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CHAPITRE 3 – LES FEMMES ET LEURS STATUTS EN INDE : IMPACT SUR LA

3.1 Les modèles de parenté en Inde et le statut de la femme selon les cycles de vie

3.1.3 Le statut de la femme dans la belle-famille

La position de la nouvelle épouse dans la belle-famille dépend de celle de son mari. Ce faisant, si son mari est le frère ainé, elle jouit d’une meilleure position dans la hiérarchie de la maisonnée que ses belles-sœurs (Wiser 2001). Son statut dans sa belle-famille n’est toutefois pas statique et change avec le temps. En effet, son statut change lorsqu’elle met au monde un enfant, d’autant plus si cet enfant est un garçon. Avec le temps, après avoir été mère, elle devient elle aussi à son tour la belle-mère et obtient davantage de pouvoir et d’autorité sur la maisonnée puisque ce sont les femmes plus âgées qui ont le plus d’influence sur les décisions familiales. Or, si elle devient veuve, elle risque de perdre une partie de son pouvoir et de son influence associée à son statut d’épouse et de femme plus âgée de la famille, car c’est à travers le mariage qu’elle a obtenu ce statut et ces protections (Ahmed-Ghosh 2004). Sans son mari, elle se retrouve dans une situation précaire42. D’autres facteurs, comme la caste, le statut économique et l’idéologie patriarcale, ou leur combinaison ont aussi un impact sur l’expérience du veuvage (Kolenda 1987 dans Bates 2013).

Selon le modèle d’héritage patrilinéaire d’exogamie de village et de résidence virilocale du nord de l’Inde, les nouvelles épouses sont souvent vues comme des étrangères dans la maison de leur mari (Desai 2001). Les premières années du mariage peuvent être ardues pour la nouvelle épouse. En plus de devoir s’acclimater à un nouvel environnement, à de nouvelles normes et à son nouveau statut dans la hiérarchie, un important fardeau de tâches lui est également imposé43. De plus, il est aussi attendu de la belle-fille qu’elle ne parle pas et ne

42 Par exemple, si la veuve est jeune et que ses enfants sont en bas âge, elle risque d’avoir plus de difficulté à réclamer ses droits de propriété dans un système d’héritage patrilinéaire (Chen 1998). Cependant, les veuves âgées avec des fils adultes ont plus de facilité à maintenir leur pouvoir sur la propriété et la famille si elles sont soutenues par ceux-ci (Madan 1965 ; Chen 1998).

43 Par exemple, comme le souligne Madan, il est attendu de la belle-fille qu’elle soit effacée, travaillante, respectueuse, obéissante, et qu’elle se conforme au code de l’étiquette : elle est la première à se lever le matin, ne

regarde pas directement les membres masculins de sa famille et qu’elle garde une certaine distance avec son mari lorsque les autres membres de la famille sont présents (Madan 1965 ; Wadley 1994). Les relations avec les membres de sa nouvelle famille peuvent être tendues et faire naître des conflits. Par exemple, la relation belle-mère/belle-fille est souvent présentée comme conflictuelle dans la littérature ethnographique sur l’Inde du Nord où la belle-mère, en position de domination, cherche à instituer, et parfois de façon violente, son autorité sur sa belle-fille (Madan 1965 ; Wadley 1994 ; Vera-Sanso 1999). Cependant, toutes les dyades belle-mère/belle-fille ne sont pas nécessairement conflictuelles.

Après le mariage, la fille conserve des liens avec sa famille natale. Elle développe un lien émotionnel fort avec ses parents. Lors des premières années du mariage en particulier, la maison de ses parents devient un lieu de refuge où elle est écoutée et soutenue (Madan 1965 ; Wadley 1994 ; Grover 2011). En ce qui concerne la relation avec les autres membres de sa parenté biologique, la femme conserve souvent une relation avec ses frères, relation qui lui permet de maintenir un lien avec sa famille d’origine (Bates 2013, 125) et qui agit aussi comme un réseau de soutien (Sinha-Kerkhoff 2003, 433). Ce lien se maintient, notamment, par des festivals et rituels44.

Selon le modèle du nord de l’Inde, la mobilité des femmes est contrôlée et limitée. Dans leurs ethnographies respectives sur Karimpur, un village du nord de l’Inde, Charlotte Wiser (2001 [1963]) et Susan Wadley (1994) observent que la majorité des femmes suivent les prescriptions du purdah45, une pratique qui impose des contraintes sur le corps et le pouvoir

d’action des femmes en limitant leur mobilité et la possibilité d’interaction avec les hommes (Wadley 1994). La pratique stricte du purdah est souvent limitée aux hautes castes où le

se couche pas avant qu’on le lui autorise et mange seulement après que tous les membres de la maisonnée ont mangé (1965, 115).

44 La fête de Raksha bandhan est une fête hindoue qui célèbre le lien entre le frère et la sœur. Elle est célébrée en Asie du Sud lors du mois de shravan, soit en juillet-août. Lors de cette célébration, la sœur noue un cordon ou bracelet, appelé rakhi, au poignet de son frère pour lui demander sa protection. En échange de l’amour de sa sœur, il lui promet de la protéger en toutes circonstances (Wadley 1994).

45 Elle demande aux femmes mariées de se couvrir la tête et le visage lorsqu’elles sortent de la maison familiale ou lorsqu’elles sont en présence de parents masculins à l’intérieur de la maisonnée (Agarwal 1996, 383).

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travail des femmes n’est pas nécessaire à la survie de la maisonnée46. Ce contrôle strict sur la mobilité et sur la possibilité de participation économique des femmes influe sur leur pouvoir de négociation au sein de la maisonnée (Agarwal 1994). Cette pratique associée au nord-ouest de l’Inde est inexistante dans le sud et le nord-est du pays facilitant la mobilité des femmes de ces régions qui participent d’ailleurs davantage à l’économie (Bates 2013), alors qu’elle connait un certain recul dans le nord-ouest en raison de l’urbanisation et de l’éducation des filles (Grover 2017).

Si dans la prochaine sous-section, je mets principalement de l’avant les inconvénients du modèle familial dominant de la « joint family » sur la dénonciation de la violence domestique, je crois qu’il est important de mentionner que la littérature ethnographique sur la question lui reconnaît certains avantages pour les femmes y compris en matière du partage de ressources économiques et du réseau de soutien qu’il représente (Wadley 1994; Uberoi 2005).

3.2 Dénoncer (ou ne pas dénoncer) : impacts des normes de parenté sur la