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Chapitre I. Les matrices historiques et spatiales de 1962 à nos jours

A. Le manque de vision commune entre les usagers de l’eau pour une « mise en

La mise en œuvre d’une gestion intégrée de l’eau dépend selon le cadre juridique actuel de la bonne volonté de l’ensemble des usagers disposant de titre d’appropriation de l’eau à l’échelle du bassin, dont font partis les organisations des usagers de l’eau. L’organisation spontanée de ces derniers - les agriculteurs en tant que asociación de

canalistas, les entreprises sanitaires privées et les dirigeants des comités d’eau potable -

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l’eau à l’échelle du bassin et donc une prise de conscience de la nécessité de créer des règles en commun pour protéger les ressources hydriques (Dourojeanni 2002). Or, dans le bassin de Chicureo nous observons une absence de coordination entre les différents usagers qui font face à un problème commun. Pourtant, au vu de la surexploitation de l’aquifère, les usagers devraient théoriquement, selon le code de l’eau, former de manière spontanée une comunidad de agua. Les différentes perceptions du problème de l’eau et des solutions envisagées par les usagers peuvent expliquer l’absence d’une « mise en territoire » de la gestion commune de l’eau à l’échelle du bassin (Velut 2008).

Les agriculteurs considèrent que le problème vient du fait que « toda el agua se pierde en el mar»176. Pour faire face à cette situation l’État devrait construire plus de barrages et de réservoirs d’eau. La déforestation est également perçue comme la cause de la baisse du processus d’évapotranspiration et d’infiltration des eaux. À cela s’ajoute ensuite la surexploitation « des sociétés immobilières » 177qui détruisent la qualité du sol et perturbent le cycle de l’eau. L’État est critiqué pour son absence d’intervention et pour permettre la construction de ces nouveaux lotissements. Les agriculteurs considèrent l’annonce de la contamination du canal del Carmen comme une manipulation et adoptent une attitude résignée face à cette situation.

«Y fuera de eso, vino todo una campaña de autodestrucción! Rastreaban, ósea fue terrorismo económico para que la gente… Y se vende toda la cuenca de Chicureo! Ósea ahí se!... Porque a ver, claro, a lo mejor somos ingenuos, pero puedes creer que de la noche de la mañana iban a hacer un proyecto de esta magnitud?!! Si no tuvieran todo planeado?! »178

« Si pero esa fue una estrategia que usan! Si claro son estrategias para que la gente vendiera las parcelas! Allí hubo un manejo si porque aquí en este sector que había agua de riego había un clorador en el canal, y ese clorador de un repente lo sacaron lo sacaron! Y de allí empiezan los comentarios de que haya contaminación en algún lugar y entonces lo retiraron y empezaron a llegar los compradores al tiro ! Entonces era de deducir que ya esto estaba medio preparado. Lógicamente, los que

176 Traduction: « toute l’eau se perd dans la mer » ; Source: entretien de Arturo Guerrero, habitant du

secteur Hermanos Carrera, né à la vallée de Chicureo, il est l’un des cinq derniers agriculteurs du bassin de Chicureo, son père est le dernier membre de la coopérative agricole qui avait été fondée dans le Fundo el Alba.

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Il s’agit du terme employé par les habitants interrogés.

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estaban en conocimiento de lo que venía tenían que aprovechar la el.. el la parte comercial de sacar la mayor utilidad. »179

Pour les dirigeants et membres des comités d’eau potable, le principal problème est la sécheresse. Ce phénomène climatique cyclique a toujours existé dans le secteur de Chicureo mais le problème aujourd’hui est l’insuffisance de moyens pour y faire face. Si les membres sont conscients que l’une des causes du manque d’eau est la surexploitation, ils ne s’érigent pas contre « les sociétés immobilières » puisqu’ils disposent eux-mêmes de puits individuels :

« En el fondo nosotros mismos somos los culpables de esto ! »180

Ils considèrent que les problèmes et les solutions se trouvent entre les mains de l’État. La Subdirección de Agua Potable Rural devrait les aider davantage à maintenir les infrastructures de gestion, la DGA se doter des moyens suffisants pour connaitre la situation hydrique de chaque bassin et le code de l’eau être modifié afin de déclarer un droit humain à l’eau.

En ce qui concerne les entreprises concessionnaires privées, il serait trop simple de dire qu’elles n’ont pas intérêt à participer au sein d’une structure de gouvernance collective puisqu’elles sortent gagnantes de la situation actuelle avec les tarifications fixées. En temps qu’acteurs distanciés de leurs clients, celles-ci peuvent changer leurs stratégies de gestion interne en fonction des pressions et des réalités territoriales spécifiques (Schneier-Madanes 2005, Lopez & Felder 2003). Afin d’afficher une responsabilité sociale de l’entreprise, face au manque de ressources hydriques dont elles dépendent pour réaliser leurs activités Agua Manquehue et Sembcorp pourraient avoir tout intérêt à participer à un processus de gouvernance locale. À échelle régionale, par exemple, l’entreprise Aguas Andinas participe à la « Mesa del Agua181

» organisée par Andess Chile et l’université du Chili. Elle y conteste le fait que l’État ait des exigences de couverture du réseau sans lui garantir un accès à la ressource. Cependant à Chicureo,

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Source: entretien de Yerdecides Harbin Soto, habitant du secteur de Hermanos Carrera, né dans le secteur Hermanos Carrera, son père était agriculteur, il tient un magasin d’alimentation au croisement de l’avenue Chicureo et la rue de Los Ingleses.

