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CHAPITRE 4 – LE MOUVEMENT DES FEMMES ET LA LUTTE POUR L’ACCÈS À

4.2 Le mouvement féministe de Mumbai et la construction d’un réseau de services pour

4.2.1 Les débuts de l’intervention féministe

Dans les années 1970-80, des organisations du mouvement des femmes tentent d’intervenir auprès des femmes dans l’informalité afin de respecter leurs valeurs et leurs idéaux féministes. Dans ce cadre, elles cherchent à créer un espace où le patriarcat est absent, un espace où les femmes peuvent déconstruire entre elles leurs expériences de violence (Gangoli 2007). La création des premiers centres de services féministes dans les années 1980 est vue par leurs fondatrices comme une forme d’activisme politique. Ces centres répondent au message que le mouvement féministe lance au même moment aux femmes, soit de s’élever contre la violence qui se produit à l’intérieur des quatre murs de la maison (Rege et Chandrasekhar 2013).

Les activistes désirent, en travaillant directement avec les principales concernées, changer leur compréhension de la violence. Elles croient, comme l’expliquent Vibuthi Patel et Radhika Khajuria, qui ont participé à la formation de ces centres, que les questions concernant les femmes doivent être traitées sur une base quotidienne et que le pouvoir patriarcal doit être remis en question tant dans la sphère personnelle et que politique (2016). Autrement dit, leur travail d’intervention est perçu en quelque sorte comme une forme de militantisme féministe

67 Les services de counselling ou de conseils sont des services qui combinent des services d’aide psychologique et d’aide sociale et qui peuvent aussi inclure d’autres services comme des services de formation, des conseils juridiques ainsi que la connexion des femmes en situation de violence domestique à des services médicaux, à des refuges et à des avocats.

puisqu’elles travaillent à atteindre des rapports de genre plus égalitaires au sein du mariage et de la famille.

L’une des organisations pionnières de ce mouvement est le Women’s Centre68. Elle est la première organisation à Mumbai à offrir des infrastructures, incluant un refuge, et des services féministes aux survivantes de violence domestique (Gupte 2013). Ce centre est fondé par des membres du Forum against the Oppression of Women (FAOW)69. Les membres du Women’s Centre identifient leur organisation comme une « supra-communauté » où les femmes peuvent se réunir à l’abri du « monde patriarcal et oppressant », et travaillent principalement auprès des survivantes de la violence domestique (Gangoli 2007). D’autres organisations similaires font leur apparition lors de cette période dans d’autres grandes villes indiennes70. Par exemple, l’organisation pour laquelle œuvre Manisha, est mise sur pied à Pune et offre principalement des services s’adressant aux femmes « marginalisées ou victimisées » en raison de la violence domestique ou autres abus vécus dans la sphère familiale.

Leurs interventions auprès de ces femmes consistent à offrir un appui individuel, social, psychologique et juridique. Toutefois, il n’existe pas à cette époque de méthode d’intervention définie. C’est ce qu’indique le FAOW dans un rapport publié en 1990 :

Aucune de celles d’entre nous impliquées dans le Centre n’avait de formation professionnelle en travail social ni en « counselling », elles étaient plutôt des activistes du mouvement des femmes. Quelques-unes avaient elles-mêmes vécu de la violence domestique dans leur vie et voulaient partager leur expérience aux autres femmes qui étaient dans des situations similaires (FAOW 1990, 4).

68 Après plusieurs tentatives infructueuses de prise de rendez-vous avec la direction, je n’ai pas réussi à rencontrer les femmes qui y travaillent.

69 Le Forum against the Oppression of Women (FAOW) est une organisation féministe de Mumbai qui regroupe d’éminentes activistes féministes indiennes. Il permet d’ouvrir une discussion dans l’espace public et médiatique sur la question de la violence contre les femmes. Par exemple, en 1980, il organise le Forum against Rape qui protestait contre la décision de la Cour suprême dans l’affaire Matura.

70 En effet, à cette époque, d’autres organisations similaires voient le jour en Inde dans les années 1980. Par exemple, fondées au début des années 1980, Vimochana, à Bangalore, au Karnataka, et le Ahmedabad Women’s Action Group, à Ahmedabad, au Gujarat, offrent des services de conseil à ces femmes dans une perspective féministe. Saheli et Jagori, à Delhi, intervenaient sur des cas de violence domestique. Si Jagori a continué ce travail; Saheli a changé de stratégie et s’est tourné vers un activisme politique dans les années 1990 (Rege et Chandrasekhar 2013).

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De ce fait, dans les premières décennies de la mobilisation des groupes de femmes contre la violence domestique, les activistes ne sont pas outillées pour conseiller les femmes (Gupte 2013). C’est à donc travers leurs essais et erreurs, mais surtout leurs échanges qu’elles ont petit à petit mis sur pied des outils et des méthodes d’intervention féministes (Gupte 2013).

Rejetant les structures autoritaires et hiérarchiques présentes dans la famille et dans la société, ces organisations prennent leurs décisions de façon collective et en écoutant les positions de chacune des membres (Patel et Khajuria 2016). Au départ, ces centres fonctionnaient essentiellement sur une base informelle et volontaire. Par exemple, comme le raconte l’une des répondantes qui connaît très bien les membres du FAOW, ces dernières organisent des rencontres dans les appartements des membres ou des sympathisantes. Elle raconte que celles- ci avaient peu de ressources : « elles sont parties de presque rien. Elles prenaient de leur propre temps personnel pour développer et pour faire fonctionner le centre. ». En raison de leur allégeance au féminisme, elles considéraient également comme important de maintenir leur indépendance face aux institutions étatiques (Patel et Khajuria 2016). D’ailleurs, elles n’avaient pas réellement le choix, car, dans les années 1980, il n’existait pas de financement spécifique pour les centres de services qui travaillaient sur la violence faite aux femmes (Gupte 2013).

4.2.2 Des années 1990 à aujourd’hui : l’institutionnalisation et la professionnalisation de