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Chapitre I. Les matrices historiques et spatiales de 1962 à nos jours

A. Concentration urbaine, protection des ressources et service public de l’eau

L’industrialisation et la consolidation de l’État ont entraîné une forte croissance urbaine des villes qui accueillent les industries et logent les fonctionnaires publics. La concentration urbaine autour de Santiago rend compte de cette croissance à laquelle s’ajoute le boom démographique. Face aux problèmes dérivés de l’urbanisation incontrôlée, la puissance publique prend en charge l’aménagement urbain et les services de base.

La ville de Santiago du Chili a été le pôle de croissance principal du phénomène d’industrialisation des années 1940, 1950 et 1960. En 1930, la ville concentre 2417 établissements industriels et en 1960 elle concentre plus de 60% du secteur industriel (De Ramón 1992). Les activités textiles, le secteur de l’imprimerie et de l’édition, la production de papier, de matières plastiques, de dérivés du charbon et de produits métalliques, et les machines de production, s’y concentrent. Au côté des nouvelles classes moyennes urbaines composées par les secteurs qui bénéficient de la croissance industrielle, apparaît une nouvelle pauvreté urbaine formée par les populations rurales attirées par le développement industriel (Velut 2005). Il s’agit notamment des paysans ayant des minifundio qui ne produisent plus suffisamment sur des terres de mauvaise qualité (Bengoa 1983) et des « manœuvres libres » qui ne sont ni manœuvres, peones, du secteur minier ni travailleurs, inquilinos, dans les haciendas72 rurales, et servent de variable d’ajustement pour répondre aux besoins des systèmes de production traditionnels (Salazar 1985, Sunkel 2011). Ces populations appelées pobladores

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s’installent dans la capitale, et forment des campements, tomas.73

Il s’agit d’occupation de terrains, souvent dans le centre de la ville, dans lesquels les habitants s’organisent afin de répondre à leurs besoins de base (Razeto 1983).

Le peuplement de la ville révèle une ségrégation socio-spatiale qui scinde celle- ci en deux secteurs. Les communes habitées par les classes aisées comme Las Condes, Providencia et Nuñoa se situent à l’ouest et les communes pauvres telles que La Pintana, Renca ou San Bernardo, à l’est de la ville (Sabatini Cáceres y Cerdá 2001). Néanmoins, des campements et des quartiers populaires occupent le centre ville et parfois les quartiers du “cône de l’orient” jusque dans les années 1970, formant des îlots de pauvreté dans la ville (De Ramón 1992).

En 1960, face à une forte concentration urbaine, l’État aménage le territoire urbain et fonde des entreprises publiques en charge des services pour répondre aux besoins fondamentaux. Afin de construire les infrastructures nécessaires au développement de la ville pour améliorer les conditions de vie des populations, l’État approuve le Plan Intercomunal para la Planificación Urbana del Gran Santiago74, qui se caractérise par une forte intervention de l’État dans la planification et la construction de l’espace urbain. En 1965, le Ministerio de Vivienda y de Urbanismo (MINVU) est créé avec pour mission d’intensifier le travail de planification urbaine. Celui-ci s’appuie sur quatre corporations autonomes afin de gérer les problèmes d’infrastructure urbaine comme l’énergie, l’accès à l’eau potable, la salubrité et le transport: la Corporación de servicios habitacionales, la Corporación de la vivienda, la Corporación de obras urbanas, et la Corporación de mejoramiento urbano75 (De Ramón 1992).

73 Ces campements se sont formés dans tout le pays. Entre 1968 et 1971, il y a eu 2.700 occupations

illégales de terrains, d’industries, de fundos et d’établissements scolaires. Parmi celles-ci, 476 ont été des occupations de terrains destinées à la construction de logement (Rodriguez & Rodriguez 2012).

74 Avant cela, deux lois de planification urbaine avaient été proclamé en 1931 puis en 1939 (Plan Brunner

Humeres). Elles reposaient sur des visions hygiénistes et esthétisantes de la ville et renforçaient la différenciation spatiale en fonction de l’origine sociale.

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Traduction non-officielle: Corporation de service résidentiel, la Corporation du logement, la Corporation des travaux urbains et la Corporation d’aménagement urbain.