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Source: entretien de Cupertina, membre de la directive du Comité de Las Canteras, elle est née et réside dans ce secteur.

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l’accès à la ressource ne semble pas inquiéter les concessionnaires sanitaires. Les entreprises Aguas Manquehue et Sembcorp disposent de puits suffisamment profonds pour répondre à la demande et extraient si besoin les eaux d’autres bassins182

.

D’autre part, si les ménages raccordés aux réseaux de ces entreprises sont mecontents du service (SISS 2013), ils ne constituent pas une pression pouvant modifier la stratégie de gouvernance interne de l’entreprise183

. Les contestations des familles de

classe aisée n’ont pas de lien avec les problèmes de surexploitation de la ressource. Les habitants qui en ont le plus conscience contestent le fait que l’eau ne soit pas suffisamment chère pour éviter la surconsommation. D’autres habitants critiquent davantage le mauvais rapport qualité-prix de l’eau qui les oblige à investir dans des machines d’adoucissement de l’eau, de nouveaux appareils électroménagers et des shampoings de qualités184. Les différentes perceptions des problèmes liés à l’eau entre ces ménages empêchent l’émergence d’une prise de conscience collective entre les familles aisées.

Le système de ségrégation socio-spatiale entrave, par ailleurs, l’émergence d’un sentiment de partage d’un patrimoine en commun et une prise de conscience autour de la nécessité de s’organiser pour protéger les ressources. Il ne s’agit plus ici seulement du rôle des usagers disposant de titre d’appropriation des eaux mais de l’ensemble des habitants du bassin. Ceux-ci pourraient avoir un rôle à jouer dans la formation d’une gestion collective des eaux à l’échelle du bassin à partir d’une représentation commune de l’eau comme un « commun » à l’instar de ce qui caractérisait le bassin de Chicureo pendant la période de 1969 à 1990. Cependant, on observe que les habitants ne se connaissent pas et n’ont pas le sentiment de partager une ressource et un territoire commun. D’une part, les nouveaux résidents ne connaissent pas l’histoire de la vallée de Chicureo ni de ses habitants originaires. Ils méconnaissent les comités d’eau potable rurale ou en ont une mauvaise image. Ils souhaiteraient faire de Chicureo une nouvelle commune de Santiago. En effet, le sentiment d’appartenance à « Chicureo » est très fort185, alors que les habitants des secteurs populaires se sentent avant tout de Colina.

182 En effet les eaux de la lagune de Piedra Roja, proviennent du secteur de San Luis à Colina. 183

Au niveau d’Aguas Andinas et de Sembcorp, aucune instance de participation ne permettrait d’ouvrir une fenêtre d’opportunité pour la remise en question de leurs stratégies de gouvernance interne.

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Source: entretiens réalisées à plusieurs habitantes du condominium Polos Manquehue et Piedra Roja (Avril 2005).

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Une nuance doit être faite entre les personnes arrivées à Chicureo dès les années 1990(parcelles d’agréments) et les ménages récemment installés. Souvent, les premièrs ne se sentent pas forcement de

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Vivre à Chicureo est devenu symbole de réussite sociale186. D’autre part, la municipalité contribue à renforcer la séparation territoriale entre nouveaux et anciens habitants en créant des réunions publiques par secteur. Ainsi, jamais l’ensemble des habitants de la vallée de Chicureo ne se retrouve dans une même réunion et ne se rencontre dans un même espace public. Ceci réduit les possibilités d’émergence d’un dialogue et d’un échange commun entre l’ensemble des habitants autour des enjeux actuels de la gestion de la ressource qui traversent le bassin de Chicureo.

Les différentes perceptions des problèmes par les usagers de l’eau, couplées à la situation de ségrégation socio-spatiale existante, empêchent les acteurs disposant de titre d’appropriation de l’eau de se réunir de façon spontanée pour résoudre un problème commun qui puisse conduire à la formation d’une comunidad de agua ou d’une junta de

vigilancia à l’échelle du bassin ou de l’aquifère de Chicureo. Aucun dirigeant politique

n’impulse une prise de conscience commune et au contraire, la municipalité conforte la séparation dans la résolution des problèmes publics. Cela rend difficile l’émergence d’une gestion participative et intégrée de l’eau, comme le souhaiterait la Dirección General de Aguas en vertu du code de l’eau.

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