour mettre en place la loi demeure insuffisant, car le financement gouvernemental est n’est pas à la hauteur des besoins. De ce fait, comme la loi autorise les organisations gouvernementales et non gouvernementales à s’enregistrer sous le PWDVA et à offrir de tels services aux femmes, c’est surtout à travers elles que les femmes accèdent aux protections (Malini et Priya; Abeyratne et Jain 2012). La prochaine section s’intéresse donc au réseau de services que le mouvement des femmes a su développer pour répondre à la question de la violence domestique.

4.2 Le mouvement féministe de Mumbai et la construction d’un réseau de