47 Cette période se caractérise par une augmentation de la consommation d’eau provenant principalement de sources superficielles (Programme des Nations Unies pour l’environnement 1980, Stewart 1970). À la suite de la sécheresse de 1968, une prise de conscience émerge quant à la nécessité de protéger les ressources environnementales pour préserver le « cycle de l’eau ». Puisque

l’eau superficielle dépend de la tombée de la pluie, il s’agit de maintenir des taux d’évapotranspiration élevés et d’éviter l’érosion des sols qui provoquent des éboulements dans les réservoirs (Elizalde 1970). Le Plan Intercomunal décrète entre autres, le maintien de zones rurales dans la région métropolitaine, crée des réserves naturelles, et cherche à limiter la densité de l’occupation du sol. En termes de construction d’infrastructure hydraulique, l’État intervient davantage dans le financement de la construction de réservoirs d’eau et de canaux pour garantir aux agriculteurs l’accès à des ressources en eau suffisantes76

. Dans la région métropolitaine furent construits le barrage du Yeso (1953-1967) et le barrage de Rungue (1959-1964) (Sandoval 2003).

Néanmoins, les problèmes de pollution de l’eau s’accroissent en raison de l’augmentation du rejet des eaux usées dans les cours d’eau superficiels dont le débit reste constant ou décroit lors des sécheresses. Le processus de traitement naturel de l’eau devient insuffisant et la contamination des eaux des canaux d’irrigation où sont déversées les eaux usées affecte les cultures irriguées et provoque des maladies infectieuses de l’appareil digestif (Programme des Nations Unies pour l’environnement 1980, De Ramon 1992, Valenzuela & Jouravlev 2007).

C’est dans ce contexte historique que l’État interventionniste crée le service de distribution de l’eau potable inauguré à Santiago en 1950. L’eau potable est alors considérée comme un bien public pour lequel « la projection naturelle » de l’action de l’État le conduit à gérer lui même le service, financé par un système d’imposition. Entre 1950 et 1974, les fonctions de régulation et d’opération du service ne se différencient

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Auparavant, ceux-ci avaient été construits à la suite d’initiatives privés.

IMAGE 3: “La prise d’eau du canal du Maipo – Norte, entre Mariposa y Talca.” Source: Elizalde 1970

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pas. Elles sont prises en charge par l’Etat au sein de la Dirección de Obras Sanitarias (DOS). Celle-ci est créée en 1953 par la fusion du Departamento Hydraulico, du Ministerio de Obras Públicas et la Dirección General del Agua Potable y Saneamiento du Ministerio del Interior. La DOS se charge des fonctions relatives à la distribution d’eau potable et aux réseaux d’égouts, mais il n’existait pas d’usine de traitement. Elle est chargée d’étudier et de réaliser des projets d’investissements, de construire, de conserver et d’améliorer les infrastructures et d’administrer les services. Ces activités sont coordonnées avec la Division des Servicios Sanitarios du Ministerio de la Vivienda y Urbanismo qui étudie, construit et répare les réseaux d’eau potable et d’égouts ; et avec l’entreprise Agua Potable de Santiago de la municipalité de Santiago qui administre le service dans le secteur central de la ville (Valenzuela & Jouravlev 2007, BID 1997, BM 2011).

TABLEAU 1: Services de distribution de l’eau potable et d’assainissement au Chili, 1960, 1970(millions d’habitants).

Années

Eau potable Assainissement

Zone urbaine Zone rurale Zone urbaine Zone rurale

Connexion domiciliaire Source publique Connexion domiciliaire Connexion domiciliaire Connexion domiciliaire N % N % N % N % N % 1960 3.589 73,6 0.820 16 0.400 16,1 2.895 59,5 - - 1970 4.200 56 0.800 11 0.250 9 2.530 33 0.185 10

Source : Élaboration propre, CEPAL 1987.

Le réseau de distribution dessert les communes centrales de la ville et malgré la volonté de garantir un accès à l’eau potable à tous les habitants, les quartiers des

pobladores et les campements ne sont pas raccordés au réseau (Pflieger 2008).

Néanmoins, la tarification du service ne correspond pas au coût marginal de production, et un système généralisé de subvention à la consommation permet un accès à l’eau potable à une grande partie de la population urbaine (Jouravlev 2007). La justification théorique de la prise en charge par l’État du service repose sur la théorie des biens publics, mise au point par Paul Samuelson (1954). Selon lui, le libre fonctionnement du marché ne permet pas de produire les biens publics alors qu’ils visent un intérêt collectif puisqu’il est impossible de faire payer leur usage pour pouvoir rentabiliser les coûts

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d’investissements. Au Chili, entre 1968 et 1973 le service fut financé à hauteur de 74% par des apports fiscaux, 16% par des financements externes et 10% par tarification. Ce dernier apport se réduit de 13 points pendant la période pour atteindre 3% en 1973 (SISS 2015).

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